16 août 2023
Après des mois de lobbying, l’Union européenne a obtenu le retrait d’une résolution cruciale pour la protection marine adoptée en février dernier au sein de la Commission thonière de l’océan indien.
Le 5 février dernier, les pays côtiers de l’océan Indien avaient réussi un véritable tour de force, en obtenant in extremis (par 16 voix sur 23 ; tout juste la majorité des deux-tiers requise) l’adoption de la résolution 23/02, instituant une première interdiction saisonnière des « dispositifs de concentration de poissons » (DCP) dans l’océan Indien1https://bloomassociation.org/premiere-etape-decisive-pour-proteger-le-thon-dans-locean-indien-malgre-lopposition-acharnee-de-lue/, comportant la fermeture de l’utilisation des DCP pendant 72 jours tous les ans. Des interdictions similaires sont déjà appliquées dans tous les autres océans par mesure de conservation et par principe de précaution.
Les DCP sont largement considérés comme une grave menace pour les écosystèmes marins du monde entier. Même les représentants de l’industrie reconnaissent ouvertement que les DCP ont un impact catastrophique, comme en témoigne Adrien de Chomereau, PDG de la Sapmer — l’une des trois sociétés françaises qui ciblent le thon tropical — qui a déclaré que « le moins de DCP possible, c’est la voie de la vertu »2https://lemarinblog.wordpress.com/2016/09/22/la-reunion-les-voyants-sont-au-vert/.
Or, coup de tonnerre : en plein de cœur de l’été, cette résolution absolument cruciale vient d’être annulée, à la suite du lobbying intense de la Commission européenne et des lobbies européens de la pêche thonière, qui n’ont pas hésité à utiliser mensonges et pression financière pour obtenir l’annulation de cette mesure indispensable.
Depuis ses origines, cette résolution a été la source de tensions incroyables et de retournements de situation tous plus ubuesques les uns que les autres.
Tout a commencé le 3 février dernier. Le Kenya — fer de lance de cette demande d’interdiction depuis des années — devait mener la bataille pendant la session spéciale de la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI) à Mombasa (Kenya) : mais le chef de délégation Kenyan avait unilatéralement décidé lors de sa prise de parole introductive de retirer sa proposition, à la plus grande surprise de ses 11 cosignataires.
Nous avions appris peu de temps après que le Kenya était en réalité sous pression maximale de la Commission européenne, qui avait mis dans la balance son partenariat économique contre le retrait de cette résolution ! Et pour cause, celle-ci ne plaisait pas du tout aux industriels européens, dont les captures dépendent quasi exclusivement des DCP dans l’océan Indien. Sonnés, les Maldives et l’Indonésie avaient néanmoins repris le flambeau et réussi à obtenir 16 voix sur les 23 pays votants, tout juste la majorité requise des deux tiers pour faire adopter la résolution 23/02.
Malheureusement, la CTOI étant une émanation des Nations Unies, une résolution votée dans le plus grand respect des processus démocratiques peut… ne pas être contraignante du tout, voire être annulée. En effet, si un pays membre de la CTOI ne souhaite pas voir une résolution s’appliquer à ses flottes, il lui suffit d’y faire objection dans les 120 jours suivant son adoption. Et si un tiers des pays membres de la CTOI — soit 11 — font objection dans les 180 jours3Si une objection est faite dans les 120 premiers jours, 60 jours additionnels sont donnés, selon le règlement de la CTOI. suivant l’adoption de la résolution, cette dernière devient alors caduque.
Sous pression de l’Union européenne et des intérêts franco-espagnols depuis le premier jusqu’au dernier jour, c’est exactement ce qu’il s’est passé. Une succession d’objections a, depuis février, inéluctablement conduit à l’annulation de cette résolution tant nécessaire : les Comores4https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/02/Circular_2023-11_-_Communication_from_ComorosE.pdf et Oman5https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/02/Circular_2023-12_-_Communication_from_OmanE.pdf le 23 février, le Kenya (passé de fer de lance à opposant !) le 2 mars6https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/03/Circular_2023-14_-_Communication_from_KenyaE.pdf, les Seychelles le 17 mars7https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/03/Circular_2023-19_-_Communication_from_SeychellesE.pdf, les Philippines le 21 mars8https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/03/Circular_2023-20_-_Communication_from_PhilippinesE.pdf, l’Union européenne le 11 avril9https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/04/Circular_2023-26_-_Communication_from_the_European_UnionE.pdf, la France (qui dispose d’un droit de vote indépendant de l’Union européenne grâce aux territoires des îles éparses de l’océan Indien) le 14 avril10https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/04/Circular_2023-28_-_Communication_from_FranceOTE.pdf, la Tanzanie le 24 mai11https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/05/Circular_2023-35_-_Communication_from_United_Rep._of_TanzaniaE.pdf, Maurice le 24 juillet12https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/07/Circular_2023-45_-_Communication_from_MauritiusE.pdf, la Thaïlande le 4 août13https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/08/Circular_2023-48_-_Communication_from_ThailandE.pdf, et enfin la République de Corée le 7 aout14https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/08/Circular_2023-49_-_Communication_from_KoreaE.pdf.
Comme nous le soulignions dans notre rapport « Lining up the ducks »15https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2023/04/Lining-up-the-ducks_FR.pdf, ces objections ont toutes en commun qu’elles portent clairement la signature des intérêts de la pêche thonière française et espagnole. Ces liens croisés sont particulièrement flagrants avec les Seychelles, Maurice et la Thaïlande. En effet, les flottes de senneurs des deux premiers sont entièrement possédés par des intérêts européens. Ces deux pays abritent également les deux principales conserveries de la région, appartenant à la multinationale thaïlandaise Thai Union et au groupe européen Princes, qui est détenu conjointement par IBL Group et Mitsubishi Corporation (qui possède également en partie Thai Union).
L’approvisionnement de ces conserveries dépend majoritairement du thon capturé par les navires européens. Elles exportent ensuite le thon mis en boîte vers le marché européen grâce à un accord douanier avec l’Union européenne fixant les taxes de douanes à 0%. Nous avions par ailleurs montré en avril dernier à quel point les intérêts privés européens avaient infiltré la gouvernance des Seychelles, lorsque des documents mis en ligne par l’administration seychelloise n’avaient pas été anonymisés et arboraient de nombreux commentaires réalisés par le lobby thonier européen16https://bloomassociation.org/les-lobbies-industriels-destructeurs-de-locean-pris-la-main-dans-le-sac/.
Intimement liés aux thoniers européens, les puissants Thai Union et Princes avaient publiquement soutenu les objections à la résolution de la CTOI à plusieurs reprises, et la Thaïlande a finalement cédé en devenant l’un des derniers pays qui en a scellé le sort, en déposant la 10ème et avant dernière objection le 4 août 2023.
le rapport « Lining up the ducks » pour tout comprendre des lobbies industriels européens et de leurs relais politiques dans le secteur thonier
Face à la toute-puissance des lobbies industriels et de leurs relais politiques au sein de la Commission européenne et du Conseil de l’UE, BLOOM a initié deux recours gracieux contre les objections de l’Union européenne et de la France, le 10 mai dernier1https://bloomassociation.org/recours-objections-ctoi/. Nous avions alors demandé à ces deux institutions européennes et à la Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA) de réexaminer leurs décisions, et de retirer leurs objections déposées auprès du secrétariat de la CTOI. Ces recours sont toujours en cours d’examen. S’ils étaient rejetés, BLOOM se verrait alors contrainte d’initier des recours cette fois-ci contentieux auprès de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État.
Tant que ces procédures contre les objections de l’Union européenne et de la France ne sont pas closes, nous demandons à la CTOI de ne pas considérer la résolution 23/02 comme annulée, puisque le seuil d’un tiers d’objections n’aura pas été atteint.
Ces radeaux de la mort sont les engins de pêche préférés des navires français et espagnols opérant dans l’océan Indien pour pêcher l’albacore et la bonite, c’est-à-dire les deux espèces de thons que l’on retrouve très majoritairement en France dans les boîtes de thon en conserve. Les DCP sont chaque année responsables du carnage de millions de thons qui n’ont pas encore eu le temps de se reproduire, mais aussi de tortues marines et de requins dont les populations sont très fragiles. Plusieurs faits et chiffres particulièrement frappants démontrent le poids des flottes européennes dans cette pratique de pêche écocide :
le rapport « Tuna War Games – La guerre des thons »
10 mai 2023
Alors que les membres de la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI) sont réunis à l’Île Maurice depuis lundi pour leur réunion annuelle, jamais les enjeux politiques pour la protection des écosystèmes marins n’ont été aussi élevés, tant les lobbies thoniers européens et leurs alliés politiques mettent à mal toute avancée environnementale dans la région.
27 avril 2023
On le savait, ils le prouvent : les lobbies de la pêche industrielle influencent à très haut niveau les positions officielles des États. Dans deux documents mis en ligne le 9 avril(1) en vue d’une conférence internationale sur la gestion du thon tropical, qui forme une grande partie des conserves trouvées en Europe, les lobbies européens de la pêche au thon tropical — Europêche, OPAGAC et ANABAC — sont pris la main dans le sac : ils ont oublié d’anonymiser les dernières modifications qu’ils ont faites sur la position officielle des Seychelles, entièrement favorable à leurs intérêts.
05 avril 2023
Alors que les lobbies industriels thoniers font l’objet d’une enquête judiciaire en France pour prise illégale d’intérêts, les actions néocoloniales de la France et de l’Espagne continuent de faire des ravages en Afrique avec le plein soutien de la Commission européenne.