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19 janvier 2024

Vote cataclysmique du Parlement européen sur l’océan

Jeudi 18 janvier 2024, au Parlement européen, il était possible de voter pour un océan vivant et une pêche vertueuse. Mais une majorité de députés européens a rejeté à la chaîne tous les amendements porteurs d’une réelle ambition sociale et écologique. Si, à l’issue des élections européennes de juin 2024, le prochain Parlement européen reconduit les équilibres politiques exprimés dans ce vote, c’est à la disparition des pêcheurs artisans, à la mort de l’océan et à la destruction du climat qu’il faudra se préparer. L’enjeu du scrutin européen du 9 juin 2024 est énorme.

Le jeudi 18 janvier, deux rapports parlementaires « d’initiative » relatifs à l’avenir de la politique commune de la pêche, à la protection de l’océan et à la défense de la pêche artisanale étaient soumis au vote des parlementaires européens.

Au-delà des grands discours, ces scrutins constituaient l’ultime épreuve grandeur nature de cette mandature pour éprouver la capacité des parlementaires à prendre en compte les recommandations scientifiques internationales et juger de leur ambition sociale et écologique pour l’océan, le climat et le maintien d’une petite pêche artisanale en Europe.

Décryptage.

La droite conservatrice disqualifie les scientifiques et leurs relais au Parlement

Dans ces deux rapports parlementaires, les députés de la droite conservatrice Gabriel Mato et Niclas Herbst poursuivaient un double objectif sur l’avenir de la Politique commune de la pêche et sur la mise en œuvre du plan d’action de l’UE pour l’océan :

  1. Dynamiter toutes les normes qui entravent le développement de la pêche industrielle.
  2. Enterrer le plan d’action pour l’océan de la Commission européenne, fruit de plusieurs années de concertation avec les scientifiques et les pêcheurs pour protéger l’océan et engager la transition du secteur de la pêche.

Dans ce contexte, l’eurodéputée écologiste Caroline Roose avait déposé une série d’amendements cruciaux pour protéger l’océan et les pêcheurs artisans face aux ravages des flottes industrielles. Lors du débat parlementaire précédent le vote, Caroline Roose s’adressait à ses collègues en ces termes :

« Allons-nous enterrer tout objectif de protection des océans, ou allons-nous entamer la transition vers une pêche plus respectueuse des écosystèmes marins ? C’est le sens du vote d’aujourd’hui. Par manque de courage politique et par calcul électoral, la droite et ses alliés, fossoyeurs des océans, propose aujourd’hui un rapport démagogique dangereux qui ignore les alertes des scientifiques, minimise les impacts du chalutage de fond, refuse de reconnaître les bénéfices des aires marines protégées et conduit la pêche européenne dans une impasse ».

Un constat factuel qui donnait lieu à une réplique cinglante de la part de la droite conservatrice, par la voix de Niclas Herbst, qui allait jusqu’à attaquer personnellement la députée écologiste, l’accusant à tort d’avoir quitté l’hémicycle et d’être responsable de tous les maux touchant le secteur de la pêche :

« J’aimerais également remercier presque tous les groupes qui ont montré très clairement ce qu’il en était (…) Le Parlement ici est très uni. Ce qui m’a un peu froissé, je le dirai ouvertement, c’est un peu l’arrogance moralisante de madame Roose, qui d’ailleurs a quitté le débat, qui dit que les gens qui voient les choses autrement ce sont ceux de droite et ceux qui les soutiennent. Alors peut-être que vous pourrez transmettre le message que c’est justement cette arrogance moralisante qui fait que les pêcheuses et les pêcheurs, effectivement, se tournent vers les partis populistes »

Cette attaque ad hominem avant le vote met en lumière l’absence de débat basé sur des arguments scientifiques pour décider du futur de la pêche dans l’Union européenne.

Quelques minutes plus tard, la droite prenait fait et cause pour les lobbies industriels.

Une position climaticide, pour un résultat effrayant.

Le lobby de la pêche industrielle remporte une bataille

Surpêche, course au gigantisme, lutte contre les subventions publiques néfastes, protection des fonds marins riches en carbone… Tous les amendements allant à l’encontre des intérêts des lobbies industriels et des chalutiers de fond ont été rejetés. Et notamment ces amendements, particulièrement révélateurs de l’emprise du lobby de la pêche industrielle au Parlement européen :

  • Interdire progressivement le chalutage de fond dans les aires marines protégées ? Rejeté par 121 voix (187 votes favorables, 308 votes contre, et 53 abstentions).
  • Limiter l’usage des techniques de pêche destructrices comme la senne démersale et les dispositifs de concentration de poissons ? Rejeté par 32 voix (252 votes favorables, 284 votes contre, et 11 abstentions).
  • Interdire la senne démersale dans les eaux françaises « comme le réclament les organisations régionales de pêche » ? Rejeté par 56 voix (233 votes favorables, 289 votes contre, et 37 abstentions).
  • Exclure les méga-chalutiers des eaux côtières pour protéger les pêcheurs artisans et côtiers, comme le demande le comité régional des pêches de Normandie ? Rejeté par 251 voix (146 votes favorables, 397 votes contre, et 15 abstentions).

Seuls quelques rares amendements favorables à l’océan et à porteurs d’une plus grande justice sociale dans le secteur de la pêche ont survécu in extremis à cette entreprise de destruction de toute ambition sociale et écologique :

  • Accorder les quotas de pêche en fonction de critères sociaux et environnement à ceux qui en ont vraiment besoin (les petits pêcheurs) ? Adopté à 12 voix près (276 votes favorables, 265 votes contre, et 13 abstentions).
  • Reconnaître qu’augmenter les dimensions de la maille des filets et de la taille minimale des poissons débarqués serait bénéfique ? Adopté à 4 voix près (259 votes favorables, 255 votes contre, et 35 abstentions)
  • Observer qu’un fort consensus scientifique existe quant au fait que les aires marines protégées peuvent être bénéfiques pour la pêche? Adopté à une large majorité (325 votes favorables, 211 votes contre, et 19 abstentions).

La droite européenne trahit les pêcheurs

La leçon de ce vote : celles et ceux qui continueront à dire que la droite est compatible avec l’écologie sont irrécupérables de malhonnêteté, ces derniers étant incapables de s’opposer frontalement aux intérêts des flottes de pêche industrielles qui détruisent les écosystèmes marins européens et vident l’océan de ses richesses.

Le cas des députés français François-Xavier Bellamy et Pierre Karleskind, respectivement membre et président de la Commission de la pêche au Parlement européen, qui se targuent sur tous les plateaux télé de soutenir les pêcheurs artisans et côtiers français, avant de les trahir éhontément au Parlement européen, est emblématique. Ils illustrent à la perfection le cynisme de la droite, qui prétend répondre à la détresse des pêcheurs en renforçant le pouvoir des industriels qui les ont conduit droit dans le mur.

Les votes de MM. Bellamy et Karleskind au Parlement Européen le 18 janvier 2024

Et, dans leur sillage, ce sont les délégations françaises des Républicains et du parti macroniste Renaissance qui ont suivi leur consigne de vote antisociale et antiécologique, à l’exception notable de Catherine Chabaud, Bernard Guetta et Fabienne Keller.

 

Vote LR Parlement Européen 18/01/24Vote RENEW PE 18/01/24

 

Un enseignement en amont des élections européennes du 9 juin

Ces votes concernaient des rapports « d’initiative », ce qui signifie qu’ils n’ont pas de portée contraignante immédiate. En revanche, ils donnent l’orientation politique du Parlement. Et la perspective qu’ils dessinent est très inquiétante.

Si le prochain Parlement européen reconduit les équilibres politiques exprimés dans ce vote, il faudra se préparer au pire.

Le pire, c’est de choisir de s’entêter dans une trajectoire de destruction de l’océan, du climat et des seuls pêcheurs aptes à fournir du poisson réellement « durable » : les pêcheurs artisans.

Pour préserver notre avenir et le concept même d’intérêt général, nous avons besoin de parlementaires qui œuvrent en faveur de la justice sociale et de l’environnement.

La publication à venir de l’évaluation de l’ensemble des votes des parlementaires européens au cours de leurs cinq années de mandat européen permettra d’en tirer toutes les conséquences en amont du rendez-vous électoral du 9 juin prochain.

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