08 octobre 2024
Alors que la mer Méditerranée est en proie à des canicules marines sans précédent et que la surpêche y fait des ravages, la France propose, dans une consultation publique qui vient de se clore, une énième mesure de protection de ses eaux qui, loin de répondre aux véritables enjeux écologiques, poursuit purement et simplement une politique du chiffre. Il est temps pour le gouvernement de prendre les mesures essentielles pour le climat, la biodiversité et l’avenir de la pêche en mer Méditerranée en engageant enfin un plan de déchalutisation de la flotte française, et en protégeant effectivement ses aires marines dites protégées, et pourtant bien chalutées.
Du 18 septembre au 8 octobre 2024, la France a ouvert une consultation publique pour étendre la surface interdite au chalutage en Méditerranée. Actuellement fixée à 1.000 mètres de profondeur, le gouvernement propose d’abaisser cette limitation à 800 mètres pour les chaluts battant pavillon français dans la zone de Méditerranée occidentale.
Alors que des scientifiques ont demandé dès 2019 dans le cadre du groupe de travail sur les aires marines protégées de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (CGPM) d’interdire le chalutage de fond au-delà de 600 mètres de profondeur, et alors que la stratégie globale de l’Union européenne pour l’année 2024 vise à « réduire l’effort de pêche pour les chalutiers en Méditerranée occidentale de 9,5 % afin de protéger les stocks démersaux », BLOOM déplore le manque d’ambition de ce projet d’arrêté qui, loin de répondre à l’urgence climatique et environnementale, protège une zone extrêmement restreinte et aujourd’hui déjà exempte de pêche.
A ce jour, le chalutage est interdit dans l’ensemble du bassin méditerranéen pour les profondeurs dépassant les 1.000 mètres, couvrant une zone de 1.460.000 km2. En 2023, la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (CGPM) a entamé un processus de révision de la limitation de la profondeur pour les opérations de pêche sur l’ensemble de son bassin qui devrait aboutir en 2025. Ce faisant, la CGPM souhaite amener les pays méditerranéens à s’atteler enfin à la protection des écosystèmes marins profonds.
Dans ce contexte, divers États ont fait passer ou souhaitent faire passer la limitation de 1.000 mètres à 800 mètres. Une mesure à l’impact relativement limité, puisque cette nouvelle norme ne permettrait d’accroître la surface protégée du chalutage que d’environ 100.000 km2 à l’échelle du bassin méditerranéen.
Surface couverte par les bathymétries de 800 à 1.000 mètres dans la zone économique exclusive française de Méditerranée. Carte réalisée par BLOOM.
Par ailleurs, les données fournies par Global Fishing Watch indiquent qu’aucun chalutier français de plus de 15 mètres n’a exercé d’activité de pêche en 2023 dans les zones concernées par la consultation publique. L’effort déployé par les chalutiers français dans ces zones est donc infinitésimal, et les effets de la proposition du gouvernement nulle.
De nombreux travaux ont montré le non-sens économique autant qu’écologique que constitue la pêche de grands fonds. Une étude parue dans Current Biology relève à ce propos l’absurdité totale du chalutage au-delà 600 mètres : « Le rapport entre la biomasse rejetée et la biomasse commerciale, et le rapport entre les élasmobranches (requins et raies) et la biomasse commerciale augmentent de manière significative entre 600 et 800 m de profondeur, tandis que la valeur commerciale diminue. Ces résultats suggèrent que la limitation du chalutage de fond à une profondeur maximale de 600 m pourrait être une stratégie de gestion efficace qui répondrait aux besoins des législations européennes telles que la politique commune de la pêche ».
Par ailleurs, alors que l’UE interdit depuis 2006 la pratique du chalutage au sein des aires marines protégées (AMP) de Méditerranée abritant des écosystèmes particulièrement sensibles tels que les coraux et les herbiers marins, la France viole délibérément le droit européen en autorisant cette pratique. Mais au-delà même de ces AMP abritant des habitats particulièrement vulnérables, la France doit interdire le chalutage dans l’ensemble de ses AMP conformément au plan d’action pour l’océan de l’Union européenne et aux multiples recommandations scientifiques extrêmement claires à ce sujet.
Enfin, à l’heure où le bilan catastrophique du chalutage sur les plans climatique, économique, social et environnemental n’est plus à prouver, et que cette filière est maintenue à flot artificiellement par des subventions publiques massives, la France doit amorcer sans plus attendre un plan de déchalutisation de sa flotte pour mettre un terme à cette pratique désastreuse.
Combiner une interdiction du chalutage au-delà des 600 mètres de profondeur avec un plan de déchalutisation de la flotte française, et une interdiction immédiate du chalutage dans les aires marines française dites « protégées » aurait l’avantage, contrairement à la proposition du gouvernement lors de cette consultation publique, de passer d’une politique du chiffre à une réelle politique de protection et de transition. Ces mesures permettraient :
Avec cette mesure relevant d’une pure politique du chiffre, la France s’enfonce encore un peu plus dans l’hypocrisie environnementale, déjà dénoncée par la prestigieuse revue scientifique Nature, se retrouvant de fait à des années-lumière du rôle de championne de l’océan qu’elle revendique pourtant à grand renfort de communication. Face à des décennies de surpêche chronique, il est urgent d’interdire les méthodes de pêche destructrices, à commencer par là où la pression de pêche se fait la plus intense.
Lors de la COP27 en novembre 2022, le Président français avait déclaré, à propos de l’exploitation minière : « La France soutient l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. J’assume cette position et la porterai dans les enceintes internationales. »
Par souci de cohérence, la France ne peut, d’un côté, reconnaître l’extrême fragilité des grands fonds au point de promouvoir un moratoire sur l’exploitation minière, et de l’autre autoriser la destruction de ces mêmes fonds marins, aussi bien côtiers que profonds, en permettant aux chalutiers d’y racler leurs filets, détruisant tout sur leur passage.
Au regard de l’urgence climatique, environnementale chaque jour plus criante, et alors que la France accueillera la troisième Conférence des Nations unies pour l’océan à Nice, en juin 2025, elle doit prendre ses responsabilités et annoncer sans plus attendre, conformément aux recommandations scientifiques, l’interdiction du chalutage dans ses AMP ainsi que dans l’ensemble de ses eaux méditerranéennes au-delà de 600 mètres de profondeur, et engager un plan de déchalutisation de sa flotte.
Pour inciter à la réduction de l’effort de pêche au chalut sur certaines zones, l’Union européenne a mis en place un système de mesures compensatoires. En mettant en place ces mesures compensatoires, les États membres peuvent alors récupérer des jours de pêche supplémentaires.
Par exemple, à l’issue du Conseil des ministres de la pêche en décembre 2023, « les ministres sont convenus de continuer de recourir au mécanisme de compensation qui a été mis en place pour la première fois en 2022, et d’allouer jusqu’à 6 % de jours supplémentaires aux chalutiers éligibles qui satisfont à des exigences spécifiques, afin d’inciter à une plus grande protection du stock ». Parmi ces exigences spécifiques, il est notamment possible de récupérer des jours de pêche si « l’État membre concerné a fixé une fermeture pour les activités de pêche avec des chalutiers à une profondeur supérieure à 800 m ».
Alors que la mer Méditerranée est sujette à une surpêche chronique, ces mesures compensatoires introduites pour satisfaire le lobby du chalut témoignent de l’absence de volonté des États de mettre fin aux techniques de pêche destructrices. Il est inconcevable que la fermeture d’une zone au chalutage entraine un report voire une augmentation de l’effort de pêche au chalutage sur d’autres zones, ce qui réduirait à néant tous les efforts de transition du secteur pour permettre la protection des espèces et la restauration des écosystèmes marins. Si la France veut rester cohérente en engageant un vrai plan de protection de ses écosystèmes et de déchalutisation de sa flotte, elle devra impérativement veiller à ce que l’interdiction progressive du chalutage ne permette pas de telles dérives, complètement contre-productives pour l’avenir de l’océan.
Le 21 octobre 2024, la France entérine toute ambition environnementale en publiant discrètement le nouvel arrêté faisant suite à la consultation publique. Sans se soucier des contributions déposées, le gouvernement acte la bathymétrie des 800 mètres comme seuil d’interdiction, avec pour seul prétexte qu’il serait « prématuré d’agrandir cette zone de fermeture ».
Pourtant, les trois quarts des contributions déposées demandent explicitement de passer l’interdiction à la bathymétrie 600 mètres, afin d’agrandir la zone de fermeture et protéger un nombre plus important d’écosystèmes et d’espèces. A l’heure où les chalutiers opèrent encore en toute tranquillité dans les aires marines dites « protégées » de Méditerranée, l’immense majorité des contributions demande très clairement la fin du chalutage dans les AMP et la nécessité d’engager urgemment un plan de déchalutisation de la flotte française. Les contributions émanant de la société civile dénonçent également le double discours de la France entre son ambition à protéger les fonds marins de l’extraction minière tout en continuant à autoriser la pratique dévastatrice du chalutage de fond.
Par ailleurs, la quasi-totalité des contributeurs ont dénoncé le non-sens de la mesure compensatoire visant à octroyer des jours de pêche supplémentaires aux chalutiers français alors que ceux-ci ne sont même pas impactés par l’interdiction. Loin de reconnaître une telle absurdité, le gouvernement s’entête à confirmer cette mesure dans son document de synthèse. Allant encore plus loin dans l’hypocrisie, le document justifie que ces jours supplémentaires « permettent tout juste d’arriver au seuil de rentabilité des navires », sans préciser que les chalutiers sont déjà maintenus à flot de manière complètement artificielle à coup de subventions publiques massives, notamment via la détaxe gasoil dont ils bénéficient. Et de conclure que « la politique commune des pêches contient trois piliers dont le socio-économique qu’il faut prendre en compte dans la fixation des mesures de gestion », balayant ainsi sans ménagement le pilier de la « durabilité environnementale » que la communauté scientifique ne cesse pourtant d’appeler de ses vœux pour une transition urgente du secteur de la pêche.
Crédit image: White cold water coral, Madrepora oculata, and crinoids, Leptometra phalangium. OCEANA / LIFE BaHAR for N2K
30 septembre 2024
Dans un contexte d’urgence à agir pour le climat, la biodiversité et la justice sociale, BLOOM et ClientEarth saisissent le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’interdiction du chalutage dans les aires marines dites « protégées » de Méditerranée abritant les écosystèmes les plus vulnérables, conformément au droit européen.
21 septembre 2024
La décision du Conseil d’État fera date. Après avoir clarifié en 2020 et 2021 que les engagements pris par l’État en matière de réduction d’émissions de gaz à effet de serre étaient bel et bien contraignants[1], le Conseil d’État est de nouveau appelé à juguler l’inaction climatique du gouvernement en se prononçant sur le deuxième levier le plus efficace pour endiguer le réchauffement du climat : la protection des écosystèmes.
19 septembre 2024
Vendredi 20 septembre se tiendra au Conseil d’État une audience cruciale pour l’avenir de l’océan, du climat et donc de nos sociétés. La France possède le premier espace maritime européen et le deuxième au niveau mondial, mais a jusqu’ici lamentablement échoué à protéger autre chose que le minuscule lobby du chalut(1) qui ravage, sans relâche, l’espace maritime français, y compris dans les zones supposément « protégées ».