27 avril 2023
On le savait, ils le prouvent : les lobbies de la pêche industrielle influencent à très haut niveau les positions officielles des États. Dans deux documents mis en ligne le 9 avril(1) en vue d’une conférence internationale sur la gestion du thon tropical, qui forme une grande partie des conserves trouvées en Europe, les lobbies européens de la pêche au thon tropical — Europêche, OPAGAC et ANABAC — sont pris la main dans le sac : ils ont oublié d’anonymiser les dernières modifications qu’ils ont faites sur la position officielle des Seychelles, entièrement favorable à leurs intérêts.
Capture d’écran d’une des modifications faites par « Europêche Tuna Group » dans le document présentant la position officielle des Seychelles.
Les Seychelles étant très liées à l’industrie thonière européenne, cette collusion entre lobbies et État est tout sauf surprenant. Le paradis des plongeurs est en effet surtout un paradis fiscal abritant 13 navires espagnols, une usine de transformation du thon détenue par le géant mondial Thai Union et dépendant quasiment exclusivement des approvisionnements des navires français et espagnols, ce qui permet aux Seychelles de bénéficier en retour d’un accord douanier avec l’Union européenne fixant les taxes de douanes à 0%.
Alors que le groupe de pression Europêche a déjà été épinglé pour son opposition à toute ambition environnementale dans le classement des lobbies européens les plus écocides,(2) c’est sa branche « Europêche Tuna Group » — dirigée par Anne-France Mattlet, elle-même visée par une enquête judiciaire du Parquet national financier pour prise illégale d’intérêts(3) — qui apparait comme la plus active. Inutile de mentionner que les citoyens, les pêcheurs artisans ou semi-industriels pratiquant des méthodes de pêche plus sélectives que la « senne tournante » utilisée par les Européens, n’ont pas été invités à coconstruire la position des Seychelles dans un processus transparent.
Ces documents constituent des pièces à conviction du mode opératoire des lobbies et de leurs relations incestueuses avec les autorités publiques. Parler d’influence n’est plus approprié, tant la corruption est institutionnalisée. Il s’agit plutôt d’une cogestion mortifère entre les industriels et les institutions, dont les conséquences sur le monde sont désastreuses. C’est précisément parce que le politique trahit sa mission de défense de l’intérêt général, parce qu’il ne maintient pas d’étanchéité entre la décision publique et les intérêts financiers des destructeurs du monde, que le climat, la biodiversité et l’océan s’effondrent.
Les pêches thonières tropicales cumulent toutes les tares écologiques, sociales et démocratiques : après avoir épuisé les populations de thon en Afrique de l’Ouest, les armateurs français et espagnols ont fondu, dans les années 1980, sur l’océan Indien en déployant une capacité de pêche industrielle intenable pour les trois espèces de thons qui y sont ciblées (albacore, thon obèse et bonite). Au total, les flottes européennes en capturent chaque année jusqu’à 400 millions de kilos, ensuite revendu en moyenne entre 1 et 2 euros le kilo selon l’espèce.(4) Largement encouragés par les subventions publiques substantielles dont ils jouissent, ces 13 navires français(5) et 15 navires espagnols,(6) se sont engagés dans une véritable guerre contre les thons. Dans une surexploitation ultra rapide, soutenue par une escalade technologique inexorable, les pêcheurs ont épuisé les populations de poissons dont aujourd’hui deux sur trois sont en très mauvais état.(7)
BLOOM sort aujourd’hui un rapport inédit — « Tuna war games, La guerre des thons » — qui retrace pour la première fois de façon exhaustive l’histoire du déploiement industriel high tech des pays du Nord dans les eaux du Sud : un siphonage méthodique ultra efficace qui est en train de pousser la vie marine au bord du gouffre.
BLOOM, à l’origine des révélations ayant déclenché la plainte d’Anticor et l’enquête du Parquet national financier, a évidemment porté cette preuve de l’influence néfaste des lobbies à la connaissance des autorités judiciaires.
(1) Disponibles à : https://iotc.org/sites/default/files/documents/2023/04/IOTC-2023-S27-Proposals_A_to_R_English_WORD.zip.
(2) Voir le rapport de InfluenceMap, qui a donné à Europêche la note globale de E-, c’est-à-dire à une demi-place de la pire note possible, détenue par les lobbies pétroliers et miniers. Disponible à : https://influencemap.org/report/Industry-Associations-Biodiversity-Policy-19612.
(3) Voir notre actu : https://bloomassociation.org/conflit-dinterets-dans-la-peche-thoniere-le-parquet-national-financier-ouvre-une-enquete/.
(4) Source : données publiées par la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI), disponibles à : https://iotc.org/data/datasets/latest/SD/TUNAS.
(5) Dont un immatriculé en Italie. À ces 13 navires, s’ajoutent trois navires sous capitaux français mais immatriculé à Maurice.
(6) À ces 15 navires, s’ajoutent 13 navires sous capitaux espagnols mais immatriculé aux Seychelles, 1 à Maurice, 1 à Oman, et 1 en Tanzanie.
(7) L’albacore et le thon obèse sont tous deux surexploités dans l’océan Indien, et la bonite est pêchée bien au-delà des limites de capture convenues par la Commission thonières de l’océan Indien.
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