03 octobre 2023
Alors que la Commission, le Conseil et le Parlement européen se réuniront en trilogue les 5 octobre et 16 novembre prochains pour sceller le sort de la législation européenne sur la « restauration de la nature », pilier du Green Deal européen, les lobbies de la pêche industrielle et leurs complices politiques (la France et une partie de la Commission européenne) mènent l’offensive pour torpiller l’unique mesure favorable à la protection et à la restauration de l’océan qui demeure après un travail de sape inédit par le Conseil et le Parlement européen.
Dans cette dernière ligne droite, les lobbies de la pêche bénéficient du soutien de poids lourds au sein de la Commission européenne et du gouvernement français ainsi que du jeu trouble des eurodéputés de la majorité présidentielle, Pierre Karleskind et Pascal Canfin, qui ont porté l’amendement 15, le seul apte à améliorer sensiblement le sort de l’océan. Mais les eurodéputés n’ont toujours pas pris la parole publiquement pour dénoncer les manœuvres en cours. Leur silence, qui contraste fortement avec leur empressement dans les médias et sur les réseaux sociaux à se faire passer pour les champions à l’issue du vote sur la «loi sur la restauration de la nature» du 12 juillet, inquiète les ONG.
Face à l’urgence climatique et environnementale, la « loi sur la restauration de la nature » aurait pu et aurait dû constituer un tournant historique pour protéger et restaurer les écosystèmes marins.
Les scientifiques appelaient de leurs vœux une véritable protection et restauration de l’océan. En vain. Dans un scénario inédit, une majorité de parlementaires rejetait ce texte dans les commissions parlementaires de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Environnement. Un « requiem pour la nature » qui consacrait une alliance antiécologique effrayante entre extrême-droite, droite conservatrice et eurosceptique, et droite libérale.
Face à ce tremblement de terre, alors que les États membres de l’Union européenne réunis en Conseil adoptaient un texte rogné de toute part, une mobilisation massive de la société civile permettait d’éviter de justesse le rejet pur et simple de la loi lors de l’ultime vote en plénière le 12 juillet 2023.
Aux termes de ce travail de sape, toutes les mesures porteuses d’une véritable protection et restauration de l’océan étaient ainsi jetées aux orties, notamment les deux amendements cruciaux, à l’efficacité immédiate, pour interdire les méthodes de pêche destructrices dans toutes les aires marines « protégées » de l’Union européenne, d’une part, et pour exclure les méga-chalutiers et navires de plus de 25 mètres de la bande côtière des 12 milles nautiques, d’autre part.
A ce stade, une seule avancée demeure face à cette entreprise de destruction de toute ambition écologique : l’amendement 15, porté par une large coalition d’associations dédiées à la protection de l’océan et déposé par l’eurodéputé de la majorité présidentielle Pierre Karleskind portant sur la «mise en œuvre des mesures de restauration des écosystèmes marins» pour lever les blocages diplomatiques que les États invoquent ad nauseam pour repousser aux calendes grecques toute interdiction des méthodes de pêche destructrices dans les aires marines dites «protégées».
Ce 5 octobre s’ouvre la dernière étape de ce processus législatif, le «trilogue», qui consistera en une série de réunions à huis clos où la Commission, le Conseil et le Parlement européen tenteront dans un ultime round de tractations d’aboutir à une version finale qui convienne aux trois institutions européennes.
Alors que l’enjeu consisterait, face à une crise climatique et environnementale d’ampleur, à revenir à la proposition de la Commission et à en rehausser l’ambition, les lobbies de la pêche industrielle s’emploient avec une partie des services de la Commission et de la France à détruire l’amendement 15, le seul amendement favorable à l’océan qui ait été adopté par le Parlement européen.
Mais vouloir faire respecter un droit européen vieux de trente ans, c’est manifestement trop pour les lobbies de la pêche industrielle, leurs relais au sein de la Commission européenne et le gouvernement français.
En amont du trilogue du 5 octobre, la Direction générale de la Mer de la Commission européenne (DG MARE) a publié un document expliquant que l’amendement déposé par Pierre Karleskind ne dispose pas de la « base légale » pour amender la Politique commune de la pêche (PCP). D’un point de vue technique, cet amendement ne modifie pas la PCP : il établit un calendrier contraignant pour sa mise en œuvre et place la Commission comme instance de dernier recours en cas de défaillance des États.
Mais sous couvert d’expertise juridique, et afin de conserver son pré carré sur les questions relatives à la pêche et répondre favorablement aux lobbies de la pêche industrielle, la DG MARE propose une « reformulation » qui signe l’enterrement en bonne et due forme de cet amendement : suppression des délais contraignants et disparition du rôle de la Commission comme instance de dernier recours.
L’océan est en surchauffe, l’urgence climatique et environnementale est sans précédent, mais les luttes intestines au sein de la Commission entre les affairistes des lobbies de la pêche industrielle et les fonctionnaires de la Direction de l’Environnement sont en passe de venir à bout de l’unique mesure favorable à la protection de l’océan. La France, qui s’est déjà présentée par la voix de son Secrétaire d’État Hervé Berville comme «totalement, clairement et fermement opposée» à l’interdiction du chalutage dans les aires marines dites « protégées », a sauté sur l’occasion pour que cet amendement disparaisse, selon les informations partagées par les négociateurs impliqués sur le dossier, seuls susceptibles d’éclairer ce qui se trame en coulisse en amont de ces réunions opaques.
Reste à savoir si les parlementaires de la droite libérale, qui ont désossé la loi avant de prétendre avoir «remporté la plus grande bataille jamais menée au Parlement européen», et qui ont fait de cet amendement leur cheval de bataille pour mettre en scène leurs liens avec les associations de protection de l’environnement et pour incarner leur prétendue indépendance vis-à-vis des lobbies de la pêche industrielle, sauront tenir tête aux lobbies, au gouvernement français et aux affairistes de la Commission européenne pour sauver ce qui peut encore l’être.
Les projecteurs étant désormais braqués ailleurs, le silence de Pierre Karleskind et Pascal Canfin n’augure rien de bon en amont d’un trilogue à huis clos. A l’heure de la politique spectacle, charge à ces tenants d’une « écologie de bon sens » de ne pas trahir leur vote du 12 juillet en abandonnant la seule et unique chose que leur groupe parlementaire n’ait pas déjà tué dans l’œuf.
17 juillet 2023
Mercredi 12 juillet, les députés européens ont finalement adopté in extremis, par 336 voix contre 300, une Loi sur la restauration de la nature (« Nature restoration law » ou NRL) très affaiblie. Les objectifs de restauration des écosystèmes que la loi instaure (20% des terres et des mers d’ici 2030 et l’intégralité des écosystèmes en besoin de restauration d’ici 2050) constituent une victoire politique incontestable de la gauche écologiste sur la droite, qui s’était juré de faire tomber le texte.
Mais à quel prix ?
12 juillet 2023
Les jeux sont faits. À Strasbourg, les parlementaires européens viennent de sauver de l’abîme par 336 voix contre 300 la Loi sur la restauration de la nature — le volet biodiversité du Green Deal européen — au prix de concessions massives, notamment sur la protection immédiate de l’océan, des pêcheurs et du climat.
16 juillet 2023
Le 27 juin était un jour de deuil pour la biosphère avec le rejet de la Loi sur la restauration de la nature par la Commission Environnement du Parlement Européen. Le 12 juillet, le retournement de situation a été aussi spectaculaire que la mobilisation citoyenne qui a permis l’adoption in extremis, par 336 voix contre 300, de la Loi sur la restauration de la nature, contre tous les pronostics donnant le vote perdant.
Durant des semaines et notamment au cours des dernières 24 heures précédant le vote, des personnes se sont mobilisées par milliers pour empêcher les politiques de réaliser la prophétie de sabotage de la nature annoncée par la droite européenne. La main citoyenne a réécrit le récit inacceptable d’une Europe qui ne souhaite pas protéger et restaurer ses écosystèmes. Même si le texte est bien en-deçà des enjeux qu’il tente d’adresser, il représente une victoire des citoyens sur la tragédie environnementale en cours.