05 décembre 2022
De fausses aires marines protégées, un vrai satisfecit donné à la pêche industrielle : une analyse inédite de la politique de protection maritime de la France de 2009 à 2022.
Alors que la COP15 sur la biodiversité s’ouvre mercredi 7 décembre 2022 à Montréal, que les enjeux pour la préservation du vivant et la restauration des habitats naturels sont sans précédent, le mandat de négociation de l’Union européenne a été saccagé au Conseil européen par les États membres opposés à la protection réelle de l’océan, au premier rang desquels se trouvent la France et les Pays-Bas, alliés indéfectibles des lobbies de la pêche industrielle.
Ainsi, au lieu de viser l’objectif européen de 30% de protection maritime réelle dont un tiers en protection intégrale(1), le mandat de l’UE ne mentionne plus l’objectif de 10% de protection « stricte » et se contente de parler de 30% de protection globale sans préciser ce qu’on entend par là.
La Belgique a tenté en vain de sauver du naufrage l’objectif de 10% de protection « stricte », sachant que protéger intégralement (c’est-à-dire interdire toutes les activités humaines) 10% des eaux européennes est la mesure la plus urgente et la plus efficace pour régénérer la diversité des espèces et les forêts animales marines, dévastées par des décennies de surexploitation aiguë et de méthodes de pêche destructrices comme le chalutage de fond.
Moins de 1% des eaux de l’Union européenne sont réellement protégées(2). La France, première puissance maritime européenne, a une large responsabilité dans la médiocrité environnementale de l’UE en matière océanique. La ZEE française représente 45% des eaux de l’Union européenne grâce à ses territoires ultramarins. Pourtant, la France ne protège que 4% de la totalité de ses eaux. En Métropole, là où la pression de pêche industrielle est la plus forte, seuls 0,005% des eaux sont réellement protégées sur la façade Atlantique, Manche, Mer du Nord et 0,094% sur la façade Méditerranéenne. La France fait beaucoup de bruit à propos de ses aires marines protégées – le Président Macron a annoncé des chiffres de protection spectaculaires de « plus de 30% de protection » aux médias avant l’élection présidentielle en février 2022 – mais la réalité est tout autre. Les navires de pêche peuvent exploiter plus de 99,9% des eaux françaises métropolitaines(3). Deux études récentes de BLOOM(4) ont révélé que les aires marines françaises dites « protégées » ne protégeaient rien du tout : les activités industrielles destructrices y sont constantes et parfaitement autorisées. En outre, les rarissimes aires réellement protégées des activités humaines sont mises en place de manière à ne jamais gêner les intérêts économiques du secteur industriel de la pêche.
La vacuité de la politique française de protection marine n’est pas fortuite. Elle est, au contraire, le fruit d’un sabotage de grande ampleur opéré depuis plus d’une décennie par les pouvoirs publics français. Depuis le Grenelle de la Mer en 2009, les gouvernements successifs ont promis monts et merveilles en matière de protection marine mais se sont employés à rendre inopérante, dans les faits, l’ambition affichée.
BLOOM a analysé près de quinze années de politiques publiques et reconstruit les moyens et les stratégies que la France a mobilisés pour parvenir à la protection quasiment inexistante actuelle : glissements sémantiques et reformulation d’objectifs, co-gestion avec les pêcheurs industriels, culture du « dialogue » infructueux en lieu et place d’un pilotage efficace, notes de cadrage et décrets néfastes… Le dispositif de manœuvres employées pour torpiller les engagements déjà maigres a été varié et a abouti à l’objectif visé : rendre tabou et impossible l’interdiction de la pêche industrielle dans les aires marines protégées.
La dernière imposture en date concerne la substitution de l’objectif français de 10% de « protection forte » à l’objectif européen de 10% de « protection stricte ». En faisant apparaître une catégorie nouvelle de protection, la « protection forte », qui ne correspond même pas à la définition internationale basique d’une aire marine protégée, le gouvernement d’Emmanuel Macron ne procède pas à une simple reformulation sémantique, il organise l’impuissance du concept même d’aire marine « protégée » et orchestre ainsi les conditions de l’imposture française vis-à-vis des recommandations scientifiques internationales et des objectifs européens de protection environnementale.
C’est par ce genre de dégradation dangereuse de la norme que la France, deuxième puissance maritime mondiale, échoue à jouer le rôle qui incombe à son rang et contribue à maintenir le statu quo d’un océan surexploité sous emprise des pêches industrielles au moment même où nous avons le plus besoin que le poumon de la Terre soit en mesure d’absorber nos excédents de carbone. C’est pour mettre un frein au pouvoir de nuisance international de la France que BLOOM a attaqué le gouvernement français devant le Conseil d’État le 7 octobre dernier(5).
(1) Commission européenne (2021) EU biodiversity strategy for 2030.
(2) Ce chiffre est issu d’un rapport de l’Agence européenne de l’environnement de 2019 (Marine Messages II : navigating the course towards clean, healthy and productive seas through implementation of an ecosystem‑based approach) qui reprend une étude de 2012. Aucun chiffre plus récent n’est disponible à part les données du Marine Conservation Institute dont la base de données est encore incomplète pour l’Union européenne. Le Marine Conservation Institute estime également, avec les données dont il dispose, que moins de 1% des eaux de l’UE (hors outremers) sont réellement protégées (MPA Atlas).
(3) D’après les chiffres de Claudet (2021) Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world.
(4) Deux études de BLOOM en 2022 ont montré que (1) en 2021, près de la moitié de la pêche industrielle en France métropolitaine s’était déroulée dans des aires marines dites « protégées » (voir l’étude intitulée « La pêche industrielle à l’assaut des aires marines dites “protégées »datant du 7 octobre 2022), et (2) que les aires marines françaises sous « protection stricte » se trouvent quasi-exclusivement dans des zones inaccessibles et globalement inexploitées (voir étude du 24 novembre 2022 intitulée « “Ambition zéro” : des aires marines “protégées” qui protègent des zones inaccessibles et inexploitées »).
(5) BLOOM (2022) BLOOM attaque l’imposture écologique marine du gouvernement devant le Conseil d’Etat
07 octobre 2022
Aujourd’hui, près de la moitié de la pêche industrielle ayant lieu dans la Zone économique exclusive française (ZEE) se déroule dans des zones dites « protégées », en dépit de l’urgence absolue de répondre à la crise climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Ainsi, malgré les engagements de l’Union européenne et de la France de protéger 30% de leurs eaux, dont un tiers en « protection stricte », la vaste majorité des aires marines dites « protégées » françaises ne limite aucunement les pratiques de pêche les plus destructrices et les plus énergivores.
19 décembre 2022
La France a atteint ses objectifs : s’assurer que l’accord mondial censé mettre un terme à l’effondrement du vivant, que les 195 États membres de la Convention sur la diversité biologique viennent d’adopter à Montréal, jette de la poudre aux yeux avec des objectifs chiffrés de protection spectaculaire (30% d’ici 2030) sans que le texte ne contienne la moindre indication de ce que signifie « protéger ». La France avait réussi, avant la COP, à saboter de l’intérieur de l’UE l’objectif de 10% de protection « stricte » au niveau mondial, alors que c’est la mesure la plus efficace pour régénérer la vie marine, elle vient en outre d’anéantir la possibilité d’unifier la communauté internationale sur une définition précise et sans ambiguïté de ce que signifie « protéger la nature ». C’est une page sombre qui s’ouvre pour ce qu’il reste de biodiversité sur Terre.
23 décembre 2022
La COP15 s’est terminée lundi 19 décembre avec l’adoption de l’accord Kunming-Montréal. BLOOM a dénoncé le rôle de la France dans les négociations : la première puissance maritime européenne s’est en effet assurée que l’accord fixant un objectif de 30% de protection des écosystèmes marins et terrestres d’ici 2030 ne contienne aucune indication de ce que signifie « protéger », laissant le champ libre à la création de « parcs de papier » inefficaces, similaires aux aires marines protégées françaises.
Ce n’était pas le seul sujet à l’agenda pour les 195 États membres de la Convention sur la diversité biologique. Ces derniers se sont accordés sur divers enjeux clés tels que la protection des grands fonds marins, la restauration des écosystèmes dégradés, la défense des droits des peuples autochtones, les droits de la nature et les financements à destination des pays en développement pour la protection de la nature. Décryptage.