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23 septembre 2024

Inédit : les plus grands spécialistes de l’océan repensent entièrement le concept de « durabilité »

Une semaine avant la Ocean Week à Bruxelles, et quelques mois avant la conférence des Nations Unies sur l’océan à Nice, un groupe d’experts mondialement reconnus publie aujourd’hui les résultats d’un effort scientifique inédit : ils redéfinissent le concept de « durabilité des pêches » et proposent onze « règles d’or » remettant radicalement en cause la notion défaillante qui prévaut actuellement dans la gestion des pêches.

Ces onze « règles d’or » ont été pensées pour mettre un terme à la destruction continue de l’océan causée par la pêche et assurer un renouvellement abondant des poissons de façon à nourrir les générations futures. Elles arrivent au moment même où les scientifiques ont drastiquement réévalué la santé de l’océan à la baisse1Edgar et al., 2024, Stock assessment models overstate the sustainability of the world’s fisheriesaccessible ici., et où deux tiers des coraux de la planète sont exposés à des températures potentiellement léthales2The Guardian, 2024, As record heat risks bleaching 73% of the world’s coral reels, scientists ask ‘what do we do now?’, accessible ici. . Les auteurs exhortent les entreprises, les gouvernements et les législateurs à mettre en œuvre ces onze actions décisives pour restaurer la santé de l’océan. 

Les règles d’or s’appuient sur deux principes clés qui visent à révolutionner l’avenir de l’exploitation des océans : 1) la pêche doit minimiser les impacts sur les espèces et les écosystèmes marins, s’adapter au changement climatique et assurer la régénération de la vie et des habitats marins appauvris ; 2) la pêche doit améliorer la santé, le bien-être et la résilience des êtres humains et des communautés – en particulier des plus vulnérables – plutôt que de servir les intérêts économiques des entreprises qui concentrent les profits entre les mains de leurs détenteurs et laissent les citoyens supporter les coûts.  

Leur article, intitulé « Rethinking sustainability of marine fisheries for a fast-changing planet » (« Repenser la durabilité des pêcheries marines dans un monde en plein dérèglement »), a été publié dans la revue scientifique « npj Ocean Sustainability » du journal Nature. Cette initiative scientifique a pour ambition de poser les bases d’une réforme destinée à transformer en profondeur la gestion actuelle déplorable du plus grand bien commun de la planète. Les scientifiques appellent les décideurs politiques, les distributeurs, les pêcheurs et les responsables du secteur à adopter cette nouvelle conception et à se mobiliser pleinement pour la mettre en œuvre.   

Le besoin urgent de recréer un cadre mondial de gestion des pêches

Aujourd’hui, la pêche est mondialement reconnue comme la principale cause de destruction des océans1IPBES, 2019, Le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiquesaccessible ici.. En cinquante ans, l’état des ressources halieutiques s’est considérablement dégradé au niveau mondial : la part des populations de poissons exploitées de façon durable a diminué d’un tiers2FAO, 2022, La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2022accessible ici.. Les scientifiques se sont réunis pour travailler ensemble pendant des années sur la base d’un constat unanime : la définition actuelle de la « pêche durable » est défaillante et dangereuse. Elle conduit à l’épuisement continu des espèces marines, à la destruction des habitats marins et des puits de carbone, ainsi qu’à la disparition des communautés de pêcheurs artisans dans le monde entier. « Le concept actuel de « pêche durable » utilisé par les gouvernements et les acteurs privés depuis la période d’après-guerre est scientifiquement obsolète. Il repose sur une théorie simpliste et productiviste qui suppose que tant que les volumes de capture mondiaux restent en deçà d’une limite fixée, n’importe qui peut pêcher à peu près n’importe quoi, n’importe où, avec n’importe quelle méthode », a déclaré le Professeur Callum Roberts, auteur principal de l’étude. « Pouvons-nous vraiment considérer que tous les engins de pêche sont égaux d’un point de vue environnemental et social ? Actuellement, nous qualifions la pêche de « durable » sans tenir compte de leur impact sur les écosystèmes marins ou des facteurs humains, tels que la sécurité et les droits des travailleurs », a ajouté la Professeure Jennifer Jacquet.   

Les scientifiques dénoncent une approche dépassée de la soi-disant « durabilité », qui néglige des facteurs cruciaux de développement, humains et environnementaux. Malgré leur acceptation généralisée par les acteurs de l’industrie et par les consommateurs, les normes actuelles de « durabilité » ne parviennent pas à répondre aux défis urgents posés par la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité. Au contraire, elles soutiennent des pratiques industrielles fortement capitalisées qui profitent aux pays du Nord et nuisent aux écosystèmes et aux finances publiques, mettent en danger la pêche artisanale et la sécurité alimentaire et menacent l’emploi. Ce modèle met en péril le droit universel des êtres humains à un océan propre, sain et durable3Bennett, et al. 2024, “The human right to a clean, healthy and sustainable ocean”, accessible ici. . Il était donc urgent d’élaborer un nouveau cadre de gestion de la pêche au niveau mondial. 

Une vision globale de l’avenir de la pêche

Les auteurs sont parvenus à un autre consensus : la pêche doit être gérée de sorte à minimiser les dommages environnementaux et à maximiser les bénéfices sociaux pour répondre aux défis posés par une planète confrontée à la faim et au dérèglement climatique. Ce groupe d’éminents chercheurs a donc développé une approche visionnaire de l’exploitation des océans qui s’appuie sur une définition globale et interdisciplinaire de la « pêche durable », basée sur des connaissances issues de la biologie, de l’océanographie, des sciences sociales et de l’économie. En énonçant les règles d’or de la « pêche durable » (déclinées en deux principes et onze actions clés), leur travail marque un tournant décisif, fournissant aux acteurs économiques et politiques les clés pour une transition urgente vers une exploitation durable des océans à long terme. 

À lire aussi :

Le rapport de BLOOM « Changer de Cap» qui propose une évaluation des performances sociales et environnementales des flottilles de pêche française en Atlantique Nord-Est.

Vers une abondance de poissons et des écosystèmes florissants

Ce nouveau cadre de gestion propose la vision d’un monde où la pêche assure le renouvellement de populations de poissons abondantes pour répondre aux besoins de l’humanité à long terme. « Notre travail défend des pratiques de pêche qui préservent les fonctions vitales des écosystèmes marins, atténuent le changement climatique, garantissent la sécurité alimentaire et respectent les droits des êtres humains », a déclaré le Professeur Daniel Pauly. Cette approche innovante reconnaît les rôles sociaux, éthiques et écologiques de la pêche, en proposant un modèle systémique durable mis en œuvre par les acteurs du marché, les décideurs politiques et le système juridique. « Nous devons considérer la pêche comme un privilège et non comme un droit. La vie marine est un bien public qui devrait bénéficier à la fois à la société et à la nature et qui ne devrait pas être l’objet d’une course aux ressources motivée par des gains privés », a souligné le Professeur Callum Roberts. Leurs propositions sont ambitieuses mais réalistes : la plupart des actions recommandées s’appuient sur des mesures qui ont déjà fait leurs preuves. 

L’appel à agir d’urgence

Les scientifiques exhortent les décideurs politiques, les distributeurs et les gestionnaires de pêcheries à reconnaître l’échec du modèle de pêche actuel et à adopter d’urgence les règles d’or proposées. Les supermarchés, qui représentent près des deux tiers des ventes de produits de la mer en France1Xerfi, 2023, La pêche et l’aquaculture en France. et en Europe2GlobalData, 2023, “Fish and Seafood in Europe”, jouent un rôle déterminant dans cette transition. Ils peuvent transformer les pratiques de pêche en modifiant leurs politiques d’approvisionnement, exercer une influence sur les labels de la « pêche durable » et répondre aux préoccupations croissantes des consommateurs concernant les impacts cachés de leur alimentation. « Nous assistons à une déconnexion croissante entre la disponibilité de produits de la mer prétendument durables à grande échelle, l’effondrement des écosystèmes océaniques et la fréquence des violations des droits humains signalées. Les supermarchés doivent cesser de tromper les consommateurs » a prévenu Pauline Bricault, responsable de la campagne de BLOOM sur les marchés. « Le GIEC et l’IPBES ont fixé 2030 comme date limite3Objectifs de Développement Durable des Nations Unies, Le cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal.. Les acteurs de l’industrie n’ont plus d’excuses, ils doivent agir ».  

À lire aussi :

Le rapport de BLOOM « Délibérément ignorants » sur l’évaluation de la durabilité du thon vendu par les principaux distributeurs européens.

 


Pour aller plus loin  

Le problème : la bonne santé de l’océan, vitale à la stabilité de notre planète, est menacée par la pêche

L’océan représente plus de 99 % de la surface habitable de la Terre et il assure la stabilité du climat au niveau mondial : il absorbe un tiers de nos émissions de CO2, 90 % de la chaleur issue des activités humaines et produit la moitié de l’oxygène que nous respirons1Nations Unies, Objectif 14 : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable, accessible ici..  Dans un monde où près de la moitié de la population dépend du poisson pour couvrir ses besoins en protéines animales2Nations Unies, Les effets du changement climatique sur les océansaccessible ici., il est la clé de l’équilibre des économies côtières et de la sécurité alimentaire mondiale. Un océan sain est donc essentiel à la stabilité de notre planète et de nos sociétés. 

Cependant, aujourd’hui, notre océan est loin d’être en bonne santé. L’océan se réchauffe à des températures record, s’acidifie, perd de l’oxygène et fait l’objet d’invasions biologiques.  

Plus que le changement climatique et la pollution plastique, la pêche industrielle a été désignée par la communauté scientifique comme la première cause de destruction des océans3IPBES, 2019, Le rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiquesaccessible ici. : 

  • Aujourd’hui, plus de 90 % de nos océans sont exploités à leur pleine capacité ou au-delà4Teh et al., 2017, Can we meet the target? Status and future trends for fisheries sustainabilityaccessible ici.,5FAO, 2024, La situation mondiale des pêches et de l’aquacultureaccessible ici. 
  • La pêche mondiale exploite aujourd’hui une surface quatre fois plus grande que celle exploitée par l’agriculture6Kroodsma et al., 2018, Tracking the global footprint of fisheriesaccessible ici.. 
  • Entre 1974 et 2021, les stocks de poissons exploités dits « durables » ont diminué de 90 % à 62 %7FAO, 2024, La situation mondiale des pêches et de l’aquacultureaccessible ici. . 
  • La pêche industrielle entraîne également des violations des droits humains : des cas d’abus et de violences graves sont constamment révélés8BLOOM, 2023, Violence en boîteaccessible ici.. 

Le concept actuel de « gestion durable de la pêche » est erroné et incapable de préserver la biodiversité marine et la santé de l’océan. Il est donc impératif et urgent de transformer radicalement notre modèle de pêche au niveau mondial, afin que ses pratiques soient compatibles avec la préservation des fonctions vitales des écosystèmes marins, l’atténuation et l’adaptation au changement climatique, la garantie de la sécurité alimentaire des populations et le respect des droits humains. 

L’écart considérable entre les exigences des labels et les 11 règles d’or

Les labels privés, comme Friends of the Sea (FOS) et le Marine Stewardship Council (MSC), dominent le marché de la certification des produits de la mer. En 2023, le MSC certifiait 19 % des captures mondiales de poissons sauvages. Cependant, les normes appliquées par ces labels sont faibles et qualifient souvent des pratiques industrielles à fort impact comme « durables », malgré les conséquences néfastes pour les océans, le climat et les populations. 

De nombreux « navires-usines » sont actuellement certifiés « durables » par ces labels. Parmi eux, des navires comme l’Annelis Ilena (144,6 m, chalut pélagique, certifié MSC), le Jan Maria (88,1m, chalut de fond, certifié MSC) ou le Scombrus (81,4 m, chalut pélagique, certifié MSC et Ecolabel Pêche Durable), qui opèrent avec des méthodes de pêche ayant un impact environnemental élevé. 

Même des labels publics récents, comme l’Ecolabel Pêche Durable en France, certifient des pratiques de pêche de masse, y compris dans des zones marines protégées, sans garantir de véritables résultats en termes de durabilité. 

Des études scientifiques, comme celle réalisée en 2024 par l’Institut Agro et AgroParisTech, ont démontré que les engins de pêche certifiés, notamment les chaluts et sennes industriels, ont les pires performances environnementales et sociales. 

En plus des questions environnementales, ces labels n’offrent aucune garantie sur le plan social. Par exemple, le MSC a également été critiqué pour son incapacité à aborder les violations des droits humains. Un rapport de 2023 de l’ONG Human Rights at Sea révèle que le standard MSC n’inclut que 3 des 16 mesures minimales en matière de droits humains. Une enquête menée par The Outlaw Ocean Project a aussi montré que plusieurs usines certifiées MSC étaient impliquées dans des pratiques de travail forcé, notamment des Ouïghours en Chine. Le MSC a reconnu publiquement en 2024 qu’il ne s’engageait pas sur les questions de droits humains, se concentrant uniquement sur la durabilité environnementale, ce qui trompe les consommateurs sur la véritable portée de sa certification. 

À lire aussi :

Le rapport de BLOOM « L’imposture du label MSC » sur l’impact des méthodes de pêche certifiées par le label MSC. 

La responsabilité des distributeurs

Les grandes chaînes de distribution, qui dominent le marché des produits de la mer (63 % des ventes en Europe), jouent un rôle crucial dans le maintien du système MSC. Elles se déchargent de leurs responsabilités sur le label, tout en profitant de son image « durable » pour attirer les consommateurs, bien que 70 % de ceux-ci doutent de l’authenticité des engagements des entreprises. 

Les distributeurs ont un devoir moral et juridique de réformer leurs pratiques et d’assurer du respect des droits humains et de l’environnement dans leurs chaines de valeur. Les nouvelles règles d’or proposées par les scientifiques offrent une feuille de route indispensable pour redéfinir la pêche durable et amorcer une transformation urgente du secteur. 

Un grand merci à la fondation familiale Levine pour son soutien sans faille tout au long de ce travail scientifique d’une importance capitale pour l’océan.

Ressources complémentaires :

Couverture presse :

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