19 décembre 2022
La France a atteint ses objectifs : s’assurer que l’accord mondial censé mettre un terme à l’effondrement du vivant, que les 195 États membres de la Convention sur la diversité biologique viennent d’adopter à Montréal, jette de la poudre aux yeux avec des objectifs chiffrés de protection spectaculaire (30% d’ici 2030) sans que le texte ne contienne la moindre indication de ce que signifie « protéger ». La France avait réussi, avant la COP, à saboter de l’intérieur de l’UE l’objectif de 10% de protection « stricte » au niveau mondial, alors que c’est la mesure la plus efficace pour régénérer la vie marine, elle vient en outre d’anéantir la possibilité d’unifier la communauté internationale sur une définition précise et sans ambiguïté de ce que signifie « protéger la nature ». C’est une page sombre qui s’ouvre pour ce qu’il reste de biodiversité sur Terre.
C’est un tiercé gagnant pour la France, qui représentait la première puissance maritime mondiale dans la négociation (1) :
Le texte qui aurait dû aligner la définition de la protection avec les critères des aires marines protégées érigés par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) met sur un pied d’égalité les zones supposées être « protégées » et les « autres mesures de conservation efficaces par zone » – les AMCEZ aussi appelées « Aires conservées » (2). Cet amalgame retire au texte le peu de force qu’il a. La France va s’en servir pour justifier son imposture écologique et éviter de protéger réellement les eaux françaises. Aujourd’hui, 99,9% des eaux métropolitaines françaises peuvent être exploitées par les pêches industrielles. La France avait pour objectif à Montréal que le monde se mette au diapason de son hypocrisie. Mission accomplie.
La cible 3 du Cadre mondial pour la biodiversité jusqu’en 2030 entérine un élément de langage calamiteux : le principe de l’exploitation « durable » dans les zones « protégées » ou « conservées ». « Sachant qu’en matière de pêche, la définition de la durabilité a été détournée par les labels de pêche industrielle comme le MSC, on a toutes les raisons de prendre peur pour les animaux et les écosystèmes marins » selon Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM.
L’absence de critères qualitatifs objectifs pour rendre compte de cette « protection » ne protège qu’une chose : la présence de la pêche industrielle dans les aires marines protégées.
BLOOM a dénoncé dans un communiqué en date du 16 décembre la duplicité sans précédent de la France. « Que la France ose se poser en championne alors qu’elle a œuvré de l’intérieur de la négociation pour protéger les lobbies industriels et leur permettre de poursuivre leurs activités destructrices pour les animaux et les habitats naturels est inacceptable » selon Claire Nouvian.
« Prétendre mettre un terme à l’effondrement du vivant sans jamais s’attaquer aux causes et aux protagonistes de la destruction des écosystèmes, c’est le tour de force que viennent de réaliser les 195 États réunis à Montréal » analysait Swann Bommier, chargé du plaidoyer chez BLOOM. « L’enjeu était de restaurer 30% des écosystèmes marins dégradés et de protéger 30% des mers afin de permettre la régénération d’écosystèmes marins exsangues après des décennies d’exploitation débridée de la part d’une flotte de pêche industrielle aux méthodes destructrices. Mais l’accord de « Kunming-Montréal » sonne le glas d’une politique publique ambitieuse et exigeante : en dépit du consensus scientifique en la matière, aucune mention de la pêche industrielle comme première source de destruction des écosystèmes marins ; aucune interdiction des activités industrielles au sein de ces aires marines à restaurer ou à protéger ».
A Montréal, la communauté internationale prétend se soucier de l’effondrement du vivant mais évite de fixer la moindre exigence pour mettre en œuvre une protection et restauration effectives des écosystèmes.
La pêche industrielle qui, en France métropolitaine, consacre près de la moitié de son temps à exploiter les aires marines dites « protégées », a obtenu gain de cause : cet accord international ne remet nullement en cause son emprise spatiale. La France a instrumentalisé la « Coalition de la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples » pour parvenir à ses fins.
La politique du chiffre est ainsi érigée comme l’alpha et l’oméga des politiques publiques : l’objectif de 30% de protection marine est désormais adopté, noir sur blanc. En quoi cela consiste-il concrètement ? La France a une réponse toute prête : à faire comme elle, c’est-à-dire à créer de fausses aires marines protégées sans aucune interdiction d’activités destructrices. Cela en dit long sur l’ambition de l’Hexagone, qui vient d’être formellement désigné pour accueillir la prochaine Conférence de l’ONU sur l’océan en 2025.
Les 195 États membres de la Convention sur la diversité biologique se sont accordés sur divers enjeux clés tels que la protection des grands fonds marins, la restauration des écosystèmes dégradés, la défense des droits des peuples autochtones, les droits de la nature et les financements à destination des pays en développement pour la protection de la nature.
Cette thématique est abordée dans une annexe au Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal(3). Le paragraphe 16 de cette annexe portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine et côtière
“encourage les Parties et invite les autres Gouvernements à veiller à ce que, avant toute activité d’exploitation minière des grands fonds marins, des études d’impact sur l’environnement marin et la biodiversité appropriées aient été réalisées, les risques soient compris, les technologies et les pratiques opérationnelles n’aient pas d’effets nuisibles sur l’environnement marin et la biodiversité, et à ce que des règles, réglementations et procédures appropriées soient mises en place par l’Autorité internationale des fonds marins, conformément aux meilleures connaissances scientifiques disponibles, aux connaissances traditionnelles des peuples autochtones et des communautés locales, en ayant obtenu leur consentement libre, préalable et éclairé, et en appliquent le principe de précaution et l’approche écosystémique, ainsi qu’en se conformant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et aux autres lois internationales pertinentes”
Ce paragraphe témoigne de l’importance prise par le sujet de l’exploitation minière en eaux profondes depuis la COP14, qui s’était tenue en 2018, où le sujet avait été quasiment absent des discussions. L’accord trouvé à Montréal est cependant loin d’être satisfaisant.
En effet, cet “encouragement” est loin de proposer une interdiction claire et formelle de l’exploitation minière en eaux profondes, même lorsque des risques pour la biodiversité sont avérés. Il enjoint cependant l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) à mettre en place des “règles, réglementations et procédures appropriées” en cas de risque avéré, fondées sur le principe de précaution et une approche écosystémique. Ce paragraphe doit servir de base de travail auprès de l’AIFM afin qu’un accord international soit adopté en la matière dans les prochains mois.
La cible 2 du Cadre mondial de la biodiversité se penche sur la restauration des écosystèmes dégradés. Un enjeu qui est en ce moment au cœur des débats européens, avec la proposition de règlement de la Commission européenne sur la restauration de la nature.
Là où la Commission européenne proposait, en juin 2022, de restaurer 20% des écosystèmes dégradés, le Cadre mondial propose d’en restaurer 30%. Il incombe aux parlementaires européens et aux Etats membres du Conseil de l’Union européenne de revoir l’ambition européenne à la hausse, conformément à l’accord de Kunming-Montréal.
Une condition sine qua non à la restauration des écosystèmes est la suppression des activités qui ont entraîné leur dégradation. L’IPBES a établi que la surpêche constitue la principale menace sur la biodiversité marine. L’immense majorité des écosystèmes marins sont sinistrés, en particulier les écosystèmes côtiers, plus riches en biodiversité, car ils sont soumis à une pêche industrielle omniprésente(4) et à une utilisation intensive d’engins traînants(5). Restaurer 30% des écosystèmes dégradés passe donc d’abord et avant tout par une interdiction de la pêche industrielle dans les 30% de l’océan en restauration.
Les droits des peuples autochtones et leur participation aux actions de conservation et de protection de la nature sont reconnus à de nombreuses reprises dans le Cadre mondial établi lors de la COP15 (7 cibles sur 23 en font mention). La nécessité de reconnaître le rôle et les droits des peuples autochtones dans les mesures, projets, et politiques visant à préserver et restaurer la biodiversité est résumée en ces termes dans la section C paragraphe 7 :
“Contribution et droits des peuples autochtones et des communautés locales
8 – Le cadre reconnaît les rôles et contributions importants des peuples autochtones et des communautés locales en tant que gardiens de la biodiversité et partenaires dans la conservation, la restauration et l’utilisation durable. Sa mise en œuvre doit garantir que leurs droits, leurs connaissances, y compris les connaissances traditionnelles associées à la biodiversité, les innovations, les visions du monde, les valeurs et les pratiques des peuples autochtones et des communautés locales sont respectés, documentés, préservés avec leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause y compris par leur participation pleine et effective à la prise de décision, conformément à la législation nationale pertinente, aux instruments internationaux, y compris la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et au droit des droits de l’homme. À cet égard, rien dans le présent cadre ne peut être interprété comme diminuant ou éteignant les droits que les peuples autochtones ont actuellement ou pourraient acquérir à l’avenir.”
Cette reconnaissance des droits des peuples autochtones va de pair avec celle d’une diversité de systèmes de valeurs, notamment en ce qui concerne les droits de la nature.
Le Cadre mondial met l’emphase sur les droits de la nature à plusieurs reprises. Il reconnaît une diversité de systèmes de valeurs et souligne leur importance pour mettre en œuvre les recommandations de cette COP15 :
“Le cadre reconnaît et considère ces divers systèmes de valeurs et concepts, y compris, pour les pays qui les reconnaissent, les droits de la nature et les droits de la Terre nourricière, comme faisant partie intégrante de la réussite de sa mise en œuvre” (Section C-9)
Dans sa cible 19, le cadre demande l’augmentation des fonds nationaux et internationaux alloués à la biodiversité pour les porter à au moins 200 milliards de dollars d’ici à 2030, notamment en favorisant les “actions centrées sur la Terre nourricière”. Il encourage ainsi les Parties à financer des projets reconnaissant une valeur à la Nature et à la Terre nourricière en tant que telles et pas seulement selon une valeur marchande ou anthropocentrée. Le cadre définit les “actions centrées sur la Terre nourricière” en ces termes :
“une approche écocentrique et fondée sur les droits permettant la mise en œuvre d’actions visant à établir des relations harmonieuses et complémentaires entre les peuples et la nature, à promouvoir la continuité de tous les êtres vivants et de leurs communautés et à garantir la non-marchandisation des fonctions environnementales de la Terre nourricière.”
Selon Rachel Bustamante, analyste pour le Centre du droit de la Terre qui a co-dirigé la délégation des droits de la Nature à la COP15,
“L’inclusion des droits de la nature dans ce traité international contribuera à encourager une approche proactive et bienveillante de la conservation, dans laquelle la société prend en compte les intérêts et les besoins de la biodiversité au-delà des avantages que les humains en retirent. Cette approche a certainement fait défaut à la majorité des décideurs, mais elle est fondamentale dans les conceptions et les systèmes de gouvernance de nombreux peuples autochtones. Le fait que le traité nous encourage désormais à tirer des enseignements de systèmes de valeurs différents et à travailler avec eux montre que les dirigeants sont disposés à utiliser de nouveaux outils pour prévenir toute nouvelle perte de biodiversité. »
La cible 19-a) du Cadre mondial se penche sur les moyens financiers à disposition des Etats pour mettre en œuvre des politiques publiques ambitieuses en matière de protection de la nature. Cette cible engage les Etats à
“augmenter substantiellement et progressivement le niveau des ressources financières provenant de toutes les sources, de manière efficace, opportune et facilement accessible, y compris les ressources nationales, internationales, publiques et privées, conformément à l’article 20 de la Convention, pour mettre en œuvre les stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité, en mobilisant d’ici à 2030 au moins 200 milliards de dollars des États-Unis par an, notamment en :
a) augmentant le total des ressources financières internationales liées à la biodiversité provenant des pays développés, y compris l’aide publique au développement, et des pays qui assument volontairement les obligations des pays développés Parties, vers les pays en développement, en particulier les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement, ainsi que les pays à économie en transition, pour atteindre au moins 20 milliards de dollars par an d’ici à 2025, et au moins 30 milliards de dollars par an d’ici à 2030”
L’objectif d’un financement de 30 milliards de dollars par an d’ici à 2030 est bien en deçà de la demande exprimée par les pays en développement, qui visaient la création d’un nouveau “Fonds mondial pour la biodiversité” de 100 milliards de dollars par an. La France et l’Union européenne avaient fait de la création d’un nouveau “Fonds mondial pour la biodiversité” une ligne rouge, et ont refusé durant toute la COP15 de bâtir un compromis pour faire évoluer le “Fonds pour l’environnement mondial” en vigueur, occasionnant le départ des délégations des pays en développement lors d’une session de négociation. L’accord de Kunming-Montréal permet finalement de dépasser ce désaccord, avec la réforme du “Fonds pour l’environnement mondial” et des ressources financières supplémentaires. Cependant, les montants sont en deçà des besoins globaux, et témoignent du refus des pays développés de s’engager en faveur d’une coopération internationale résolue en matière de protection de la biodiversité.
La cible 18 du cadre mondial pour la Biodiversité vise à « éliminer, supprimer ou réformer » les subventions néfastes pour la biodiversité d’ici à 2030 à raison de 500 milliards de dollars (US) par an :
« Identifier d’ici à 2025, et éliminer, supprimer ou réformer les incitations, y compris les subventions néfastes pour la biodiversité, d’une manière proportionnée, juste, équitable et efficace, tout en les réduisant substantiellement et progressivement d’au moins 500 milliards de dollars des États-Unis par an d’ici à 2030, en commençant par les incitations les plus néfastes, et renforcer les incitations positives pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. »
La suppression des subventions à la pêche industrielle néfastes pour la biodiversité et les emplois des pêcheurs artisans serait un premier pas pour honorer cet engagement de la COP 15. La cible 18 fait écho à l’accord multilatéral de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) du 12 juin 2022, qui interdit notamment les subventions aux pêches ciblant des stocks de poissons surexploités. L’engagement de la COP 15 doit mener à des accords multilatéraux plus contraignants encore que celui qui a été adopté par l’OMC, afin d’interdire définitivement les subventions encourageant la capacité de pêche qui mène tout droit à de la surexploitation des stocks. Ces subventions couvrent actuellement tous les coûts capitalistiques (construction, modernisation, remplacement des moteurs etc.) et les coûts variables comme le gasoil des flottes de pêche industrielles. Rappelons que sans ces aides publiques, les entreprises de pêche industrielle ne seraient pas rentables contrairement à la majorité des entreprises de pêche artisanale (navires de moins de 12 mètres, n’utilisant pas d’engins traînants)(6).
Pour aller plus loin sur les limites de l’accord de l’OMC, lire l’analyse de BLOOM.
(1) Les États-Unis n’ayant pas ratifié la CDB, ils étaient présents au titre d’observateurs.
(2) OECM pour « Other Effective Conservation Measures » en anglais.
(3) CBD/COP/15/L.15 Conservation et utilisation durable de la diversité biologique marine et côtière
(4) La pêche industrielle peut ainsi opérer dans 99,9 % des eaux de France métropolitaine.
(5) La majorité de la bande côtière est soumise à un chalutage intensif. La surface chalutée annuellement pourrait correspondre à la moitié des plateaux continentaux, soit environ 150 fois la surface déforestée annuellement. Voir Watling et Norse (1998) Disturbance of the Seabed by Mobile Fishing Gear: A Comparison to Forest Clearcutting. En France métropolitaine, la pêche industrielle a consacré près de la moitié de son temps au sein d’aires marines dites “protégées”. Voir BLOOM (2022) La pêche industrielle à l’assaut des aires marines dites “protégées”.
(6) Carvalho et Guillen (2021) Economic Impact of Eliminating the Fuel Tax Exemption in the EU Fishing Fleet
16 décembre 2022
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07 octobre 2022
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