10 février 2022
Note de décryptage du ONE OCEAN SUMMIT de Brest – 10 février 2022
Emmanuel Macron est à l’image de l’océan : un système fermé, circulaire, parfaitement cohérent et très vulnérable. En quoi le Président de la République est-il vulnérable ? Dans sa lisibilité. Ses actes procèdent d’une implacable logique libérale qui voit surtout dans la nature des opportunités d’exploitation, tandis que ses annonces procèdent d’une nécessité politique de s’afficher comme un président soucieux d’écologie. Tenir des objectifs si diamétralement opposés dans une même main médiatique, en fin de mandat, relève de la gageure car il faut, en plus de faire des annonces « à effets » qui n’engagent en rien, masquer le total flop diplomatique qu’a représenté ce sommet embarrassant pour la France, déserté par les grandes puissances mondiales.
Comme le macronisme est très cohérent, il est possible de faire des pronostics sur les annonces du Président sans prendre trop de risques de se tromper.
Voici ce que BLOOM anticipe des annonces présidentielles attendues pour le vendredi 11 février à Brest ainsi qu’un décryptage de leur opportunisme politique.
Ça ne coûte rien et ça rapporte gros. Les « AMP » sont bien des « aires marines » (AM) mais pas du tout « protégées » (P) ! La France clame avoir protégé 23,5 % de ses eaux territoriales,[1] mais en fait, seul 1,6% de notre territoire marin est réellement protégé »[2], c’est-à-dire que les activités humaines comme la pêche et l’extraction minière y sont interdites. Toutes les autres aires marines – pas du tout protégées mais comptabilisées comme telles – tombent dans un cadre d’exploitation très variable sobrement appelé « multi-usages » mais cachant une exploitation pouvant permettre des activités très destructrices comme la pêche au chalut de fond ou à la senne démersale. Une publication scientifique[3] a même révélé que l’intensité du chalutage de fond à l’intérieur des aires marines européennes dites « protégées » était 1,4 fois plus forte qu’à l’extérieur !
Du point de vue de l’agenda politique, Emmanuel Macron a tout intérêt à taper fort avec un chiffre impressionnant qui, à deux mois jour pour jour du premier tour de l’élection présidentielle, fera la une des journaux et sera repris sans analyse critique de ce qu’il livre comme réels bienfaits environnementaux car il sera noyé dans une masse d’annonces à des médias qui ne peuvent pas s’improviser, pour la rare fois où l’actualité politique porte sur les océans, en experts du domaine marin.
La Convention sur la diversité biologique a fixé de protéger 30 % des espaces terrestres et maritimes d’ici 2030. La France possède le 2ème plus grand territoire maritime mondial mais elle est au 17ème rang en termes de protection de ses eaux nationales, qu’elle protège deux fois moins que la déjà très faible moyenne mondiale (2,8%). La France se situe loin derrière le Royaume-Uni (2ème rang mondial après Palau) qui a créé des réserves marines de protection intégrale sur 39% de son territoire maritime.[4]
Pour se faire passer pour le fer de lance de la protection marine en amont de la 15e Conférence de la Convention sur la diversité biologique (CDB) qui se tiendra à Kunming en Chine, du 25 avril au 8 mai 2022, le Président pourrait annoncer protéger « au moins » 30% du territoire marin français, puisqu’il évitera soigneusement de parler de « protection intégrale », ce qui serait un progrès extraordinaire pour la conservation des espèces et les objectifs de l’Accord de Paris pour la résilience climatique, mais utilisera sans doute une formule-poudre aux yeux comme « aires marines avec forte protection », qui permettront de poursuivre les activités extractives.[5]
Si nous étions de cyniques conseillers politiques du Président, nous lui conseillerions, puisque la catégorie d’aires marines protégées « à forte protection » engage peu, à créer un gros effet médiatique en dépassant même l’objectif de 30% de la Convention sur la diversité biologique…
Pour finir, nous parions que le Président français annoncera la création de ces aires (faussement) protégées dans des zones très lointaines de la ZEE française, de l’Océan austral ou Pacifique, qui ne sont pas du tout exploitées par les pêcheurs. Il faut savoir que tout a été fait pour que les AMP soient tout à fait inefficaces et ne gênent aucunement les activités de pêche puisque seuls 4% des AMP se situent en France métropolitaine.
Ce sera difficile pour le Président de faire l’impasse sur la question brûlante du moratoire international sur l’exploitation minière en grande profondeur, réclamée par les ONG, de nombreux scientifiques et désormais soutenue par un nombre croissant d’industriels, comme le constructeur automobile Renault qui a déclaré à l’agence de presse Reuters le mercredi 9 février soutenir le moratoire contre l’exploitation minière en haute mer[6] et prendre l’engagement de ne jamais se procurer de métaux issus des grandes profondeurs dans sa chaîne de production.
L’ironie du sort a creusé le décalage entre les objectifs extractivistes d’Emmanuel Macron et la tendance mondiale d’un rejet de plus en plus grand de l’idée même d’exploiter le dernier espace vierge de la planète : les grandes profondeurs océaniques. Alors que le Président français réservait la très symbolique ouverture du sommet au secrétaire général de l’Autorité des fonds marins, Michael Lodge, adepte décomplexé de l’exploitation minière dans les eaux internationales malgré la contradiction de sa posture avec sa mission (le rôle de l’Autorité des fonds marins est explicitement de « protéger efficacement » la haute mer et certainement pas de faciliter la mise en œuvre de l’exploitation !), des législateurs américains introduisaient un projet de loi[7] visant à interdire l’exploitation minière profonde dans les eaux territoriales de la Californie.
S’il voulait être cohérent avec les impératifs écologiques de préservation du vivant au moment de la 6ème extinction de masse des espèces et les objectifs climatiques de l’Accord de Paris, le Président devrait renoncer fermement et définitivement à toute exploitation des ressources minières dans les eaux internationales.
Le Président va-t-il assumer son extractivisme, quitte à anéantir ses efforts de markéting écolo ou tenter de faire tenir un « en même temps » impossible et de greenwasher une exploitation hautement destructrice ? Comment justifiera-t-il que son plan d’investissement « France 2030 » s’oppose en tous points à l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable et fasse de l’exploration des grands fonds marins une priorité, avec un budget d’environ deux milliards d’euros investis dans la prospective minière océanique et l’espace ?
-> On peut imaginer un exercice d’équilibriste mêlant des éléments de langage incertains et permettant de déporter le problème en périphérie, par exemple sur les aires marines protégées ou la réforme du Code minier…
Alors que le sujet de la surpêche a soigneusement été évité au sommet One Ocean, il faudra bien à la Présidence faire semblant de ne pas avoir peur de s’attaquer à la pêche industrielle, puisqu’elle est reconnue par les chercheurs comme étant la première cause de destruction de l’océan. La pêche illégale est le sujet qui met tout le monde d’accord : la France n’a pas de flottilles illégales structurées comme les pêcheries pirates d’Etats dits « de complaisance » (à la gouvernance faible) et nos moyens militaires de surveillance des navires en haute mer permettent de redorer le blason de la France et de faire oublier la complaisance du pouvoir avec les industriels qui surexploitent les eaux territoriales européennes ou africaines et dévastent les équilibres socio-économiques des pêcheurs artisans (voir la lettre ouverte de Claire Nouvian à Emmanuel Macron).
-> Les annonces pourraient concerner un renforcement des contrôles ou de la coopération militaire internationale pour traquer les navires de pêche illégale…
Les sujets qui seront évités comme la peste seront certainement l’impact colossal des pêches industrielles sur l’état de santé de l’océan, le climat et les finances publiques. Alors que l’OMC négocie un accord international visant à interdire les subventions néfastes allouées au secteur de la pêche, le Président de la République fera sans doute l’impasse sur ce sujet qui est sous omerta des lobbies industriels, comme le bilan carbone des pêches, a détaxe au carburant dont ils bénéficient et les engins de pêche destructeurs des écosystèmes marins tels que le chalut de fond ou la senne démersale.
Le sujet est extrêmement médiatisé et la situation catastrophique. La France a tout intérêt à se faire passer pour une championne en matière de lutte internationale contre les pollutions plastiques alors que cette lutte est à l’agenda du Programme des Nations Unies pour l’environnement[8] et que les échéances qui ont été fixées au niveau français par la loi de 2020[9] « relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire » sont très lointaines et généreuses pour les industriels : la fin des emballages plastiques à usage unique est prévue « d’ici à 2040 », ce qui n’est si sérieux, ni ambitieux vue l’étendue du problème.
Le seul sujet sur lequel la France joue un rôle positif sans ambiguïté est le futur Traité de la Haute Mer, un accord onusien négocié depuis dix ans et portant sur la conservation de la biodiversité marine dans les eaux internationales. Le traité ne concerne que la masse d’eau et non pas les fonds marins, or comme les flottes de pêche françaises sont peu impliquées dans les activités en haute mer, la France a « les mains libres » et agit favorablement pour le Traité.
Ce qu’il faut en conclure est limpide : sous Macron, ce sont les groupes d’intérêts sectoriels qui dictent les politiques publiques.
[1] https://www.ecologie.gouv.fr/patrimoine-marin-et-aires-marines-protegees-francaises
[2] Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world. Joachim Claudet, Charles Loiseau, Antoine Pebayle, Marine Policy, Février 2021 https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0308597X20310307?via%3Dihub
[3] Dureuil et al., Elevated trawling inside protected areas undermines conservation outcomes in a global fishing hot spot. Science, 2018 Dec 21. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30573625/
[4] https://mpatlas.org/countries/list
[5] Voir le guide des AMP fait, entre autres, par le CNRS : https://www.cnrs.fr/sites/default/files/press_info/2021-09/CP-Science-guide-AMP-FINAL2_0.pdf qui clarifie : « Protection intégrale (aucune activité extractive ou destructive n’est autorisée) ; haute (seules les activités extractives légères sont autorisées et les autres impacts sont minimisés dans la mesure du possible) »
[6] https://www.reuters.com/business/autos-transportation/exclusive-frances-renault-says-it-backs-moratorium-deep-sea-mining-2022-02-09/
[7] https://www.santacruzsentinel.com/2022/02/08/ab-1832-could-protect-california-coast-from-contentious-deep-sea-mining/
[8] https://www.unep.org/ietc/resources/report/national-action-plan-plastic-waste-management-2021-2030
[9] Article 7 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite loi AGEC).