10 mai 2023
Alors que les membres de la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI) sont réunis à l’Île Maurice depuis lundi pour leur réunion annuelle, jamais les enjeux politiques pour la protection des écosystèmes marins n’ont été aussi élevés, tant les lobbies thoniers européens et leurs alliés politiques mettent à mal toute avancée environnementale dans la région.
Aujourd’hui, BLOOM dépose deux recours auprès de la Commission européenne et de la Direction générale française des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA), suite aux objections déposées par ces deux institutions contre la décision prise en février dernier par la CTOI d’interdire partiellement les « Dispositifs de concentration de poissons » (DCP) — une méthode de pêche hautement destructrice. Ces objections, inacceptables, sont en totale contradiction avec les principes de la Politique commune de la pêche et ne peuvent que nourrir un ressentiment anti-européen dans la région ainsi que le désespoir des associations citoyennes, effarées de la détermination de l’UE à agir contre l’intérêt général au seul bénéfice d’une poignée d’industriels français et espagnols.
Le 5 février 2023, les pays côtiers avaient réussi un véritable tour de force, en obtenant (par 16 voix contre 23) une première interdiction annuelle des DCP dans l’océan Indien. Cette interdiction temporaire est appliquée dans tous les autres océans par mesure de conservation et par principe de précaution. Les DCP sont largement considérés comme une grave menace pour les écosystèmes marins du monde entier. Même les représentants de l’industrie reconnaissent ouvertement que les DCP ont un impact catastrophique, comme en témoigne Adrien de Chomereau, PDG de la Sapmer — l’une des trois sociétés françaises qui ciblent le thon tropical — qui a déclaré que « le moins de DCP possible, c’est la voie de la vertu ».(1)
Malgré cette décision démocratique prise par les membres de la CTOI en février 2023 — qui représentait donc un premier pas très concret vers la reconstitution des populations de thon surexploitées dans l’océan Indien et la protection d’écosystèmes marins fragiles — la Commission européenne a choisi de s’aligner sur les intérêts d’une poignée d’entreprises thonières françaises et espagnoles. L’institution a ainsi plaidé en faveur d’une objection à cette résolution essentielle, en utilisant une série d’arguments fallacieux que nous avions déjà démentis dans un précédent rapport.(2) Le 11 avril 2023, la Commission européenne a formellement déposé son objection auprès du secrétariat de la CTOI,(3) et trois jours plus tard, la France — qui bénéficie d’un siège supplémentaire à la CTOI grâce à ses « Iles Éparses » (quelques îlots inhabités dans le Canal du Mozambique) — a déposé une objection similaire.(4)
Ce faisant, la vaste majorité des navires utilisant ces engins de mort dans l’océan Indien échappent désormais à la résolution de la CTOI, puisque selon la gouvernance de cette dernière, les résolutions ne s’appliquent pas aux membres y faisant objection. Les Seychelles et Oman ayant également fait objection, la résolution ne s’applique donc plus qu’à cinq des 47 navires sous capitaux français et espagnols opérant dans l’océan Indien.(5) Si Maurice mettait à exécution sa menace d’objecter également, seul un navire resterait concerné.
Face à la toute-puissance des lobbies industriels et de leurs relais politiques au sein de la Commission européenne et du Conseil de l’UE, BLOOM se tourne une nouvelle fois vers la justice, devenue quasiment le seul rempart qu’il reste aux associations citoyennes et écologistes contre des arbitrages mettant en danger, les uns après les autres, les équilibres de la biosphère.
Par le biais des deux recours gracieux déposés par BLOOM, nous demandons à la Commission européenne et à la France(6) de réexaminer leurs décisions et de retirer leurs objections à l’interdiction indispensable des DCP 72 jours par an.
En défendant par tous les moyens, y compris des méthodes non démocratiques, une poignée d’industriels engagés dans des pêches destructrices hautement controversées, l’UE joue un jeu dangereux dans l’océan Indien et alimente un ressentiment anti-européen très profond dont les conséquences s’étendent bien au-delà de la simple question de la pêche. Utiliser les aides au développement comme monnaie d’échange pour obtenir l’abaissement des exigences écologiques des pays du Sud est notamment un acte ravageur pour la confiance Nord-Sud et laisse peu d’espoir aux peuples de part et d’autre des continents européen et africain sur la capacité des politiques à prendre les décisions justes et courageuses qui s’imposent à l’heure de l’effondrement de la biodiversité et du climat. Si les flottes industrielles européennes se comportent avec une brutalité écologique et néocoloniale aussi assumée, comment espérer « tirer vers le haut » les pratiques des autres nations de pêche distante, telles que la Chine, la Corée, la Russie ou la Turquie ?
Les actes récents de l’UE et de la France font exploser en morceaux le mythe de l’exemplarité des flottes industrielles que la Commission européenne aimerait installer. Nous comptons aujourd’hui sur la procédure entamée par ce premier acte pour forcer l’UE à se comporter de façon transparente et digne.
Plusieurs faits et chiffres particulièrement frappants démontrent le poids des flottes européennes dans cette pratique de pêche écocide :
(1) https://lemarinblog.wordpress.com/2016/09/22/la-reunion-les-voyants-sont-au-vert/.
(2) https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2023/04/Lining-up-the-ducks_FR.pdf.
(3) Disponible ici : https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/04/Circular_2023-26_-_Communication_from_the_European_UnionE.pdf.
(5) 13 navires français et 15 navires espagnols, auxquels s’ajoutent trois navires français immatriculés à Maurice, et 16 navires espagnols enregistrés aux Seychelles (13), Maurice (1), Tanzanie (1), et Oman (1).
(6) Direction générale française des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA).
(7) https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2023/04/Lining-up-the-ducks_FR.pdf.
(9) https://iotc.org/sites/default/files/documents/2022/10/IOTC-2022-WPTT24-10.pdf.
(10) Données de taille des captures publiées par la CTOI. Disponibles à : https://iotc.org/data/datasets. Données pour les senneurs français et espagnols, 2020-2021.
(11) « Pêche industrielle : gros poissons en eaux troubles ». Cash investigation (France 2). Disponible à : https://www.youtube.com/watch?v=GRvNZ5OqQac.
(12) Imzilen et al. (2022) Recovery at sea of abandoned, lost or discarded drifting fish aggregating devices. Disponible ici : https://doi.org/10.1038/s41893-022-00883-y.
(13) Churchill (2021) Just a harmless fishing FAD — Or does the use of FADs contravene international marine pollution law? Disponible ici : https://doi.org/10.1080/00908320.2021.1901342.
23 février 2023
Les victoires sont rares pour l’océan. Le 5 février dernier, il y en eut une, arrachée au forceps contre le lobbying néfaste de l’UE. Ce jour-là, la Commission thonière de l’océan Indien a adopté, pour la première fois, l’interdiction 72 jours par an des objets connectés ultra sophistiqués qui sont déployés à grande échelle dans l’océan Indien par les flottes de pêche industrielles françaises et espagnoles pour agréger et capturer les thons tropicaux, jusqu’au dernier.
05 avril 2023
Alors que les lobbies industriels thoniers font l’objet d’une enquête judiciaire en France pour prise illégale d’intérêts, les actions néocoloniales de la France et de l’Espagne continuent de faire des ravages en Afrique avec le plein soutien de la Commission européenne.
27 avril 2023
On le savait, ils le prouvent : les lobbies de la pêche industrielle influencent à très haut niveau les positions officielles des États. Dans deux documents mis en ligne le 9 avril(1) en vue d’une conférence internationale sur la gestion du thon tropical, qui forme une grande partie des conserves trouvées en Europe, les lobbies européens de la pêche au thon tropical — Europêche, OPAGAC et ANABAC — sont pris la main dans le sac : ils ont oublié d’anonymiser les dernières modifications qu’ils ont faites sur la position officielle des Seychelles, entièrement favorable à leurs intérêts.