26 septembre 2023
Lundi 25 septembre, le président Emmanuel Macron a présenté le programme de “planification écologique” censé permettre à la France de devenir une “grande nation écologique”. Après une année de travail interministériel, le gouvernement a réussi l’exploit de créer le concept creux “d’écologie à la française” et d’oublier souverainement l’océan, à peine évoqué, alors que la France forme la deuxième puissance maritime internationale et que l’océan gouverne le climat mondial. Dès le lendemain, 26 septembre, deux réunions organisées par le gouvernement ont confirmé une feuille de route absolument dénuée de volonté politique de protéger le milieu marin. Le « La » est donné pour la Conférence des Nations unies sur l’océan que la France accueillera en juin 2025 à Nice. A moins d’un revirement spectaculaire de l’État, la grand messe internationale accueillie par la France s’apprête à être un sommet de plus de l’hypocrisie et de l’irresponsabilité politiques.
L’océan absorbe plus de 90% des excédents de chaleur et jusqu’à un tiers des émissions de CO2 produits par les activités humaines, il est « notre plus grand allié contre le réchauffement climatique » selon l’ONU, mais la France, la plus importante puissance maritime mondiale (10 millions de km2) avec les Etats-Unis, s’entête à l’ignorer, sauf lorsque l’océan peut « rapporter » politiquement et médiatiquement. C’est ainsi que l’océan, grand régulateur du climat mondial est passé sous silence lors des grandes annonces concernant la « planification écologique », mais sorti du chapeau pour des raouts diplomatiques à potentiel médiatique, tel que le One Ocean Summit à Brest en février 2022 ou la prochaine conférence de l’ONU sur l’océan qui sera accueillie par la France à Nice en juin 2025.
Aujourd’hui, deux réunions multipartites organisées par le gouvernement en vue de la conférence de l’ONU sur l’océan ont mis en avant la détermination de l’État à déployer tout le techno-solutionnisme possible pour prétendument « protéger » l’océan (jumeau numérique, dispositifs financiers, économie bleue etc.), mais pas les mesures qui s’imposent pour restaurer les écosystèmes marins et régénérer les abondances des populations d’espèces marines : l’interdiction des méthodes de pêche destructrices dans les aires marines faussement protégées françaises et l’accompagnement du secteur de la pêche vers sa « déchalutisation » (terme forgé par le professeur d’halieutique Didier Gascuel visant à sortir la France de l’ornière des méthodes de pêche détruisant les fonds et les animaux marins).
L’imposture française ne fait plus guère illusion. Début septembre, un éditorial cinglant publié dans la prestigieuse revue Nature épinglait très sévèrement le chef de l’État, dénonçant “l’incohérence entre les promesses et les actions des champions auto-proclamés de l’océan”.
La fausse route marine du gouvernement n’a rien de fortuit. Le Président et son secrétaire d’État à la mer, Hervé Berville, évitent scrupuleusement de contrarier les acteurs de la pêche industrielle, bien qu’elle soit reconnue comme la première cause de destruction de l’océan par les spécialistes de la biodiversité (IPBES). Stabiliser le climat nécessiterait de protéger l’océan, et protéger l’océan nécessiterait de mettre fin à sa destruction quotidienne perpétrée par des engins de pêche à fort impact écologique et social comme le chalut de fond ou la senne démersale, autant de méthodes de pêche défendues ardemment par les lobbies bretons de la pêche industrielle.
Après de telles « non-annonces » pour l’océan, les 21 mois qui nous séparent de juin 2025 et de la conférence de l’ONU sur l’océan risquent de ressembler à un chemin de croix aboutissant à un immense moment de gêne internationale. Il est encore temps pour une volte-face spectaculaire de l’État avec la Stratégie nationale biodiversité 2030, la Stratégie nationale mer et littoral, la révision des Documents stratégiques de façade, ou le Plan d’action de l’Union européenne pour l’océan. Les administrations et les citoyens ont leur rôle à jouer pour faire entendre leur désarroi face à tant d’hypocrisie environnementale.
Enjeu | Le problème | Les propositions de la “planification écologique” | Ce qu’il faudrait faire |
Protection et restauration des écosystèmes marins | À ce jour, les “aires marines protégées” françaises constituent de véritables coquilles vides. Les navires de pêche industrielle opèrent près de la moitié du temps dans ces aires supposément “protégées”.En mars 2023, le Secrétaire d’Etat à la Mer Hervé Berville s’est dit “totalement, clairement et fermement opposé” à l’interdiction du chalutage de fond dans les aires marines “protégées”. |
Rien. |
Abandonner le concept d’aires marines “protégées à la française” et adopter une définition claire de ce qu’est une AMP.
Abandonner le concept français de « protection forte » pour s’aligner avec la « protection stricte » européenne (c’est-à-dire « no take » : aucune activité humaine dans les zones les plus protégées). Exclure des aires marines “protégées” toutes les activités et infrastructures industrielles, conformément aux critères de l‘UICN (pêche industrielle, éolien, granulats…). Créer 30% d’aires marines protégées sur chaque façade maritime et bassin ultramarin d’ici 2030, dont un tiers sous “protection stricte”. |
Transition du secteur vers une pêche vertueuse socialement et écologiquement | Depuis des décennies, les pouvoirs publics ont soutenu, au nom du productivisme, des méthodes de pêche destructrices et consommatrices de carburant, en particulier le chalut.
Cette dépendance structurelle au carburant est le talon d’Achille du secteur qui ne doit sa survie qu’à l’injection massives d’aides publiques pour compenser les envolées des cours du pétrole. Rien qu’avec les détaxes dont il bénéficie sur le carburant, le secteur de la pêche économise chaque année 154 millions d’euros. Depuis mars 2022, ce sont 75 millions d’aides gasoil supplémentaires qui ont été débloqués dans le contexte de la guerre en Ukraine. |
Rien.
Aucun plan de transformation du secteur le plus impactant pour l’océan. |
Sortir le secteur de la pêche de sa dépendance aux énergies fossiles en stoppant les subventions au carburant.
Engager la déchalutisation de la pêche française et accompagner la transition du secteur vers des méthodes à faible impact, bas carbone et qui maximisent les emplois. Exclure immédiatement les navires de pêche de plus de 25 mètres de la bande des 12 milles nautiques. Allouer en priorité, de manière objective et transparente, les quotas à la petite pêche artisanale. Rendre publiques toutes les aides accordées au secteur de la pêche. |
Soutien public aux énergies fossiles | Le GIEC & l’Agence internationale de l’énergie recommandent de ne pas ouvrir de nouveaux champs de pétrole et de gaz pour espérer rester sous la barre des 2°C.
À travers des “Partenariats pour une transition énergétique juste”, la France présente le gaz comme une “énergie de transition” et soutient le développement de nouveaux champs gaziers en Afrique du Sud et au Sénégal. |
Rien.
Le néant. |
Condamner publiquement tous les nouveaux projets pétroliers et gaziers engagés par Total Energies, et/ou soutenus par des banques françaises.
Abandonner toute politique publique visant à présenter le gaz comme “énergie de transition”. Légiférer pour interdire aux entreprises françaises de participer au développement, au financement et à l’exploitation de nouvelles ressources fossiles. Soutenir l’adoption d’un accord international sur la non-prolifération des énergies fossiles. |
Image : Capture d’écran de l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron, le 25 septembre 2023.
11 avril 2023
Aujourd’hui, BLOOM porte plainte auprès de la Cour de Justice de la République contre le Secrétaire d’État à la Mer, M. Hervé Berville, pour des propos graves qui ont provoqué la commission d’infractions et remis en cause les principes de dignité, de probité et d’intégrité auxquels sont tenus les membres du gouvernement. Les propos mensongers du secrétaire d’État ont abîmé la possibilité de mener un débat démocratique éclairé et apaisé concernant les transitions que nous devons entamer face au péril climatique et à l’effondrement de la biodiversité.
24 mai 2023
En amont de l’Assemblée générale de TotalEnergies, alors que citoyens et scientifiques dénoncent les investissements fossiles de l’entreprise et appellent ses actionnaires à voter contre sa prétendue « stratégie climat », BLOOM publie une enquête inédite « Le joker ENR » qui révèle l’instrumentalisation faite par TotalEnergies de ses investissements dans les énergies renouvelables pour masquer ses investissements fossiles et « verdir » ses plateformes pétrolières.
10 février 2022
Note de décryptage du ONE OCEAN SUMMIT de Brest – 10 février 2022