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13 septembre 2023

La grande distribution et le MSC alliés dans la destruction de l’océan

Dans un nouveau rapport de notre série « Tuna Gate », nous dénonçons le jeu dangereux du label MSC (« Marine Stewardship Council ») et de la grande distribution, alliés dans la destruction des écosystèmes marins. En effet, ceux-ci semblent avoir abandonné – face au profit – toute ambition en ce qui concerne la « durabilité » de la pêche la plus lucrative au monde : celle du thon tropical.

Nous montrons que depuis que la première pêcherie thonière a été certifiée en 2007, les volumes certifiés par le MSC ont été multipliés par 730, passant de trois millions de kilos à plus de 2,2 milliards de kilos (soit environ la moitié des captures mondiales de thon, et la tendance est à la hausse). La prédominance des captures de thon effectuées grâce à des « dispositifs de concentration de poissons » (DCP), responsables de la mort de millions de thons juvéniles chaque année, ainsi que d’espèces sensibles telles que les requins et les tortues, est particulièrement inquiétante (1) : bien que le MSC lui-même considère que « la résolution des problèmes liés à la pêche sous DCP est essentielle pour la santé et la productivité de nos océans » (2), les captures réalisées grâce aux DCP représentent aujourd’hui plus de la moitié des volumes certifiées par le MSC.

En cautionnant volontairement le MSC et en lui versant des redevances pour l’utilisation de son logo, nous considérons que la grande distribution porte une responsabilité majeure dans l’effondrement en cours de la biodiversité mondiale. Nous demandons à ses acteurs de prendre rapidement leurs distances avec l’imposture du MSC et de commencer à mettre en œuvre des politiques d’achat indépendantes et réellement ambitieuses.

Une évolution dramatique au cours de la dernière décennie

Jusqu’en 2011, 100% des pêcheries de thon certifiées par le MSC étaient à petite échelle et à faible impact, utilisant des engins tels que la canne et la ligne, avec des captures annuelles d’environ 45 millions de kilos. La situation a radicalement changé à la fin de l’année 2011, lorsque la plus grande pêcherie de thon au monde (la pêcherie « PNA », dans le Pacifique Ouest) a été certifiée. Toutefois, seule la partie des captures de cette pêcherie qui n’était pas associée à des DCP hautement destructeurs – environ un demi-milliard de kilos par an – a été certifiée, grâce à un processus ubuesque appelé « compartimentation » des captures.

Dans le cadre de la réévaluation de la pêcherie PNA en 2016 (3), BLOOM et un large éventail de parties prenantes ont lancé la campagne « On the Hook » en août 2017, après des mois d’échanges infructueux avec le MSC. Cette campagne a abouti à l’annonce par le MSC de la fin de la possibilité de « compartimenter » les captures en janvier 2018, bien que leurs normes n’aient été modifiées qu’en mars 2020, autorisant de fait la compartimentation jusqu’en 2023.

Mais avec la fin de la compartimentation, les espoirs de la société civile ont été déçus, puisqu’en novembre 2018, la première pêcherie utilisant des DCP dérivants – de l’armateur espagnol « Echebastar » – a été certifiée, avec des captures de 30 à 40 millions de kilos par an. Initialement, la certification de cette pêcherie n’avait pas été accordée en 2015, mais le MSC l’a ensuite sélectionnée en 2017 comme pêcherie pilote pour son nouveau « processus d’évaluation simplifié », ce qui, cette fois-ci, a abouti à la certification de la pêcherie, provoquant l’indignation de la communauté des ONG. Dans un cas flagrant de conflits d’intérêts, le MSC a même offert 5 000 £ à Echebastar comme incitation financière à devenir une pêcherie pilote pour tester son évaluation simplifiée, et leur a ensuite accordé une bourse de 50 000 £ pour « améliorer la durabilité des opérations de pêche qui utilisent des dispositifs de concentration de poissons (DCP) dans l’océan Indien » ! (4).

Dès lors, les captures des pêcheries certifiées MSC utilisant des DCP ont explosé ; elles représentent aujourd’hui plus de la moitié des captures totales de thon certifiées dans le monde, soit 1,2 des 2,2 milliards de kilos, et près de la moitié des captures de thon dans le monde sont déjà certifiées MSC. Cette tendance est loin de ralentir et le MSC est en passe de certifier 100 % des pêcheries de thon dans le monde d’ici quelques années. De ce fait, la pêcherie PNA est actuellement réévaluée pour la troisième fois, mais cette fois pour certifier l’ensemble de ses captures, y compris la partie associée aux DCP, portant le total annuel de ses captures à environ 1,5 milliard de kilos.

Les DCP sont-ils devenus durables au fil du temps ?

Absolument pas. En réalité, ils sont même devenus plus efficaces et plus destructeurs. Le MSC a simplement redéfini ses normes afin de pouvoir profiter du marché très lucratif du thon, tout comme les distributeurs intéressés par la vente de thon prétendument « durable ». Comme nous l’avons déjà montré dans notre rapport « La guerre des thons », ces radeaux hautement technologiques continuent de représenter une menace dramatique pour les populations de thon et pour toutes les autres formes de vie marine. Ils représentent l’élément clé de la dérive technologique qui a conduit à une pêche au thon de plus en plus efficace et mortelle au fil des ans. Les certifier, c’est légitimer la destruction de l’océan.

Cela étant dit, certifier la pêche industrielle et écocide n’a rien de nouveau pour le MSC. En 2019, BLOOM avait déjà démontré que le label MSC était une imposture, puisque 83% de ses volumes certifiés provenaient de pêcheries destructrices utilisant des engins à fort impact tels que les chaluts de fond et les dragues, en contradiction flagrante avec les principes de « durabilité » qu’il prétend promouvoir (5). En fait, le MSC exclut uniquement l’utilisation d’explosifs et de poisons de son champ d’application, ce qui signifie que toute autre méthode de pêche, quelle que soit la taille des navires qui l’utilisent, est considérée comme certifiable.

Le summum de l’absence d’éthique : cibler les dauphins pour pêcher des thons

En ce qui concerne les pêcheries de thon, les certifications choquantes ne concernent pas seulement celles qui utilisent des DCP destructeurs : en septembre 2017, la pêcherie « Northeastern Tropical Pacific Purse Seine yellowfin and skipjack tuna » a été certifiée (6). Cette pêcherie mexicaine, autoproclamée Alliance du Pacifique pour une pêche durable (« Pacific Alliance for Sustainable Tuna » ; PAST), capture environ 100 à 130 millions de kilos de thon par an en… ciblant les dauphins. Dans l’océan Pacifique Est, les thons sont en effet connus pour s’associer aux bancs de dauphins. Leur capture à l’échelle industrielle avec cette technique entraîne donc la mort de centaines de dauphins par an (7), mais cela ne semble pas gêner le MSC…

En mars 2023, la certification de cette pêcherie a été suspendue parce qu’elle a tardé à fournir des éléments censés montrer que les interactions de la flotte avec les dauphins étaient acceptables. Depuis lors, la pêcherie est apparemment « en transition vers le MSC » (8) et pourrait donc être à nouveau certifiée dans un avenir proche. Selon le site web du MSC, une autre pêcherie capturant du thon en ciblant les dauphins – en plus d’utiliser des DCP – est en cours d’évaluation en vue d’une certification (9). Dans un effort évident de greenwashing, cette pêcherie s’est également autoproclamée durable (« Atún sostenible EPO Panamá »).

Un modèle économique qui repose sur des pêcheries industrielles à fort impact

On ne peut que se demander pourquoi le MSC – qui prétend être une « organisation scientifique » et « à but non lucratif » – continue d’autoriser la certification de tant de pêcheries qui sont manifestement incompatibles avec la préservation de la biodiversité. La réponse est simple : l’argent. En 2023, le MSC a indiqué sur son site web que 88 % de ses derniers revenus annuels, soit près de 30 millions d’euros, provenaient d’« activités caritatives (licences d’utilisation du logo) », une formulation pudique pour désigner les redevances que la grande distribution paye lorsqu’elle choisit d’utiliser le logo MSC sur les produits de la mer qu’elle vend (10).

BLOOM appelle la grande distribution à prendre ses responsabilités

Les distributeurs ont une responsabilité majeure dans cette imposture, car non seulement ils choisissent délibérément de contribuer à la majeure partie des revenus du MSC (près de 30 millions d’euros de redevances prélevés sur les logos vendus en 2022), mais aussi en faisant activement la promotion du MSC lors d’événements dédiés – tels que la « Semaine de la pêche durable » de Carrefour – et en le mettant en avant dans leurs politiques d’approvisionnement durable, dans lesquelles la certification MSC est fréquemment mentionnée comme la seule « norme » pour sélectionner des produits de la mer « durables ».

Une vague d’actions en justice a déjà commencé à déferler sur le MSC et ceux qui décident de l’utiliser pour prétendre que leurs politiques d’achat sont durables. Il n’est pas trop tard, et cette vague peut encore se dégonfler. 

Nous exhortons les acteurs de la grande distribution du monde entier à enfin relever les défis auxquels l’humanité est confrontée, à prendre leurs distances avec le label et à s’engager dans une transformation réelle et sérieuse de leurs approvisionnements afin de les rendre réellement durables. 

Notes et références

(1) Voir notre précédent rapport « La guerre des thons ». Disponible à : https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2023/04/guerre-des-thons.pdf.

(2) Voir le site promotionnel du MSC pour la pêcherie PNA, la plus grande pêcherie thonière au monde. Disponible à : http://pna-stories.msc.org/.

(3) Ces réévaluation sont réalisées tous les cinq ans, pour toutes les pêcheries certifiées MSC.

(4) https://shorturl.at/npu17.

(5) Voir notre précédente étude « L’imposture du label MSC ». Disponible à : https://bloomassociation.org/imposture-msc/

(6) https://shorturl.at/apqy6.

(7) https://shorturl.at/dvzE0.

(8) https://shorturl.at/sux03.

(9) https://shorturl.at/hNW35.

(10) Ces redevances ne sont pas versées directement au MSC, mais à sa filiale commerciale – « MSC International » – qui, à son tour, reverse l’ensemble de ses revenus vers sa société mère sous la forme d’un don caritatif, obtenant ainsi une exonération fiscale sur ses revenus commerciaux, blanchis en dons caritatifs. Voir le rapport financier du MSC pour l’année 2022. Disponible à : https://shorturl.at/swKN3.

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