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Surpêche et pêche durable

Que se cache-t-il derrière les notions clefs de « surpêche » et « pêche durable » ? Des termes bien souvent galvaudés sur lesquels il est nécessaire de revenir.

Notre définition scientifique

Aujourd’hui, la définition de « pêche durable » la plus largement utilisée au niveau mondial – par exemple en Europe dans le cadre de la Politique commune de la pêche – est celle de « Rendement maximum durable », ce qui n’est malheureusement pas une bonne nouvelle…
Par extension, ce « Rendement maximum durable » permet de définir un autre terme : la « surpêche ».

« Le Rendement maximum durable », késako ?

Ce concept a vu le jour juste après la Seconde Guerre mondiale,1Schaefer (1954) Some aspects of the dynamics of populations important to the management of the commercial marine fisheries. Inter-American Tropical Tuna Commission Bulletin. 1(2):23-56. cette dernière ayant permis d’observer la dynamique des populations de poissons en l’absence (ou quasi) de pêche. Pour faire simple, ce modèle nous dit trois choses :

  • Que lorsque l’effort de pêche – c’est-à-dire la capacité technologie et humaine mise en œuvre pour pêcher du poisson – est nul, rien n’est pêché (logique !) ;
  • Que lorsque trop d’effort de pêche est mis en œuvre et que tout est pêché, il ne reste plus rien (encore logique) ;
  • Et qu’il existe donc un effort de pêche intermédiaire pour lequel les captures sont maximisées : le fameux « Rendement maximum durable ».

Ainsi ce terme définit « la plus grande quantité de biomasse que l’on peut en moyenne extraire […] d’un stock halieutique […] sans affecter [son] processus de renouvellement ».1Henichart et al. (2011) Rendement maximal durable, concept et enjeux. En termes plus simples, il s’agit donc de la quantité maximale de poisson que l’on peut extraire année après année d’une population, sans mettre en danger le renouvellement de cette dernière.

Sous cette définition légèrement technique se cache donc une bien triste réalité : nous appelons « durable » une pêche qui maximise ses captures, dans la plus pure vision productiviste. Ainsi, comme le souligne le journaliste George Monbiot, on appelle une « population saine » un « stock sous-exploité »…2https://twitter.com/GeorgeMonbiot/status/1377681412338425857?s=20 Le corolaire étant que nous ne parlons de « surpêche » que quand nos captures ne sont plus maximisées pour l’espèce ciblée, à cause d’un effort de pêche trop important. Les impacts de cette pêche sur les autres espèces ou sur les habitats marins n’entrent aucunement en ligne de compte, malgré les promesses « d’approche écosystémique des pêches » par la Politique commune de la pêche européenne.

De fait, le concept de « Rendement maximum durable » a rapidement été vivement critiqué et n’a pas cessé de l’être depuis sa création. Ainsi, le Dr Sidney Holt – l’un des pères fondateurs de la gestion des pêches – l’a même considéré comme « la pire idée jamais conçue en gestion des pêches ».1Holt (2011) Maximum Sustainable Yield: the worst idea in fisheries management. Selon ce même chercheur, « sa poursuite comme objectif de gestion des pêches augmente la non-rentabilité des pêcheries, voire leur probabilité d’effondrement ». Le plus prudent serait donc de ne pas considérer cet indicateur comme l’ultime objectif à atteindre, mais bien comme une limite dont il ne faudrait pas trop s’approcher…2Pauly et Froese (2020) MSY needs no epitaph—but it was abused. ICES Journal of Marine Science.

Au-delà de ce problème fondamental, le concept de « Rendement maximum durable » est également critiqué car il se concentre uniquement sur les espèces ciblées, sans tenir compte du fait que les pratiques de pêche peuvent être destructrices (par exemple, les chaluts de fond) et capturer généralement de très grandes quantités d’espèces non ciblées (les soi-disant « captures accessoires »).

Par ailleurs, cet indicateur reste très mal évalué au niveau mondial, y compris dans les régions très développées. Ainsi, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) soulignait en janvier 2020 que parmi les plus de 330 espèces débarquées chaque année par les pêcheurs métropolitains français, seules 74 étaient évaluées (représentant 83% des débarquements) pour un ou plusieurs stocks. Sur les 164 stocks évalués au total, bon nombre manquent cruellement de données et ont donc un statut « inconnu ».1Biseau (2020) Diagnostic 2019 sur les ressources halieutiques débarquées par la pêche française (métropolitaine). Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), Issy-les-Moulineaux (France), p. 30.
Une étude plus ancienne de l’Association française d’halieutique avait montré en 2016 que seuls 42 stocks (représentant environ 90% des captures dans l’Atlantique du Nord-Est) étaient correctement évalués à l’époque, sur les 167 inventoriés par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM).
La situation est évidemment bien pire dans les régions moins développées comme l’Afrique, où le calcul des Rendements maximums durables reste totalement illusoire.2Le Manach et al. (2021) Questionning fishing access agreements towards social and ecological health in the Global South, AFD Research Papers. Agence Française de Dévéloppement (AFD), Paris (France), p. 39.

Un point sur l’état des stocks

D’après le dernier rapport publié par la FAO, 34,2% des stocks mondiaux sont aujourd’hui surexploités1La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, la durabilité en action, Rome, FAO, 2020. C’est trois fois plus que dans les années soixante-dix.
En Europe, la pression de pêche n’a pas diminué depuis 2013 et remonte même en Mer du Nord et dans la Baltique. 43% des stocks de poissons sont encore surexploités dans l’Atlantique Nord-Est et 83% en Méditerranée. L’Union européenne s’était engagée à mettre fin à la perte de biodiversité marine avant 2020, mais elle a échoué.

La pêche durable selon BLOOM

Pour BLOOM, il est donc absolument nécessaire de revenir à la définition originelle de la durabilité :

La durabilité est avant tout une affaire d’équité intergénérationnelle, de sortir les gens de la pauvreté.

Philip A. Loring, Université de Guelph, Canada

Cette justice intergénérationnelle – ce développement au service des populations les plus défavorisées pour les sortir de la pauvreté – ne sera obtenue qu’à deux conditions, qui forment le cœur de la vision de BLOOM : une relation saine et équitable entre les humains eux-mêmes et entre les humains et notre planète. C’est de cette manière que la notion de « durabilité » a pour la première fois été mentionnée dans le Rapport Brundtland « Notre avenir à tous » en 1987.1Report of the World Commission on Environment and Development: Our Common Future. Transmitted to the General Assembly as an Annex to document A/42/427 — Development and International Co-operation: Environment

Ainsi, notre vision d’une pêche durable n’est pas de maximiser les captures, d’autant plus si celles-ci sont réalisées par quelques multinationales ou pour une utilisation au rabais. Notre vision est de ne pêcher que ce dont nous avons besoin, avec les méthodes les plus douces pour l’environnement et donc les plus pourvoyeuses d’emplois. Si sur les 90 ou 100 millions de tonnes de poissons capturées chaque année, seules 20 rentrent dans ce cadre, alors ainsi soit-il (ce qui fait tout de même 3kg/an/personne).

Malheureusement, comme le dit également le chercheur Philip A. Loring,2Voir sa série de tweets. cette définition a depuis été tellement corrompue par une myriade d’intérêts industriels, que tout le monde a fini par l’oublier.

La pêche européenne et française, aux antipodes de la définition de la durabilité

Alors que la vaste majorité des navires de pêche fait moins de 12m de long et possède un moteur de moins de 100 kW, les 100 plus gros navires (soit 0,1% de la flotte) ont une puissance moteur équivalente à 60% de la flotte européenne !

Les européens ne sont pas en reste, que ce soit au large de l’Afrique de l’Ouest ou ailleurs dans l’Océan Atlantique. Par exemple en Afrique de l’Ouest, les plus grands navires européens comme le ANNELIES ILENA et le MARGIRIS (respectivement 144 et 143 m de long !) sont régulièrement actifs dans le cadre d’accords de pêche avec le Maroc et la Mauritanie, payés par les contribuables européens.1Le Manach et al. (2013) European Union’s public fishing access agreements in developing countries. PLOS ONE 8, e79899.

Ailleurs dans l’Océan Atlantique, citons par exemple la pêcherie danoise de sprat, lançon et tacaud qui capture chaque année jusqu’à un demi-million de tonnes de poissons – l’équivalent des captures françaises annuelles – à destination unique de l’élevage. Comme tant d’autres pratiques destructrices et délétères, cette absurde pêcherie est certifiée « pêche durable » par l’omniprésent label MSC (Marine Stewardship Council), qui impose sa vision pour le moins particulière de la pêche durable au monde entier.

Des intérêts très, très concentrés

Bien sûr, tout le poisson pêché par ces immenses navires industriels ne se retrouve pas toujours réduit en farine et consommé par des poulets ou des saumons. Il se retrouve aussi, souvent, dans nos assiettes. C’est par exemple le cas du thon, l’un des poissons favoris des français. Qu’il soit de l’espèce listao/bonite, germon/blanc ou albacore/jaune, on le retrouve le plus souvent en boîte, mais aussi de plus en plus en frais dans les sushi shop et poke bowl.

Contrairement à ce qu’essaye de nous faire croire Petit Navire (propriété du tentaculaire Thai Union, leader mondial des produits de la mer), il ne s’agit pas là d’une petite pêche côtière et vertueuse, au contraire. Les navires français impliqués dans cette pêche au thon font généralement plus de 80 m et sont actifs dans le Golfe de Guinée et le Canal du Mozambique, encore une fois dans le cadre d’accords de pêche très subventionnés.

Les acteurs de cette pêche sont trois en France :

  • Saupiquet — qui appartient au géant alimentaire italien Bolton — possède une flotte de quatre thoniers : le VIA ALIZÉ (67 m) pêche dans l’Océan Indien, le VIA AVENIR (78 m), le VIA EUROS (78 m) et le VIA MISTRAL (78 m) pêchent dans l’Océan Atlantique ;
  • La Compagnie française du thon océanique — qui appartient depuis 2016 au géant néerlandais de la pêche Parlevliet & Van der Plas (tout comme les autres groupes industriels français Euronor et la Compagnie des pêches de Saint-Malo) — possède une flotte de 14 thoniers de 61 m à 84 m actifs dans les océans indien et atlantique ;
  • La SAPMER – du groupe Bourbon et propriété de l’homme d’affaire Jaques d’Armand de Chateauvieux – qui possède une flotte de neuf thoniers actifs dans l’Océan Indien de 80 à 90 m, portant le plus souvent pavillon seychellois ou mauricien (pour raisons fiscales).

Par le biais de cette liste, nous voyons également émerger une autre tendance, au-delà de la captation et concentration des droits de pêche par quelques industriels : celle de l’emprise des intérêts néerlandais dans la pêche française, bien ressentie lors de notre campagne pour l’interdiction de la pêche électrique. Parlevliet & Van der Plas n’est pas le seul propriétaire d’armements français, puisque Cornelis Vrolijk est quant à lui propriétaire de France Pélagique, dont le tout dernier navire, le SCOMBRUS de 81 m de long, a fait couler beaucoup d’encre.

Une autre espèce de thon est bien connue du grand public : le thon rouge. Surexploité dans les années 1990 et 2000, sa population a, ces dernières années, connu un rebond très positif grâce à des mesures de gestion efficaces. Mais d’un point de vue social et économique – « d’équité intergénérationnelle » comme le dit Philip A. Loring – nous sommes très loin du compte : 79 % du quota de thon rouge français en 2021 ont été attribués à 22 thoniers détenus par une poignée de familles basées à Sète. La vaste majorité des petits pêcheurs côtiers est quant à elle laissée pour compte et menacée de poursuites judiciaires si jamais un thon rouge est pêché.

Ainsi, il apparaît clairement que la pêche européenne et a fortiori française n’ont rien de « durable », du point de vue originel de l’équité et des besoins des populations les plus démunies.

 

Le point de vue historique

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le problème de l’impact des activités humaines sur les ressources marines n’est pas récent. Ainsi, comme l’a souligné l’écologiste marin Jeremy Jackson dans un article paru en 2001, « les hommes ont perturbé les écosystèmes marins dès qu’ils ont appris à pêcher »1Jackson Jeremy et al., « Historical Overfishing and the Recent Collapse of Coastal Ecosystems », Science, 293 (5530), 27 July 2001, pp. 629-638. Cité par: Cury Philippe, Miserey Yves, Une Mer sans poissons, Paris, Calmann-Lévy, 2008.. Autrement dit, la surpêche n’est pas un phénomène récent. Elle s’inscrit, au contraire, dans une véritable continuité historique au cours de laquelle chaque nouveau bond technologique a permis d’aller plus loin, de pêcher plus et plus efficacement jusqu’à faire de la surpêche un problème d’ampleur mondiale.

L’industrialisation de la pêche

Les débuts de l’industrialisation

À l’instar d’autres secteurs, la pêche a commencé à être industrialisée à partir du XIXe siècle1Gascuel Didier, Pour une révolution dans la mer. De la surpêche à la résilience, Arles, Actes Sud, 2019, pp. 56-59. En Europe d’abord, puis aux États-Unis, au Japon, en Norvège, en Russie etc., l’introduction d’innovations technologiques – telles que les moteurs à vapeur puis à explosion, la mise au point de coques en acier, la réfrigération à bord, le chalut, les navires-usines etc. – a en effet permis aux flottes de démultiplier leur puissance de pêche et de réaliser des prises d’un niveau sans précédent.

En parallèle, des filières ont aussi commencé à se structurer ce qui a favorisé l’ouverture de nouveaux marchés. Grâce à l’essor des conserveries et à la révolution des transports, le poisson peut alors être acheminé plus facilement dans des régions éloignées des côtes2 L’historien Joël Cornette écrit au sujet du développement des conserveries en Bretagne : « L’arrivée du chemin de fer est évidemment un puissant stimulant : à partir de Quimper (1863), deux prolongements ont été effectués vers Pont l’Abbé et Douarnenez en 1884, ce qui a permis de relier directement les ports du littoral au marché national : c’est alors que la pêche puis les conserveries connaissent véritablement, pour une génération, leur âge d’or ». Cf. Cornette Joël, Histoire de la Bretagne et des Bretons. Tome 2. Des Lumières au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2014.. Seules les deux guerres mondiales marquent une pause dans ce processus et offrent aux stocks un répit de courte durée.

La course à la modernisation

En 1946, une conférence consacrée à la surpêche est organisée à Londres. L’essentiel des flottes ayant été détruit durant le conflit, il convient d’anticiper leur reconstruction afin d’éviter une nouvelle « escalade de kilowatts ». Mais faute d’accord entre les pays bordant la mer du Nord, la mise en garde n’est guère suivie d’actes. Au contraire, c’est avec le concours financier des États que les flottes sont reconstituées et, les filières, modernisées.

À cette époque, règne encore le mythe tenace d’un océan inépuisable3Gascuel Didier, Pour une révolution dans la mer. De la surpêche à la résilience, Arles, Actes Sud, 2019, pp. 53-55.. Selon cette logique, certains stocks peuvent certes enregistrer des variations de population mais il paraît encore difficilement concevable qu’un tel risque puisse exister à grande échelle. C’est ce changement scalaire qui se produit durant la seconde moitié du XXe siècle, période marquée par une extension mondiale des flottes.

L’expansion mondiale des flottes

Le rapide accroissement de la pression exercée sur les stocks conduit à une première réduction des prises près des côtes. Grâce à l’essor continu des technologies et en raison du principe de liberté des mers qui prévaut, les flottes suivent un processus de triple expansion : elles commencent d’abord par cibler de nouvelles espèces, puis s’éloignent des côtes avant de mettre en exploitation des stocks des grandes profondeurs. Aujourd’hui, une quatrième dimension est venue s’ajouter : la capacité à détecter du poisson4 https://www.seaaroundus.org/new-technology-allows-fleets-to-double-fishing-capacity-and-deplete-fish-stocks-faster/.

Provenance des débarquements en 1950. Source: Sea Around Us.

Provenance des débarquements en 2018. Source: Sea Around Us.

Un désastre financé par les États

Le soutien précoce des États

Historiquement, les États ont soutenu politiquement et financièrement les changements technologiques intervenus dans le secteur de la pêche. Tel était déjà le cas en Angleterre au XVIIIe siècle comme l’a décrit l’économiste écossais Adam Smith (1723-1790). De même aux Pays-Bas où les aides favorisent la naissance de compagnies privées de pêche1Poulsen Bo, Dutch herring. An environmental history, c. 1600-1860, Amsterdam, Aksant, 2008, p.74.. En France, c’est la pêche morutière qui bénéficie de subventions à partir de 1815 afin de reconstruire les flottes qui ont été détruites durant la Révolution et les guerres napoléoniennes2Gascuel Didier, Pour une révolution dans la mer. De la surpêche à la résilience, Arles, Actes Sud, 2019, p.45..

Au XIXe siècle, d’autres pays empruntent cette même voie. En Russie, de jeunes entrepreneurs désireux de développer la chasse industrielle à la baleine sur le modèle norvégien reçoivent ainsi plusieurs milliers de roubles pour mener à bien leurs projets3Tønnessen Johan Nicolay, Johnsen Arne Odd, The History of Modern Whaling, trad., Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1982,p. 131; Hart Ian B., « Modern Russian Whaling in the Far East », Marine Fisheries Review, 70 (1) 2008.. Simultanément, le Japon – dont le nouveau régime cherche à faire de l’archipel une puissance économique à part entière – encourage l’importation des techniques occidentales, y compris dans le domaine de la pêche4Ito Kenji, « La science occidentale sous la restauration Meiji. Mimétisme ou appropriation intelligente ? », in : Pestre Dominique (Éd.), Histoire des sciences et des savoirs. 2. Modernité et globalisation, Paris, Seuil, 2015, pp. 348-365..

Le tournant productiviste d’après-guerre

Après la Seconde Guerre mondiale, la nécessité de reconstruire les flottes et de moderniser les filières conduit les gouvernements à accorder de substantielles aides financières au secteur de la pêche. En retour, ces injections massives de capitaux ont favorisé la surcapacité chronique des flottes (trop de bateaux qui sont également trop puissants) et contribué, de fait, au maintien d’une pression disproportionnée sur des ressources de plus en plus rares.

Dix ans après l’adoption de la Convention sur le droit international de la mer en 1982, la FAO publie un rapport qui dresse un bilan particulièrement négatif. Alors que la possibilité pour les États côtiers d’être souverains au sein de leurs Zones économiques exclusives (les « ZEE » instituées par la Convention de Montego Bay) avait été considérée comme un moyen privilégié de freiner la surpêche, les auteurs notent au contraire que « La situation s’est généralement aggravée par comparaison à celle qui prévalait [en 1982, lors de la signature de la Convention de Montego Bay]. Le gaspillage économique a atteint une ampleur considérable ; on observe une aggravation générale de l’épuisement des ressources, au fur et à mesure du déplacement de l’effort de pêche le long de la chaîne alimentaire ; le milieu marin est de plus en plus détérioré ; les conflits se sont étendus et les difficultés auxquelles les petits pêcheurs se trouvent confrontés se sont aggravées »5FAO, Pêche maritimes et droit de la mer : dix ans de mutation, Rome, FAO, 1994.. Parmi les causes identifiées, les subventions publiques sont particulièrement pointées.

Des écosystèmes mondiaux en péril

Les premiers signaux d’épuisement

Dès le XIXe siècle, les captures connaissent des fluctuations importantes dans plusieurs zones. Si celles-ci sont alors le plus souvent attribuées à des variations environnementales, certains scientifiques commencent néanmoins à pointer la responsabilité des activités de pêche. C’est un biologiste écossais, John Cleghorn, qui évoque le problème de la surpêche lors d’un congrès de la British Association for the Advancement of Science (BAAS) en 1854. Il y présente ses travaux sur les fluctuations de harengs et conclut qu’un effort de pêche excessif pourrait être à l’origine de la chute des captures.

D’autres pays ayant des flottes industrielles sont confrontés à des difficultés similaires. En Norvège, le biologiste Georg Ossian Sars est officiellement chargé de déterminer les causes des variations des stocks de morues aux îles Lofoten en 1864. De même aux États-Unis où la US Fish Commission est créée en 1871 et reçoit pour mission d’enquêter sur les phénomènes de diminution des poissons dans les eaux côtières et les lacs.

Une erreur serait en revanche d’interpréter ces initiatives comme les marqueurs de préoccupations écologiques. Rappelons en effet que cette demande d’expertise de la part des États vise, à ce moment, à rassurer les banques ayant investi dans le développement d’un secteur jugé prometteur1Smith Tim D., Scaling Fisheries: The Science of Measuring the Effects of Fishing, 1855-1955, 2nd ed., Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 10.. Autrement dit, la science halieutique telle qu’elle se structure doit alors répondre à des impératifs d’exploitation et non de conservation.

Le début des coopérations internationales

Confrontés aux mêmes difficultés, plusieurs États – Allemagne, Danemark, Finlande, Norvège, Pays-Bas, Russie et Suède – décident de fonder le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) en 1902. Bien qu’il n’ait pas encore le statut d’organisation internationale – il faut attendre 1964 -, le CIEM constitue l’une des toutes premières initiatives multilatérales en matière scientifique. À sa création, le conseil créé deux comités respectivement chargés d’étudier A) la migration d’espèces comestibles et B) le problème de la surexploitation des ressources par les chalutiers opérant en mer du Nord. Les membres de ce dernier proposèrent, pour la première fois, une définition de la surpêche mais qui fut vivement critiquée car jugée trop simpliste2Pour mieux connaître l’histoire du CIEM, on se reportera utilement à l’ouvrage de l’historienne américaine Helen Rozwadowski : The Sea Knows No Boundaries. A Century of Marine Science under ICES, Copenhagen-Seattle, ICES-University of Washington Press, 2002..

Simultanément, l’industrialisation galopante du secteur de la pêche se traduit également par le déclin spectaculaire de certaines espèces emblématiques. Durant les années 1930, la disparition des populations de baleines due à la chasse intensive conduit, par exemple, à l’adoption de deux conventions internationales : 1) la Convention pour la réglementation de la chasse à la baleine conclue en 1931 à Genève et 2) l’Accord international pour la réglementation de la chasse à la baleine signée à Londres en 1937. Cependant, les principales nations baleinières – Allemagne, Chili, Japon et URSS – n’étant pas parties à ces accords, les deux dispositifs échouent.

Citons encore le cas de la Commission internationale du flétan du Pacifique. Créée en 1923, elle a été instituée par le traité sur le flétan conclu entre le Canada et les États-Unis afin de mettre en place des mesures de conservation pour protéger cette espèce évoluant dans le nord de l’océan Pacifique3https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/traite-du-fletan.

L’ébauche de gouvernance mondiale

Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses organisations régionales de gestion des pêches (ORGP) ont été créées afin de gérer les stocks de poisson, soit en suivant une approche par espèce, soit par aire géographique. Comme le signale le juriste Patrick Chaumette, « il s’agit de maintenir les stocks à un niveau optimal permettant un maximum de captures, d’augmenter les connaissances scientifiques sur les stocks commercialisables et de faciliter la coopération des États membres riverains ou exploitant la ressource » 4Chaumette Patrick (Éd.), Droits maritimes 2021/2022, 4e éd., Paris, Dalloz, 2021, p. 1421.. Pour ce faire, les ORGP – qui sont aujourd’hui une cinquantaine – mobilisent les outils développés par les scientifiques des pêches après -guerre, en particulier le fameux Rendement maximal durable (RMD).

Bien que leur rôle ait été confirmé par la Convention sur le droit international de la mer adoptée à Montego Bay en 1982 et, plus encore, par les Accords de l’Organisation des Nations unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO) de 1995 sur les stocks chevauchants et les grands migrateurs, toutes les ORGP n’ont pas le même niveau d’efficacité5Cullis-Suzuki Sarika, Pauly Daniel, « Failing the High Seas: A Global Evaluation of Regional Fisheries Management Organizations », Marine Policy, 34, 2010, pp. 1036-1042.. Celui-ci dépend à la fois des normes qu’elles ont instaurées et du niveau de coopération dont les États qui les composent font preuve.

Le tournant des années 1990

Au début des années 1990, dans un contexte marqué par la montée en puissance des enjeux environnementaux et suite à l’effondrement spectaculaire des stocks de morues à Terre-Neuve, le problème de la surpêche est intégré à l’agenda international. Outre l’adoption des accords de la FAO en 1995, l’élimination des subventions qui favorisent la surcapacité et encouragent la surpêche commence également à être envisagée. À peine créée, l’OMC (Organisation mondiale du commerce) apparaît comme la structure idoine pour remédier à ce problème structurel. En 2001, des négociations ont officiellement été ouvertes en vue de trouver un accord international. Mais du fait des intérêts économiques en jeu et des divergences entre pays développés et en développement, les négociations n’ont jusqu’à présent jamais abouti.

Au niveau européen, la dégradation des stocks conduit à une première réforme de la PCP (Politique commune de la pêche) en 1992. Ce nouveau cadre vise notamment à rétablir l’équilibre entre les capacités de pêche et les possibilités de captures. Mais faute d’avoir obtenu les résultats escomptés, une deuxième réforme est intervenue en 2002. Parmi les mesures prises pour lutter contre la surpêche, les législateurs ont notamment interdit les aides à la construction de navires de pêche neufs et certaines aides à la modernisation. Bien que ces dispositions aient permis d’enregistrer une amélioration de l’état des stocks européens, les mesures prises sont pourtant loin d’être suffisantes et des retours en arrière ne sont pas à exclure, comme en témoigne la récente réintroduction des aides à l’acquisition de navires neufs dans le futur FEAMPA (2021-2027).

Si la surpêche est loin d’être un problème exclusivement contemporain, celui-ci a pris une ampleur jusque-là inégalée. À ce titre, il constitue aujourd’hui un risque global et appelle une mobilisation individuelle et collective des États afin de préserver les ressources marines des appétits privés.

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