06 mai 2024
BLOOM révèle dans deux études des aspects inédits de la pêche thonière européenne, principalement dans l’océan Indien : un système opaque et très intensif en carbone créé par et pour les industriels de la pêche ainsi que la grande distribution autour du paradis fiscal des Seychelles.
La chaîne de production du thon fait l’objet de pratiques obscures et mensongères, tant sur son impact carbone que sur la traçabilité de cette filière, un exemple d’opacité totale, depuis la capture des thons jusqu’à leur commercialisation dans les rayons des supermarchés européens.
Dans deux rapports publiés aujourd’hui, « Du paradis à l’abîme » et « La boîte noire du thon », BLOOM révèle des aspects inexplorés concernant la filière industrielle du thon tropical en boîte, qui jouit de passe-droits douaniers injustifiés et d’une complicité des autorités, tant locales aux Seychelles qu’à Bruxelles, Paris et Madrid.
Le thon est le poisson préféré des Français. Il forme l’industrie de la pêche la plus lucrative au monde, pesant plus de 40 milliards de dollars par an. L’Union européenne y fait figure de leader incontestable : au niveau mondial, 39 des 50 plus grands navires thoniers appartiennent à des sociétés européennes, y compris les huit plus grands navires. Environ 20% des captures effectuées par l’ensemble des flottes de pêche de l’UE sont réalisées en dehors des eaux communautaires, en partie dans le cadre d’« accords de partenariat dans le domaine de la pêche durable » conclus avec des pays tiers, la plupart du temps avec des pays côtiers du continent africain, intensifiant la pression de pêche sur des espèces cruciales pour la sécurité alimentaire et économique des populations locales.
Le premier rapport, intitulé « Du paradis à l’abîme », démontre une réalité alarmante contrastant fortement avec le récit présenté par les industriels de la pêche au thon tropical qui clament que la méthode de pêche qu’ils utilisent (la « senne coulissante » consistant en une nasse déployée en pleine eau et refermée sur les bancs de poissons comme une bourse) a l’empreinte carbone la plus vertueuse de toutes les pêches au thon. Mais lorsque cette méthode est comparée à la pêche à la canne telle qu’elle est pratiquée aux Maldives, une méthode infiniment plus sélective et respectueuse des écosystèmes marins, il apparaît que la pêche à la senne est trois fois plus polluante, et impacte de manière disproportionnée la biodiversité marine à cause notamment de l’utilisation massive des dispositifs de concentration de poissons (DCP) dérivants, des radeaux flottant hautement technologiques déployés par les industriels pour attirer les bancs de thons. Le bilan socio-économique de la pêche à la senne est également des plus déplorables puisqu’elle génère 30 fois moins d’emplois et sa rentabilité repose uniquement sur l’octroi par l’UE d’un large éventail de subventions et d’avantages fiscaux. On comprend ainsi que les industriels s’auto-congratulent sur la base de comparaisons menées avec les pires méthodes de pêche déployées pour capturer des thons, et non avec les plus vertueuses. Un type de raisonnement fallacieux connu sous le nom de « faux dilemme » qui consiste à faire accepter une pratique nocive en la comparant à une pratique encore plus nocive, sans présenter toute la diversité des possibles. Notre analyse « Du paradis à l’abîme » renverse définitivement les mensonges installés sciemment par les industriels dans l’espace public.
« Contrairement aux affirmations des industriels, la pêche à la senne tournante est tout sauf durable. L’Union européenne, en persistant à subventionner largement cette méthode de pêche destructrice au profit d’une minorité, néglige l’urgence de préserver le climat, la biodiversité, et les animaux marins. » Augustin Lafond, chercheur chez BLOOM et auteur du rapport.
Ce second rapport s’attaque à la complexité et l’opacité du commerce du thon et propose de traverser le miroir du markéting du thon en boîte qui sature nos rayons de supermarchés pour découvrir les systèmes inacceptables pensés par et pour la pêche industrielle et la grande distribution. Il révèle un système où la fraude et la pêche illégale sont dissimulées derrière les circuits commerciaux de l’industrie thonière en particulier dans l’archipel des Seychelles. Ce paradis fiscal notoire est devenu le centre névralgique de la pêche thonière tropicale pour l’UE dont la grande partie de sa flotte y est basée à plein temps, et approvisionne de manière quasi-exclusive la deuxième plus grande usine de mise en boîte du thon au niveau mondial, l’usine IOT de Victoria, aujourd’hui aux mains du géant thaïlandais Thai Union. En retour, cette usine approvisionne une importante partie du marché européen, notamment grâce à un accord établissant les taxes douanières à 0%.
Le rapport souligne que, malgré des financements publics substantiels dont jouissent les navires européens, dominants dans les pêches thonières de l’océan Indien, aucune traçabilité n’est requise pour les navires de pêche, de la capture jusqu’à l’exportation. Il en résulte qu’un volume faramineux de poisson, dont personne d’autre que les industriels du secteur ne connaît le chiffre réel, disparaît dans un trou statistique et fait l’objet d’un véritable trafic échappant à tout contrôle. Derrière chaque boîte de thon, c’est donc un gouffre de contournement réglementaire, de pêche illégale, de surpêche, de fraudes et de pratiques destructrices, tant pour l’océan que pour les humains, qui se cachent.
A scruter de près cette industrie thonière européenne qui s’est affranchie des règles communes et notamment des taxations douanières, on est pris de vertige : il est sidérant qu’en ce premier quart de 21ème siècle, alors que l’océan est à bout de souffle, l’une des plus grandes pêcheries mondiales puisse encore opérer sur des modalités aussi opaques et être pourtant autorisée à atteindre nos marchés.
« La situation dramatique des thons dans l’océan Indien est une conséquence directe de l’irresponsabilité des armateurs européens. Le commerce de thon y est une véritable boîte noire laissant la porte ouverte à des sous-déclarations qui mettent en danger non seulement les populations de thons, mais aussi les économies côtières et pêcheurs artisans dépendant de cette activité. » Théophile Froment, chercheur chez BLOOM et auteur du rapport.
BLOOM en appelle à la responsabilité des instances européennes et de la grande distribution afin de réformer les pratiques de pêche et de commerce, d’abolir l’utilisation des DCP (voir en détail le septième de nos 15 points pour sauver l’océan, et climat et les emplois ), les subventions qui favorisent les techniques de pêche destructrice et d’établir un cadre réglementaire rigoureux pour la traçabilité et la durabilité des stocks de thon.
Voir nos 15 points pour sauver l’océan, le climat et les emplois.