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17 juillet 2023

Loi sur la restauration de la nature : quel bilan pour l’océan ?

Mercredi 12 juillet, les députés européens ont finalement adopté in extremis, par 336 voix contre 300, une Loi sur la restauration de la nature (« Nature restoration law » ou NRL) très affaiblie. Les objectifs de restauration des écosystèmes que la loi instaure (20% des terres et des mers d’ici 2030 et l’intégralité des écosystèmes en besoin de restauration d’ici 2050) constituent une victoire politique incontestable de la gauche écologiste sur la droite, qui s’était juré de faire tomber le texte.  

Mais à quel prix ?

Au prix de concessions massives accordées par la droite au profit des lobbies industriels…

Et au prix de l’océan, bien qu’il soit au bord de l’abîme. 

Non seulement les deux mesures immédiatement efficaces portées par le député Younous Omarjee pour la protection et la restauration de l’océan ont été rejetées (la création d’aires marines réellement protégées et l’exclusion des navires de plus de 25 mètres des eaux côtières), mais l’ensemble des amendements requis pour que cette législation devienne la véritable pierre angulaire de la sauvegarde de nos écosystèmes européens a été sacrifié. 

La situation est, à proprement parler, délirante : le Parlement européen a une position plus faible même que celle du Conseil, alors que ce dernier, qui représente les États membres de l’Union européenne, œuvre traditionnellement au sabotage des lois tandis que le Parlement incarne en général l’ambition. Cela signifie que le Parlement européen, qui s’est pourtant battu pour obtenir le statut de colégislateur au même titre que le Conseil via le Traité de Lisbonne, va arriver au « trilogue » — qui réunit autour d’une même table la Commission européen, le Parlement et le Conseil — pour s’accorder sur une législation finale qui fasse la synthèse des positions défendues par les trois institutions européennes, avec une position plus décharnée encore que celle des États. C’est le monde à l’envers ! Mais c’est le monde qui nous attend dans une Europe qui penche de plus en plus à droite et à l’extrême-droite.  

Mais, une ultime bataille demeure.  

Car, contre toute attente, un amendement crucial pour l’océan est passé entre les mailles du filet. Cet amendement crucial, c’est l’amendement 15, qui instaure une obligation de protection et de restauration des écosystèmes marins et place la Commission européenne aux manettes en cas de défaillance. 

Une nature dégradée en besoin urgent de réparation

Plus de 80% des habitats européens sont en mauvais état et seulement 23% des espèces suivies dans le cadre des directives européennes sur la nature sont en bonne santé. La Loi sur la restauration de la nature s’inscrit dans le contexte terrifiant d’une extinction de masse des espèces vivantes où, selon le dernier rapport du panel intergouvernemental sur la biodiversité (IPBES), plus d’un million d’espèces sont menacées d’extinction à brève échéance. La protection et la restauration des écosystèmes, sur terre comme en mer, est donc urgente. 

L’urgence terrestre

  • En Europe, tous les milieux naturels (les eaux souterraines, les sols, les lacs et rivières, les sédiments) sont contaminés par les polluants « éternels » (les « PFAS », utilisés depuis les années 1940) qui comprennent des milliers de substances chimiques aux conséquences dramatiques sur la santé (cancers, chute de la fertilité, problèmes cardio-vasculaires…) et ont la caractéristique de ne pas se dégrader. Une étude de Générations Futures a montré que les lacs et les rivières de 93 départements français étaient contaminés par ces composés perfluorés. 
  • Les populations d’insectes ont diminué de 70 à 80 % dans les paysages européens mixtes agro-industriels, dans l’indifférence générale, malgré leur rôle essentiel de « clefs de voûte » pour assurer la bonne santé des écosystèmes. Apparus il y a 400 millions d’années, les insectes représentent 80% des espèces animales.  
  • L’Europe perd en moyenne 20 millions d’oiseaux par an. En milieu agricole, la population d’oiseaux a ainsi baissé de quelques 60% depuis 1980 en raison de l’intensification des pratiques agricoles (monoculture, perte de haies, recours aux pesticides et engrais, effondrement des populations d’insectes). 
  • Bien que le couvert forestier européen ait augmenté au cours des dernières années, l’état de santé de la forêt est médiocre avec une très faible résilience et diversité des forêts de l’UE. Forest Europe estime par exemple que 33% des forêts européennes ne comptent qu’une seule espèce d’arbre (surtout des conifères).  
  • Les tourbières, des zones très humides où la matière organique se décompose très lentement et s’accumule pendant des milliers d’années, en stockant de grandes quantités de carbone — près de deux fois plus que les forêts du monde entier — sont en danger. Les tourbières couvrent près de 3% de la surface de la Terre, filtrent l’eau, minimisent les risques de sécheresse et d’inondation… Mais elles sont brûlées ou drainées pour l’agriculture ou pour servir de carburant. Lorsque les tourbières sont exploitées, elles libèrent du carbone, à hauteur de 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.  
  • Les rivières d’Europe, quant à elles, sont entravées par plus d’un million d’écueils artificiels (barrages, gués, écluses, etc.) qui contrarient l’écoulement de l’eau et génèrent de vastes pertes de biodiversité. Au fil des siècles, l’Europe a fragmenté ses rivières en portions régulières d’eaux stagnantes. Seul un tiers des rivières de l’UE est considéré en bon état écologique.  

L’urgence marine

  • Selon une étude publiée par l’Agence européenne pour l’environnement en 2019, « la perte de biodiversité dans les eaux européennes n’a pas pris fin », la situation étant jugée « problématique » dans 84% des zones étudiées, tandis que 65% des fonds marins prétendument « protégés »  demeurent en condition « défavorable ». 
  • Si les stocks de diverses espèces de poissons sujettes à quotas se sont stabilisés, ces derniers demeurent à des niveaux historiquement bas. Les eaux européennes, longtemps considérées inépuisables, sont aujourd’hui exsangues : dans l’Atlantique Nord, ce sont 90% des espèces marines de prédateurs qui ont disparu depuis 1900. En mer du Nord, la biomasse actuelle des poissons pesant entre 4 et 16 kilogrammes a chuté de 97,4% par rapport à la période préindustrielle. L’effondrement atteint 99,2% pour les poissons pesant entre 16 et 66 kilogrammes. Une étude scientifique estime qu’à effort de pêche constant, les captures des chalutiers opérant dans les eaux britanniques ont chuté de 94% depuis 1890, témoignant de l’épuisement des fonds marins britanniques. 
  • Selon l’IPBES, « la pêche est l’activité ayant eu l’impact le plus important sur la biodiversité marine (espèces ciblées, espèces non ciblées et habitats) au cours des 50 dernières années, aux côtés d’autres facteurs significatifs ». La pêche industrielle, via des techniques de pêche destructrices et peu sélectives, est la première responsable de cet effondrement de la biodiversité marine en Europe. Les chalutiers de fond sont responsables à eux seuls de 93% des rejets de la flotte de pêche européenne, requièrent une consommation de gasoil trois fois plus importante que les autres flottes, détruisent l’intégrité physique des habitats marins, et délogent le carbone stocké dans les sédiments marins. 

Au terme de mois de négociations et d’un ultime vote au Parlement européen, la position adoptée par le Parlement européen constitue un vrai carnage politique. 

La restauration des écosystèmes marins sacrifiée

L’article 5 de la Loi sur la restauration de la nature était consacré à la restauration des écosystèmes marins. Cet article, d’une importance capitale pour l’océan, a vu son ambition considérablement amoindrie. 

  • En adoptant l’amendement 18 du groupe Renew sur l’article 5, le Parlement s’est aligné sur la position faible du Conseil. L’article 5.1, dans sa nouvelle version, exclut ainsi les sédiments meubles (groupe 7 de l’annexe II) de l’objectif de restauration de 30% des écosystèmes dégradés d’ici 2030, alors que ces derniers jouent un rôle majeur dans le stockage de carbone. 
  • En adoptant l’amendement 29 déposé par le groupe ECR, les députés ont supprimé l’article 5.2 qui visait à accroître la superficie des zones soumises à des mesures de restauration. Un recul majeur qui ne garantit pas que les zones restaurées suffiront à aboutir à des écosystèmes sains et résilients à long terme.  
  • L’amendement 125/rev1, déposé par un groupe de parlementaires de la droite conservatrice du PPE, est venu fortement amoindrir le principe de non-détérioration des zones restaurées ou en cours de restauration. Là où la Commission européenne spécifiait que « les États membres doivent s’assurer que les zones dans lesquelles un bon état et une qualité suffisante des habitats d’espèces ont été atteints ne se détériorent pas », les parlementaires ont adopté un amendement qui détruit toute ambition par une succession d’euphémismes et de jeux d’échelle : désormais, « les États membres s’efforcent, dans la mesure du possible, de prendre les mesures qui s’imposent dans le but d’éviter que les zones dans lesquelles un bon état et une qualité suffisante des habitats d’espèces ont été atteints ne se détériorent pas de manière significative au niveau national »… 
  • Les amendements 32, 104 et 126/rev1 déposés par le groupe ECR et adoptés en plénière, ont supprimé l’intégralité de l’article 5.7, alors que celui-ci prévoyait que l’ensemble des écosystèmes, y compris ceux ne bénéficiant pas de mesures de restauration, ne soient pas détériorés. Cette suppression du principe de non-détérioration constitue un recul majeur par rapport à la proposition de la Commission européenne et témoigne du refus des parlementaires d’acter la nécessité de mettre fin à la destruction des écosystèmes européens. 
  • L’adoption de l’amendement 7 déposé par le groupe Renew affaiblit encore la proposition de la Commission en créant de nouvelles dérogations au principe de non-détérioration des zones protégées ou restaurées lorsque « des circonstances exceptionnelles liées à la réalisation ou à la poursuite d’activités d’intérêt public » sont invoquées.  
  • Les amendements 77 et 78, déposés par le député français Younous Omarjee au nom du groupe The Left, et soutenus par des députés de différents groupes politiques, ont été rejetés. Ces deux amendements proposaient, respectivement, l’interdiction des méthodes de pêche à fort impact dans les aires marines protégées et l’exclusion de la bande côtière les navires de plus de 25 mètres ont été balayés. En l’absence de « roll call vote » (ou « RCV », c’est-à-dire une procédure de scrutin public permettant d’obtenir a posteriori le détail des votes), impossible d’identifier les députés qui se sont prononcés contre ces deux amendements proposant pourtant des mesures immédiatement efficaces. 

L’amendement 15 sauvé de l’abîme

L’amendement 15, porté par une large coalition d’associations dédiées à la protection de l’océan, a résisté à cette entreprise de destruction orchestrée par la droite. Un nouvel article est ainsi dédié à la « mise en œuvre des mesures de restauration des écosystèmes marins », et devrait permettre, après 30 ans d’échecs concernant la mise en place d’aires marines réellement protégées en Europe, de mettre fin aux blocages diplomatiques que les États invoquent pour ne pas interdire les techniques de pêche destructrices, dont le chalutage de fond, dans les aires marines dites « protégées ». 

En effet, la Politique commune de la pêche requiert que les États européens soumettent des « recommandations communes » avec les autres États membres ayant un « intérêt direct dans la gestion de l’activité de pêche qui sera concernée par ces mesures » (article 11 de la Politique commune de la pêche). A ce jour, cette disposition a été mise en œuvre dans une poignée de cas, alors qu’elle constitue le cœur du dispositif européen de protection des écosystèmes marins, les États se réfugiant derrière la prétendue complexité de cette procédure diplomatique pour ne pas établir d’interdictions de la pêche industrielle dans les aires marines supposément « protégées ». 

Grâce à ce nouvel article adopté dans la Loi sur la restauration de la nature, les États qui feront état dans leurs « plans nationaux de restauration » de mesures de protection et de restauration des écosystèmes marins seront dans l’obligation de soumettre dans les 12 mois leurs « recommandations communes », sans quoi la Commission européenne pourra prendre des mesures d’urgence pour la protection et la restauration effective des écosystèmes concernés. 

A ce jour, 86% des aires marines « protégées » de l’Union européenne sont sujettes au chalutage de fond. En France métropolitaine, la pêche industrielle opère près de la moitié du temps dans des aires marines dites « protégées ». L’amendement 15 adopté au Parlement européen permettrait donc, d’ici quelques années, de mettre fin à l’imposture des « aires marines protégées », en interdisant enfin les techniques de pêche destructrices dans les aires marines dites « protégées » ou « restaurées ». 

Un ultime trilogue pour décider de l’avenir des aires marines « protégées » et « restaurées »

Le mercredi 19 juillet, les trois institutions européennes (Commission européenne, Conseil et Parlement) se réunissent à Bruxelles pour un dernier round de négociation.  

Le Conseil avait adopté une version amoindrie de la Loi sur la restauration de la nature le 20 juin 2023. Avec un Parlement européen qui arrive à la table des négociations avec une version encore plus faible, cette dernière étape du processus législatif pourrait se conclure rapidement, voire en une seule et ultime réunion. 

Dans ce contexte, l’amendement 15 constitue une bouée de sauvetage inespérée pour que cette loi, qui représentait une opportunité historique, ne soit pas le lieu du sacrifice de la nature sur l’autel de considérations clientélistes au profit des lobbies industriels.  

L’Union européenne est la première puissance maritime mondiale.  

La France représente 45% de l’espace maritime européen. 

Si le rapporteur du Parlement européen César Luena et le Président de la République française Emmanuel Macron décident de sauver l’océan et de mettre en œuvre une véritable politique publique européenne de protection marine, l’amendement 15 leur en donne la possibilité. L’avenir de la protection et de la restauration des écosystèmes marins européens dépendra de la décision que prendront César Luena et Emmanuel Macron lors du trilogue du mercredi 19 juillet 2023.

Comment agir ?

  • Signez la pétition adressée à Emmanuel Macron pour obtenir de VRAIES aires marines protégées.
  • Interpellez Emmanuel Macron — soit sur les réseaux sociaux, soit par le biais du formulaire de l’Élysée ci-dessous —, avec une courtoisie irréprochable, cela va sans dire. Le monde est assez brutal comme cela ! Merci.

 

Pour aller plus loin : les autres mesures sacrifiées par le Parlement européen

La focalisation sur les zones Natura 2000

L’amendement 21 déposé par le groupe ECR sur l’article 4.1 propose de focaliser les mesures de restauration des écosystèmes terrestres, côtiers et d’eau douce aux seules zones Natura 2000 : 

« Les États membres ont pour objectif de mettre en place, sur les sites Natura 2000, les mesures de restauration nécessaires pour atteindre progressivement l’état de conservation favorable des types d’habitats énumérés à l’annexe I qui ne sont pas en bon état ». 

Un refus de conjuguer urgence climatique et protection de la biodiversité

Le Parlement européen s’aligne sur la position du Conseil et introduit une exemption générale à la Loi sur la restauration de la nature pour tous les projets relatifs aux énergies renouvelables. Si l’urgence climatique requiert de développer massivement les énergies décarbonées, les parlementaires européens refusent de tenter de concilier enjeux climatiques et enjeux de protection de la biodiversité. En effet, les États pourront tout simplement exempter ces projets de :

« l’obligation de prouver qu’il n’existe pas de solution de remplacement moins préjudiciable (…) si une évaluation environnementale stratégique a été réalisée ». 

Ainsi, même en l’absence d’une alternative moins préjudiciable, un projet solaire ou éolien pourra voir le jour sur la base d’une simple « évaluation environnementale stratégique ». Et ce alors que, dans son rapport de mars 2023, le GIEC soulignait que le second levier le plus efficace « pour atténuer le réchauffement climatique résidait dans la conservation des écosystèmes naturels, la séquestration du carbone et la restauration des écosystèmes (GIEC, 2023, Résumé à l’intention des décideurs, Figure 7) ».

La suppression de l’accès à la justice

L’adoption de l’amendement 18 de Renew, qui reprend la position du Conseil, et de l’amendement 44 du groupe ECR ont également mené à la suppression de l’intégralité de l’article 16 sur l’accès à la justice, allant ainsi à l’encontre de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et à l’accès à la justice en matière environnementale. 

 

 

Photo de Leonardo Alves Sá sur Unsplash.

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