05 juin 2025
A quelques jours de l’accueil sur le sol européen de la troisième conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC), la Commission européenne a publié ce jeudi 5 juin son « Pacte européen pour les océans », un document très attendu qui devait marquer un tournant décisif pour la protection des eaux et la politique maritime européenne. Loin des attentes citoyennes et des recommandations scientifiques, la Commission européenne vient d’offrir au lobby de la pêche industrielle un cadeau qui constitue un véritable désastre pour la biodiversité marine, le climat et l’avenir de la pêche européenne.
Le Commissaire européen chargé de la Pêche et des Océans Kostas Kadis se livre ainsi à une destruction méthodique des travaux entamés par son prédécesseur, le Commissaire européen Virginijus Sinkevičius, qui était parvenu en février 2023 à tracer un nouvel horizon pour la pêche européenne avec son “Plan d’action pour l’océan”.
Initialement prévu pour être présenté le 4 juin par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le “Pacte européen pour les océans” aura finalement été dévoilé avec un jour de retard par le Commissaire européen à la pêche et aux océans Kostas Kadis. Un changement d’agenda qui révèle déjà à lui seul le manque d’intérêt et d’ambition de la Commission européenne sur ce dossier pourtant crucial.
Une version de travail avait été divulguée par les services de la Commission il y a quelques semaines, laissant entendre que ce Pacte ne serait qu’une simple coquille vide reprenant un à un des objectifs déjà existants, sans faire preuve de la moindre innovation législative ou du moindre courage politique. La vacuité de ce texte était telle que les deux anciens commissaires ayant précédé Kostas Kadis sur les enjeux relatifs à l’océan et à la pêche, Maria Damanaki and Virginijus Sinkevičius, avaient pris la plume le 2 juin pour appeler la Commission à faire preuve d’ambition, notamment en ce qui concerne “des règles contraignantes pour interdire le chalutage de fond dans les aires marines protégées, avec des délais clairs et des conséquences réelles en cas de non-respect« , craignant de voir le Commissaire tourner le dos à leurs travaux, à l’opinion publique et aux scientifiques.
Mais, à la lecture du document officiel publié ce jeudi 5 juin, c’est la douche froide : de la coquille vide, nous sommes passés à la capitulation de la Commission face au lobby de la pêche industrielle. De la “modernisation de la flotte de pêche” au simple et inefficace “vade-mecum présentant les meilleures pratiques que les États membres pourraient utiliser dans l’attribution des quotas de pêche”, tout y passe. Mais le pire est à venir : alors que le “Plan d’action pour l’océan” de la Commission européenne de février 2023 demandait d’interdire le chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées d’ici 2030, la Commission européenne soutient désormais noir sur blanc, dans le sillage du gouvernement français, une stratégie “au cas par cas” pour savoir où et quand interdire le chalutage dans les aires marines protégées européennes.
Ce “Pacte européen pour les océans”, qui devait garantir un avenir durable aux eaux européennes, se transforme en obstacle majeur. À l’heure où nos océans subissent des pressions sans précédent – surpêche, pollution, acidification –, la Commission européenne fait marche arrière, détricote le travail de ses prédécesseurs et renforce l’emprise du lobby industriel sur les politiques publiques européennes.
En dépit d’appels répétés de la communauté scientifique internationale, le document fait l’impasse sur la nécessité de mettre fin aux techniques de pêche destructrices. Le chalutage n’est pas évoqué une seule fois en 27 pages, alors que les chalutiers de fond et les chalutiers pélagiques représentent l’une des principales causes de destruction des écosystèmes marins.
Pire encore, concernant la protection des habitats marins, le Pacte non seulement se limite à rappeler les objectifs déjà existants de protection et de restauration des habitats marins sans proposer cependant de stratégie concrètes pour y parvenir, mais il réalise l’exploit de souligner que l’objectif de protection de 30% du milieu marin adopté dans la Stratégie européenne en faveur de la biodiversité à horizon 2030, qui est désormais un objectif international inscrit dans l’Accord de Kunming-Montréal, n’est qu’une cible non-contraignante (“aspirational”). Même verdict pour le “Plan d’action pour l’océan” publié par la Commission européenne il y a deux ans, qui demandait d’interdire le chalutage de fond dans les aires protégées européennes d’ici 2030 : non-contraignant (“aspirational”).
La faillite est totale. Rappelons que le 1er mars 2023, la DG ENVI rappelait devant les membres de la Commission pour la Pêche du Parlement européen que l’interdiction du chalutage de fond dans les aires marines protégées se fondait sur le droit européen existant et que le chalutage de fond dans les zones Natura 2000 désignées pour la protection des habitats était… illégal.
Mais, sous l’emprise du lobby du chalut, le Commissaire européen Kostas Kadis promet désormais, en opposition directe avec les prises de parole de la Commission, une stratégie “au cas par cas” afin de “déterminer quelles techniques de pêche sont compatibles avec la conservation des espèces et des habitats ciblés dans les AMP concernées ». Le tout quelques lignes après avoir expliqué que la politique de protection du milieu marin qu’il défendait était fondée sur « le principe de précaution; une approche scientifique de la décision politique; et une approche fondée sur les écosystèmes ».
Cette approche, prônée par le lobby du chalut, est désastreuse : elle consiste à donner un blanc-seing aux chalutiers pour que ces derniers continuent à exercer leur activité dans les aires dites « protégées » dès lors que leur impact sur la biodiversité serait considéré comme « acceptable». Et ce alors que moins de 12% des eaux européennes sont aujourd’hui classées comme « protégées », et que seulement 1% bénéficient d’une « protection stricte ». L’inscription de la stratégie « au cas par cas » dans le document qui doit définir les lignes directrices de la politique maritime européenne pour les années à venir sonne comme le dernier clou dans le cercueil d’une protection véritable et efficace de nos eaux.
En d’autres termes, avec ce Pacte, le Commissaire européen Kostas Kadis rejette à la fois les objectifs (« 30% d’aires marines protégées, dont un tiers sous protection stricte ») et les modalités de mise en œuvre (« interdiction du chalutage de fond dans toutes les aires marines protégées européennes d’ici 2030 ») établis par la première Commission d’Ursula von der Leyen.
N’étant plus à une contradiction près, cette stratégie « au cas par cas » entre aussi en totale contradiction avec l’objectif de simplification brandi en étendard par la Commission européenne. En effet, là où le « Plan d’action pour l’océan » de février 2023 édictait une interdiction franche, fondée sur les recommandations scientifiques internationales et le cadre de l’UICN, le « cas par cas » nécessitera, selon le Commissaire Kadis lui-même, l’élaboration de plans de gestion aire protégée par aire protégée, ce qui nécessitera de réaliser des études d’impact pour des milliers d’aires protégées à travers l’Europe afin de déterminer une par une les activités et les zones dans lesquelles le chalutage sera interdit. Un véritable monstre administratif mis entre les mains des autorités nationales qui seront chargées d’élaborer ces plans. Sans même parler d’efficacité, le critère de la simplification commandait de mettre en œuvre une interdiction de la pêche au chalut dans l’ensemble des aires marines protégées européennes. Tout est fait pour contenter le lobby du chalut. Absolument tout.
Dans le document de travail qui avait fuité en mai dernier, la Commission proposait d’étendre le EU Emissions Trading System, qui oblige les pollueurs à payer pour leurs émissions de gaz à effet de serre, au secteur de la pêche, alors que celui-ci bénéficie aujourd’hui d’une dérogation. Dans la version officielle publiée ce jour, cette proposition a disparu.
Et les cadeaux de la Commission aux lobbies de la pêche ne s’arrêtent pas là.
Aucune vraie référence à la transition sociale et écologique du secteur de la pêche peut être trouvée dans ce document. Pas une seule mention de l’urgence d’engager la transition vers des techniques moins impactantes pour l’environnement ou initiative pour contraindre les États à favoriser la pêche artisanale, plus performante en termes de création d’emplois, de valeur ajoutée ou de respect du milieu marin.
La seule transition évoquée est relative au renouvellement de la flotte et à la modernisation des motorisations afin d’engager la transition énergétique du secteur. Il s’agit là encore d’une demande réitérée depuis des années par les lobbies de la pêche industrielle afin de garantir le renouvèlement de leurs bateaux aux frais de l’UE, sans modifier les pratiques de pêche utilisées. Mais, que les chalutiers soient équipés de moteur gasoil, de moteurs électriques ou de piles à hydrogène, un chalut reste un chalut, qui continuera à labourer les fonds marins, à capturer massivement la biodiversité, à être extrêmement énergivore et à fragiliser les communautés de pêche artisanale.
La question de la justice sociale est elle aussi balayée d’un revers de main. En France, par exemple, les navires de plus de 25 mètres, qui représentent moins de 4% de la flotte, assurent 50% des débarquements, étant parvenu à faire main basse sur les quotas via une clé de répartition fondée sur les antériorités de pêche et un phénomène de concentration dans le secteur par le rachat de petites entreprises de pêche. Depuis des années, pêcheurs artisans et associations se battent pour obtenir la transparence sur la répartition des quotas et pousser les Etats membres à les distribuer en fonction de la performance sociale et environnementale des différentes flotilles, conformément à l’article 17 de la PCP. Mais, loin de prendre le mal à la racine et d’annoncer l’adoption de normes européennes plus strictes sur la mise en oeuvre de cet article 17, le Pacte se borne à “envisager la création d’un conseil consultatif spécialisé” et à “publier un vade-mecum présentant les meilleures pratiques que les États membres pourraient utiliser dans l’attribution des possibilités de pêche afin d’améliorer la transparence et de promouvoir la pêche durable, ainsi qu’un dialogue spécifique sur la mise en œuvre”. “Envisager”, “publier un vade-mecum (…) que les États membres pourraient utiliser”… On ne pouvait faire pire.
Par ailleurs, la version définitive du texte confirme un problème crucial qui était apparu à la lecture du document de travail qui avait fuité il y a quelques semaines : le Pacte renonce à la création d’un « Fond Bleu » centralisé pour financer la transition écologique et sociale de l’économie maritime européenne. Les sources de financement resteront éclatées entre différents instruments européens, risquant de diluer l’effort financier et de compromettre la cohérence et la coordination entre les diverses politiques publiques européennes, malgré l’objectif de garantir, avec ce Pacte, une meilleure harmonisation des politiques maritimes européennes.
En l’état, ce « Pacte européen pour les océans » constitue une déroute d’ampleur face aux lobbies industriels et confirme qu’après le règlement Omnibus et les menaces qui pèsent sur le Green Deal, ce sont toutes les avancées environnementales de la précédente mandature qui sont remises en cause sous la pression des milieux industriels.
L’avenir de la vie marine et des communautés côtières est en jeu, et la Commission se borne à reprendre à son compte les demandes des lobbies industriels. Lundi prochain, à Nice, on ne peut imaginer comment la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen pourra prétendre incarner une quelconque forme de leadership, alors que l’Union européenne représente la première puissance maritime mondiale…
Note : Ce communiqué s’appuie sur l’analyse du document officiel publié par la Commission européenne le 5 juin 2025, ainsi que sur les versions de travail ayant circulé avant sa publication.
© European Union 2016 – Source : EP
05 juin 2025
Ces dernières semaines, la guerre des lobbies de la pêche industrielle contre BLOOM a changé d’ampleur et de nature.
Elle se déroule désormais à haute intensité et à une échelle inédite : en mer où nous sommes pourchassés par des navires, dans les institutions politiques où nous sommes attaqués par le RN, sur les réseaux sociaux où des campagnes de diffamation et de désinformation sont organisées à base de techniques d’astroturfing, ou encore physiquement, avec des méthodes poutino-trumpistes déployées lors des événements que nous organisons. Mais dans la nuit du 3 au 4 juin, les lobbies de la pêche industrielle ont franchi une ligne rouge.
Un ou plusieurs individus se sont introduits dans l’immeuble où réside la fondatrice de l’association BLOOM, Claire Nouvian, et ont vandalisé la porte de son appartement, taguant des messages orduriers et diffamatoires, dans la même veine de ceux qui égrènent les campagnes de harcèlement que des individus déploient contre BLOOM depuis des semaines. Claire Nouvian a immédiatement appelé la police et porté plainte pour qu’une enquête soit ouverte.
20 mai 2025
À quelques semaines de l’accueil de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC) du 9 au 13 juin 2025 à Nice, le journaliste Charles Villa publie une enquête essentielle en collaboration avec BLOOM : « L’Omerta, scandale de la pêche industrielle ».
20 mai 2025
BLOOM publie deux enquêtes inédites sur un système de prédation des ressources marines et des fonds publics organisé par cinq géants industriels néerlandais, désignés les « Big Five », qui se déploie dans l’océan mondial.