08 juillet 2023
Au Parlement européen, à Strasbourg, lors d’un vote en plénière prévu le 12 juillet, les 705 députés européens se prononceront sur la « loi sur la restauration de la nature », un texte d’une importance cruciale pour l’avenir du climat, de nos écosystèmes, de notre santé et de notre souveraineté alimentaire.
En amont de ce vote, deux amendements cruciaux à l’efficacité immédiate ont été déposés pour l’océan et les pêcheurs.
Les mesures proposées permettraient de régler efficacement deux problèmes majeurs de l’UE : la destruction des écosystèmes marins et l’hémorragie inquiétante des emplois dans son secteur de la pêche.
A ce jour, les aires marines dites « protégées » ne le sont absolument pas. En Europe, 86% de ces aires marines supposément protégées sont sujettes au chalut. En moyenne, le chalutage y est même 1,4 fois plus intense qu’à l’extérieur. Ce constat d’échec se retrouve également en France, où la pêche industrielle opère près de la moitié de son temps dans des aires marines dites « protégées ».
Alors que l’Agence européenne pour l’environnement (EEA) a fait état d’une forte perte de biodiversité dans plus de 80% des mers européennes, le premier amendement permettrait de créer, enfin, de véritables aires marines protégées en Europe, en y interdisant les méthodes de pêche à fort impact tel que le chalutage de fond, qui détruit les habitats marins, met en péril la capacité de stockage de carbone de l’océan et génère 93% des rejets dans les pêches européennes.
Faisant écho aux recommandations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et aux panels intergouvernementaux sur l’évolution du climat et de la biodiversité (GIEC et IPBES), cette mesure répond directement aux plus de 1000 scientifiques qui ont appelé le Parlement européen à soutenir une évidence scientifique : la façon la plus efficace de restaurer l’océan est de le protéger.
Un sondage inédit de l’institut IPSOS, publié lundi 3 juillet, révélait qu’en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, 79% des citoyens sont favorables à la protection de 30% des eaux européennes en y interdisant les techniques de pêche destructrices. Les pêcheurs artisans y sont également favorables mais sont tenus sous pression par les industriels pour se taire.
Le choix que devront faire les parlementaires est clair : choisir la protection de l’océan, c’est permettre sa restauration et la régénération des poissons et écosystèmes marins, et sauvegarder la profession qui dépend de cette ressource. Mais régénérer la ressource pour la distribuer à une poignée d’industriels est injuste et irrationnel. D’où la nécessité immédiate de justice sociale avec le deuxième amendement.
A ce jour, des navires industriels immenses sont autorisés à venir dévaster les eaux côtières européennes en détruisant les écosystèmes marins en même temps qu’ils anéantissent par une compétition parfaitement déloyale les pêcheurs des littoraux européens.
Les eaux côtières sont des nourriceries et des habitats essentiels pour les juvéniles de nombreuses espèces. La préservation de l’intégrité physique et biologique de ces zones est donc cruciale pour maintenir une grande diversité d’espèces de poissons et de ressources halieutiques, dont les pêcheurs côtiers dépendent directement.
En Europe, la pêche côtière joue un rôle majeur dans l’économie du littoral : les navires de moins de 25 mètres représentent 97% de la flotte européenne et 82% de l’emploi, mais ne débarquent que 28% du total des captures.
En France, les navires de moins de 25 mètres représentent 96% de la flotte de pêche, et 83% des emplois, pour la moitié des captures. Les navires de moins de 12 mètres, qui représentent 84% de la flotte et embarquent 60% des pêcheurs français, débarquent 23% des captures.
D’autres États de l’Union européenne ont une structure encore plus inégalitaire. En Allemagne, par exemple, les navires de moins de 25 mètres représentent 97% de la flotte de pêche et emploient 76% des pêcheurs allemands, pour débarquer 9% des captures.
Protéger la bande côtière des 12 milles nautiques des navires de plus de 25 mètres, conçus pour opérer au large, constitue donc un enjeu majeur de justice sociale. Pourtant, il n’existe à ce jour aucune disposition légale pour protéger les pêcheurs côtiers européens des 3 % de navires de pêche industrielle de plus de 25 mètres, qui surexploitent les eaux côtières et laissent dans leur sillage un désert, sans se soucier des autres pêcheurs. En France, le Comité régional des pêches de Normandie plaide ainsi, entre autres, en faveur d’une limite de 25 mètres pour les navires de pêche en Manche.
Le Parlement européen ne s’y est pas trompé, en adoptant en janvier 2023 une résolution soulignant que « la viabilité de la pêche artisanale dépend fondamentalement d’un accès garanti aux ressources et aux zones de pêche » et a appelé « à une approche différenciée de la gestion de la pêche artisanale comportant un accès prioritaire aux zones de pêche littorales ».
Ce second amendement, qui répond simultanément à des enjeux sociaux et environnementaux, permettrait donc de passer de la parole aux actes, et de s’assurer que les mesures de protection et de restauration engagées dans la zone côtière bénéficie directement, et exclusivement, à la pêche côtière.
Notre plaidoyer pour une loi sur la restauration de la nature ambitieuse
Si les mesures proposées par Younous Omarjee, soutenues par des parlementaires des groupes RENEW, PPE, S&D, Greens et The Left, étaient adoptés en même temps que la « Loi sur la restauration de la nature » le 12 juillet prochain en plénière, deux enjeux majeurs liés à la restauration des écosystèmes marins et à la protection de la pêche côtière seraient donc efficacement résolus.
Lors des votes en Commissions de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Environnement, des alliances antiécologiques inédites n’ont pas permis d’amender la proposition de la Commission européenne.
Pourtant, alors que la température moyenne à la surface du globe a battu cette semaine des records historiques qui laissent présager du pire, que l’étendue de la banquise antarctique connaît une anomalie sans précédent, et que l’océan Atlantique enregistre une canicule marine inédite, l’issue de ce vote sur la restauration de la nature et sur ces amendements clés est plus qu’incertaine.
Charge aux 705 parlementaires européens, et notamment aux parlementaires du groupe RENEW, qui ont le pouvoir de faire et défaire les majorités, d’être à la hauteur de la crise climatique et de l’effondrement de la biodiversité qui nous frappent de plein fouet, et de mettre 97% de la flotte et 83% des pêcheurs français, embarqués sur des navires de moins de 25 mètres, à l’abri d’une concurrence insensée qui se déroule par manque de volonté politique.
Projection sur le Parlement européen © Joanie Lemercier – Photo © Julien Bauzin