18 octobre 2024
Tandis que l’humanité se tient au bord du gouffre, menacée par le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité, la 16ème « Conférence des Parties » (COP) à la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) qui s’ouvre ce lundi 21 octobre à Cali en Colombie représente une opportunité historique pour protéger et restaurer les écosystèmes, reconnus comme le deuxième levier le plus efficace pour lutter contre le dérèglement climatique, et nous permettre de sortir de « l’enfer climatique » décrit par le Secrétaire général des Nations Unies António Guterres (1). Mais après avoir saboté l’ambition de la COP15 en décembre 2022, la France s’apprête à réitérer sa diplomatie antiécologique et à ignorer, une nouvelle fois, dans une posture climatosceptique dangereuse pour l’ensemble des nations, les faits comme les recommandations scientifiques.
En amont de cette COP 16, les États étaient appelés à publier leurs contributions pour répondre aux objectifs fixés lors de la COP 15 Kunming Montréal, notamment pour parvenir à l’objectif de protéger 30% de l’océan d’ici 2030. Mais, alors que l’enjeu est désormais de transformer ces grands objectifs en mesures concrètes et contraignantes pour imposer des restrictions aux acteurs industriels, transformer concrètement l’économie, et in fine mettre un terme à la destruction continue et méthodique du vivant, la France, un des rares pays à avoir produit cette contribution, veut se poser en bon élève mais défend pourtant coûte que coûte le statu quo.
En effet, le 31 juillet 2024, le gouvernement démissionnaire français a déposé ses objectifs nationaux. Le consensus scientifique et les recommandations internationales de l’UICN sont sans équivoque : est considérée « protégée » une aire marine dans laquelle sont interdites les infrastructures et les activités industrielles, et notamment la pêche industrielle. La Commission européenne a fait sienne certains de ces objectifs, en publiant deux mois après l’accord de Kunming-Montréal son Plan d’action pour l’océan, qui établissait une feuille de route très claire pour interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées européennes.
Mais, loin de s’aligner sur ces recommandations scientifiques et ces objectifs européens, la France a publié, dans ses objectifs nationaux, la mesure prioritaire suivante : « Renforcer la stratégie aires protégées pour atteindre les 10 % de surface en protection forte et bien gérer les 30 % d’aires protégées ». Il n’y a là rien de contraignant, rien qui vienne modifier le statu quo imposé par le lobby de la pêche industrielle :
Sans surprise, la France s’apprête à amoindrir une nouvelle fois l’ambition environnementale mondiale et à réitérer sa posture de porte-voix des intérêts industriels au sein d’un accord précisément destiné à protéger l’intérêt général contre les destructions infligées à la biosphère par les activités humaines. Cela est d’autant plus dommageable que dans les négociations internationales sur la biodiversité, la France représente la première puissance maritime mondiale, les Etats-Unis, qui possèdent pourtant un territoire maritime plus important que celui de la France, n’ayant pas ratifié la Convention sur la diversité biologique (CDB).
En décembre 2022 à Montréal, lors de la COP15 sur la diversité biologique, la communauté internationale avait fait un pas de géant en se fixant de grands objectifs pour la protection de la nature, comme celui de protéger 30% de l’océan d’ici 2030. Mais la France s’était distinguée dans les négociations par son hypocrisie en s’opposant vigoureusement à ce que la notion de « protection » soit définie dans le texte de l’accord, permettant ainsi aux activités industrielles de se déployer dans les aires marines dites « protégées » et à la protection d’être un concept de papier, sans aucun effet sur les écosystèmes, la biodiversité et le climat. En amont de la COP15, la France s’était également fermement opposée à ce que l’objectif de 10% de protection « stricte » soit inscrit à l’ordre du jour de la Conférence et débattu.
Au cours des deux dernières années, le gouvernement français a tout mis en œuvre pour saper l’atteinte d’objectifs internationaux pertinents à la hauteur de l’urgence :
L’imposture française ne dupe plus personne et se fait même épingler par les plus grandes revues internationales. La France, qui accueille en juin 2025 la conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC), n’a pas d’autre choix que de mettre ses actes en conformité avec le droit européen et d’être enfin à la hauteur de l’urgence environnementale. Le gouvernement Barnier a encore la possibilité de revoir la feuille de route publiée cet été par le gouvernement démissionnaire pour ne pas manquer son rendez-vous avec l’histoire. Plutôt que d’être celui qui “aurait dû” ou “pu agir”, le gouvernement doit être à la hauteur de ses responsabilités.
Cette COP est l’occasion pour la France d’annoncer enfin l’interdiction du chalutage dans ses aires marines dites “protégées” et de mettre fin au régime d’exception qu’elle s’est créée et qu’elle cherche à imposer au reste du monde pour protéger une poignée d’industriels écocidaires.
La transformation des objectifs internationaux en mesures concrètes qui imposent des restrictions aux acteurs industriels est une nécessité devenue vitale. Les plus éminents climatologues le disent sans ambages : « nous sommes au bord d’une catastrophe climatique irréversible » et, pour éviter le pire, « nous avons besoin de changements ambitieux et transformateurs ». Les fenêtres d’action pour transformer concrètement l’économie et accompagner les activités destructrices vers leur fin ou leur conversion sont en train de se refermer.
Le temps nous est compté.
Le manque d’ambition concernant les aires marines dites « protégées » et le sabotage de la France en la matière n’est malheureusement pas l’unique problème des négociations en cours. Dans l’après-guerre, le mythe de la “gestion durable” de la pêche est apparu comme la recette magique pour encadrer l’exploitation des ressources marines. Ce modèle de gestion productiviste, basé sur une science incomplète et erronée, n’a évolué qu’à la marge depuis, et a largement contribué au déclin de l’océan, donnant blanc-seing à des pêches destructrices à mesure que notre consommation de poisson a augmenté.
Depuis les années 1950, les politiques et les industriels ont travaillé ensemble pour généraliser ce modèle défaillant de la gestion des pêches, favorisant leurs intérêts géopolitiques et économiques à court-terme, au détriment de la résilience de l’océan. L’IPBES constatait d’ailleurs en 2019 que la pêche était, sur les cinquante dernières années, le principal facteur de déclin de la biodiversité marine, soulignant l’urgence de repenser radicalement notre relation avec l’océan, non seulement en termes d’outils de protection et de restauration des écosystèmes, mais aussi en ce qui concerne la manière dont on l’exploite.
L’utilisation généralisée de labels de pêche « durable », dont la plupart trompent les consommateurs en leur faisant croire qu’ils font des choix respectueux de la nature et non culpabilisants, ne fait qu’aggraver le problème. En réalité, ces labels servent davantage les intérêts des entreprises que la protection de l’océan et la sécurité alimentaire, car ils permettent de certifier des pêcheries destructives à grande échelle tout en épuisant l’océan.
Le cadre mondial pour la biodiversité établi lors de la COP15 de Kunming-Montréal en 2022 est tout à fait problématique en ce sens, puisqu’il fait explicitement référence au label « Marine Stewardship Council », qui certifie près de 20% des captures mondiales chaque année, malgré des années de dénonciation de la mascarade que ce label représente par de nombreux scientifiques et ONG (voir notamment nos deux synthèses sur le sujet).
L’institutionnalisation de ces labels trompeurs comme « objectif contraignant de pêche durable » représente l’un des problèmes majeurs de l’actuel cadre de Kunming-Montréal, sur laquelle la France reste silencieuse, incapable d’adopter une vision écosystémique du milieu marin et à se défaire d’un modèle qui a conduit à l’effondrement de la biodiversité marine.
Il y a quelques semaines, un groupe d’experts internationaux sur l’océan ont d’ailleurs donné les clés pour agir aux États : 11 règles d’or pour une pêche véritablement sociale et écologique. Leur étude, publiée dans une prestigieuse revue scientifique, pose un cadre fondateur pour guider les négociations qui s’ouvrent, et permettre d’engager une transition du secteur de la pêche afin d’atteindre les objectifs internationaux en termes de protection du climat, de la biodiversité, et de sécurité alimentaire.
Crédit image : Convention on Biological Diversity website
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Dans un contexte d’urgence à agir pour le climat, la biodiversité et la justice sociale, BLOOM et ClientEarth saisissent le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’interdiction du chalutage dans les aires marines dites « protégées » de Méditerranée abritant les écosystèmes les plus vulnérables, conformément au droit européen.
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Alors que la mer Méditerranée est en proie à des canicules marines sans précédent et que la surpêche y fait des ravages, la France propose, dans une consultation publique qui vient de se clore, une énième mesure de protection de ses eaux qui, loin de répondre aux véritables enjeux écologiques, poursuit purement et simplement une politique du chiffre. Il est temps pour le gouvernement de prendre les mesures essentielles pour le climat, la biodiversité et l’avenir de la pêche en mer Méditerranée en engageant enfin un plan de déchalutisation de la flotte française, et en protégeant effectivement ses aires marines dites protégées, et pourtant bien chalutées.
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