Le 14 novembre, BLOOM révélait que la personne chargée au sein de l’administration française de la gestion et du contrôle des flottes françaises pêchant le thon en Afrique — Mme Anne-France Mattlet — avait été détachée au sein du lobby thonier français Orthongel. Elle a ensuite été « mise à disposition » du puissant lobby européen de la pêche industrielle Europêche, où Mme Mattlet officie désormais en tant que directrice du « groupe thon », pour représenter les intérêts des thoniers européens à Bruxelles.
La loi est pourtant claire. Elle interdit à toute personne ayant exercé une fonction publique de rejoindre le privé pour travailler sur les dossiers dont elle avait la responsabilité avant l’expiration d’un délai de trois ans suivant la cessation de ses fonctions (article 432-13 du Code pénal). Or Mme Mattlet travaillait clairement sur les dossiers pour lesquels elle est désormais lobbyiste.
En particulier, elle était Présidente du Comité d’application de la Commission thonière de l’océan Indien jusqu’en mars 2022. Elle a rejoint le lobby du thon en… avril 2022. C’est dans le cadre de cette Commission que sont discutés les quotas de pêche, les contrôles (inexistants) des flottes, leur surveillance etc. Cet organe de gestion occupe une position stratégique pour les industriels européens, l’océan Indien étant une zone de pêche primordiale pour leurs flottes.
Vers la fin de l’impunité
Sur la base de ces informations, BLOOM et ANTICOR ont donc signalé le transfuge de Mme Mattlet au Parquet national financier ; celui-ci vient d’annoncer ouvrir une enquête pour prise illégale d’intérêts.
C’est une première étape très importante. Nous espérons qu’elle augure de la fin de l’impunité pour les lobbies industriels. Une démocratie digne de ce nom ne doit pas tolérer un tel niveau de colonisation des lobbies dans la matrice de la puissance publique. Mais la bataille est loin d’être finie. En attendant les résultats de l’enquête, la France doit retrouver sa souveraineté par rapport au lobby thonier et cesser d’obéir à un secteur qui réclame que la loi européenne s’adapte à ses fraudes répétées et ses pratiques destructrices.
Pour rappel, le timing de ce transfuge n’a rien d’anodin, puisqu’il intervient au moment précis où la France est sous la menace d’une procédure d’infraction pour son absence totale de contrôle de ses pêches thonière.
La procédure concerne aussi une dérogation illégale accordée par la France aux thoniers pour qu’ils puissent frauder en toute sérénité : en effet, les pêcheurs eux-mêmes reconnaissent être en « infraction involontaire » constante à cause de leurs méthodes non-sélectives.
Confusion au sommet de l’État
Plutôt que de contraindre les industriels à transformer leurs pratiques pour trouver un semblant de vertu, la France a entièrement fait siennes les demandes d’Orthongel et cherche encore à désosser la norme européenne pour permettre de blanchir la fraude des navires français. L’État français a donc envoyé sa fonctionnaire la plus stratégique en mission spéciale pour anéantir la norme européenne et rendre caduque la procédure d’infraction ouverte par la Commission européenne à son encontre. Opération blanchiment d’années de pêche illégale…
Le 16 novembre, le secrétaire d’État chargé de la mer Hervé Berville s’est embourbé à l’Assemblée nationale en reprenant les arguments d’Orthongel et en expliquant que ce lobby était en réalité une association. M. Berville a confirmé que nos décideurs politiques avaient totalement décloisonné la frontière entre intérêt général et intérêts privés. Cette confusion explique l’état désastreux de l’océan.
L’enquête du Parquet financier est un premier pas crucial pour retrouver un peu d’étanchéité entre l’intérêt à long terme de tous et les intérêts à court terme de quelques-uns.