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23 décembre 2022

COP15 : décryptage de l’accord Kunming-Montréal

La COP15 s’est terminée lundi 19 décembre avec l’adoption de l’accord Kunming-Montréal. BLOOM a dénoncé le rôle de la France dans les négociations : la première puissance maritime européenne s’est en effet assurée que l’accord fixant un objectif de 30% de protection des écosystèmes marins et terrestres d’ici 2030 ne contienne aucune indication de ce que signifie « protéger », laissant le champ libre à la création de « parcs de papier » inefficaces, similaires aux aires marines protégées françaises.

Ce n’était pas le seul sujet à l’agenda pour les 195 États membres de la Convention sur la diversité biologique. Ces derniers se sont accordés sur divers enjeux clés tels que la protection des grands fonds marins, la restauration des écosystèmes dégradés, la défense des droits des peuples autochtones, les droits de la nature et les financements à destination des pays en développement pour la protection de la nature. Décryptage.

Exploitation minière en eaux profondes

Cette thématique est abordée dans une annexe au Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal(1). Le paragraphe 16 de cette annexe portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine et côtière :

“encourage les Parties et invite les autres Gouvernements à veiller à ce que, avant toute  activité d’exploitation minière des grands fonds marins, des études d’impact sur l’environnement marin et la biodiversité appropriées aient été réalisées, les risques soient compris, les technologies et les pratiques opérationnelles n’aient pas d’effets nuisibles sur l’environnement marin et la biodiversité, et à ce que des règles, réglementations et procédures appropriées soient mises en place par l’Autorité internationale des fonds marins, conformément aux meilleures connaissances scientifiques disponibles, aux connaissances traditionnelles des peuples autochtones et des communautés locales, en ayant obtenu leur consentement libre, préalable et éclairé, et en appliquent le principe de précaution et l’approche écosystémique, ainsi qu’en se conformant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et aux autres lois internationales pertinentes”

Ce paragraphe témoigne de l’importance prise par le sujet de l’exploitation minière en eaux profondes depuis la COP14, qui s’était tenue en 2018, où le sujet avait été quasiment absent des discussions. L’accord trouvé à Montréal est cependant loin d’être satisfaisant.

En effet, cet “encouragement” est loin de proposer une interdiction claire et formelle de l’exploitation minière en eaux profondes, même lorsque des risques pour la biodiversité sont avérés. Il enjoint cependant l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à mettre en place des “règles, réglementations et procédures appropriées” en cas de risque avéré, fondées sur le principe de précaution et une approche écosystémique. Ce paragraphe doit servir de base de travail auprès de l’AIFM afin qu’un accord international soit adopté en la matière dans les prochains mois.

Restauration des écosystèmes dégradés

La cible 2 du Cadre mondial de la biodiversité se penche sur la restauration des écosystèmes dégradés. Un enjeu qui est en ce moment au cœur des débats européens, avec la proposition de règlement de la Commission européenne sur la restauration de la nature.

Là où la Commission européenne proposait, en juin 2022, de restaurer 20% des écosystèmes dégradés, le Cadre mondial propose d’en restaurer 30%. Il incombe aux parlementaires européens et aux Etats membres du Conseil de l’Union européenne de revoir l’ambition européenne à la hausse, conformément à l’accord de Kunming-Montréal.

Une condition sine qua non à la restauration des écosystèmes est la suppression des activités qui ont entraîné leur dégradation. L’IPBES a établi que la surpêche constitue la principale menace sur la biodiversité marine. L’immense majorité des écosystèmes marins sont sinistrés, en particulier les écosystèmes côtiers, plus riches en biodiversité, car ils sont soumis à une pêche industrielle omniprésente(2) et à une utilisation intensive d’engins traînants(3). Restaurer 30% des écosystèmes dégradés passe donc d’abord et avant tout par une interdiction de la pêche industrielle dans les 30% de l’océan en restauration. 

Défense des droits des peuples autochtones

Les droits des peuples autochtones et leur participation aux actions de conservation et de protection de la nature sont reconnus à de nombreuses reprises dans le Cadre mondial établi lors de la COP15 (7 cibles sur 23 en font mention). La nécessité de reconnaître le rôle et les droits des peuples autochtones dans les mesures, projets, et politiques visant à préserver et restaurer la biodiversité est résumée en ces termes dans la section C paragraphe 7 :

“Contribution et droits des peuples autochtones et des communautés locales 

8 – Le cadre reconnaît les rôles et contributions importants des peuples autochtones et des communautés locales en tant que gardiens de la biodiversité et partenaires dans la conservation, la restauration et l’utilisation durable. Sa mise en œuvre doit garantir que leurs droits, leurs connaissances, y compris les connaissances traditionnelles associées à la biodiversité, les innovations, les visions du monde, les valeurs et les pratiques des peuples autochtones et des communautés locales sont respectés, documentés, préservés avec leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause y compris par leur participation pleine et effective à la prise de décision, conformément à la législation nationale pertinente, aux instruments internationaux, y compris la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et au droit des droits de l’homme. À cet égard, rien dans le présent cadre ne peut être interprété comme diminuant ou éteignant les droits que les peuples autochtones ont actuellement ou pourraient acquérir à l’avenir.”

Cette reconnaissance des droits des peuples autochtones va de pair avec celle d’une diversité de systèmes de valeurs, notamment en ce qui concerne les droits de la nature.

Droits de la nature

Le Cadre mondial met l’emphase sur les droits de la nature à plusieurs reprises. Il reconnaît une diversité de systèmes de valeurs et souligne leur importance pour mettre en œuvre les recommandations de cette COP15 :

“Le cadre reconnaît et considère ces divers systèmes de valeurs et concepts, y compris, pour les pays qui les reconnaissent, les droits de la nature et les droits de la Terre nourricière, comme faisant partie intégrante de la réussite de sa mise en œuvre” (Section C-9)

Dans sa cible 19, le cadre demande l’augmentation des fonds nationaux et internationaux alloués à la biodiversité pour les porter à au moins 200 milliards de dollars d’ici à 2030, notamment en favorisant les “actions centrées sur la Terre nourricière”. Il encourage ainsi les Parties à financer des projets reconnaissant une valeur à la Nature et à la Terre nourricière en tant que telles et pas seulement selon une valeur marchande ou anthropocentrée. Le cadre définit les “actions centrées sur la Terre nourricière” en ces termes :

“une approche écocentrique et fondée sur les droits permettant la mise en œuvre d’actions visant à établir des relations harmonieuses et complémentaires entre les peuples et la nature, à promouvoir la continuité de tous les êtres vivants et de leurs communautés et à garantir la non-marchandisation des fonctions environnementales de la Terre nourricière.”

Selon Rachel Bustamante, analyste pour le Centre du droit de la Terre qui a co-dirigé la délégation des droits de la Nature à la COP15,

“L’inclusion des droits de la nature dans ce traité international contribuera à encourager une approche proactive et bienveillante de la conservation, dans laquelle la société prend en compte les intérêts et les besoins de la biodiversité au-delà des avantages que les humains en retirent. Cette approche a certainement fait défaut à la majorité des décideurs, mais elle est fondamentale dans les conceptions et les systèmes de gouvernance de nombreux peuples autochtones. Le fait que le traité nous encourage désormais à tirer des enseignements de systèmes de valeurs différents et à travailler avec eux montre que les dirigeants sont disposés à utiliser de nouveaux outils pour prévenir toute nouvelle perte de biodiversité. » 

Mécanismes de financement pour les pays en développement

La cible 19-a) du Cadre mondial se penche sur les moyens financiers à disposition des Etats pour mettre en œuvre des politiques publiques ambitieuses en matière de protection de la nature. Cette cible engage les Etats à

“augmenter substantiellement et progressivement le niveau des ressources financières provenant de toutes les sources, de manière efficace, opportune et facilement accessible, y compris les ressources nationales, internationales, publiques et privées, conformément à l’article 20 de la Convention, pour mettre en œuvre les stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité, en mobilisant d’ici à 2030 au moins 200 milliards de dollars américains par an, notamment en : 

a) augmentant le total des ressources financières internationales liées à la biodiversité provenant des pays développés, y compris l’aide publique au développement, et des pays qui assument volontairement les obligations des pays développés Parties, vers les pays en développement, en particulier les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement, ainsi que les pays à économie en transition, pour atteindre au moins 20 milliards de dollars par an d’ici à 2025, et au moins 30 milliards de dollars par an d’ici à 2030”

L’objectif d’un financement de 30 milliards de dollars par an d’ici à 2030 est bien en deçà de la demande exprimée par les pays en développement, qui visaient la création d’un nouveau “Fonds mondial pour la biodiversité” de 100 milliards de dollars par an. La France et l’Union européenne avaient fait de la création d’un nouveau “Fonds mondial pour la biodiversité” une ligne rouge, et ont refusé durant toute la COP15 de bâtir un compromis pour faire évoluer le “Fonds pour l’environnement mondial” en vigueur, occasionnant le départ des délégations des pays en développement lors d’une session de négociation. L’accord de Kunming-Montréal permet finalement de dépasser ce désaccord, avec la réforme du “Fonds pour l’environnement mondial” et des ressources financières supplémentaires. Cependant, les montants sont en deçà des besoins globaux, et témoignent du refus des pays développés de s’engager en faveur d’une coopération internationale résolue en matière de protection de la biodiversité.

Subventions néfastes

La cible 18 du cadre mondial pour la Biodiversité vise à « éliminer, supprimer ou réformer » les subventions néfastes pour la biodiversité d’ici à 2030 à raison de 500 milliards de dollars (US) par an :

« Identifier d’ici à 2025, et éliminer, supprimer ou réformer les incitations, y compris les subventions néfastes pour la biodiversité, d’une manière proportionnée, juste, équitable et efficace, tout en les réduisant substantiellement et progressivement d’au moins 500 milliards de dollars des États-Unis par an d’ici à 2030, en commençant par les incitations les plus néfastes, et renforcer les incitations positives pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. »

La suppression des subventions à la pêche industrielle néfastes pour la biodiversité et les emplois des pêcheurs artisans serait un premier pas pour honorer cet engagement de la COP 15. La cible 18 fait écho à l’accord multilatéral de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) du 12 juin 2022, qui interdit notamment les subventions aux pêches ciblant des stocks de poissons surexploités. L’engagement de la COP 15 doit mener à des accords multilatéraux plus contraignants encore que celui qui a été adopté par l’OMC, afin d’interdire définitivement les subventions encourageant la capacité de pêche qui mène tout droit à de la surexploitation des stocks. Ces subventions couvrent actuellement tous les coûts capitalistiques (construction, modernisation, remplacement des moteurs etc.) et les coûts variables comme le gasoil des flottes de pêche industrielles. Rappelons que sans ces aides publiques, les entreprises de pêche industrielle ne seraient pas rentables contrairement à la majorité des entreprises de pêche artisanale (navires de moins de 12 mètres, n’utilisant pas d’engins traînants)(4).

Pour aller plus loin sur les limites de l’accord de l’OMC, lire l’analyse de BLOOM.

 

Notes

(1) CBD/COP/15/L.15 Conservation et utilisation durable de la diversité biologique marine et côtière

(2) La pêche industrielle peut ainsi opérer dans 99,9 % des eaux de France métropolitaine.

(3) La majorité de la bande côtière est soumise à un chalutage intensif. La surface chalutée annuellement pourrait correspondre à la moitié des plateaux continentaux, soit environ 150 fois la surface déforestée annuellement. Voir Watling et Norse (1998) Disturbance of the Seabed by Mobile Fishing Gear: A Comparison to Forest Clearcutting. En France métropolitaine, la pêche industrielle a consacré près de la moitié de son temps au sein d’aires marines dites “protégées”. Voir BLOOM (2022) La pêche industrielle à l’assaut des aires marines dites “protégées”.

(4) Carvalho et Guillen (2021) Economic Impact of Eliminating the Fuel Tax Exemption in the EU Fishing Fleet

 

Photo : UN Biodiversity

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