17 mars 2025
Ce lundi 17 mars, après deux ans de dialogue stérile dans le cadre de deux mises en demeure de Carrefour par l’association BLOOM, l’une en novembre 2023 (1), et l’autre en avril 2024 avec foodwatch : les associations assignent la multinationale au tribunal judiciaire de Paris pour manquement à son devoir de vigilance dans sa filière thonière. Les atteintes environnementales et humaines de l’industrie du thon tropical, celle qui produit les conserves dont raffolent les Européens et les Français, sont nombreuses et documentées. Face à ces enjeux, l’enseigne a répondu avec cynisme en déployant sept stratégies d’évitement, que BLOOM révèle aujourd’hui dans son rapport « Carrefour : le cynisme » (2), lui permettant de se présenter comme une enseigne responsable alors que ses approvisionnements sont loin de l’être. À l’heure où l’Union européenne sape les objectifs de la directive sur le devoir de vigilance, les deux ONG rappellent la nécessité cruciale de contraindre les multinationales à maîtriser les risques et impacts de leurs chaînes de production.
Pour BLOOM et foodwatch, « Malgré son obligation juridique de vigilance, pour le thon, Carrefour n’interdit pas les méthodes de pêche destructrices dans ses approvisionnements, n’a pas adopté de limite maximale de mercure protectrice de la santé des consommateurs, et l’enseigne est par ailleurs incapable de démontrer que les conserves qu’elle vend sont exemptes d’abus de droits humains. Ces manquements sont graves. Carrefour doit agir et nous faisons appel à la justice pour l’y obliger. »
Les conclusions du rapport de BLOOM sont claires : il existe un écart criant entre les grands discours de Carrefour et la réalité de ses engagements sur le thon. L’exemplarité affichée par l’enseigne dissimule des politiques d’approvisionnement incapables de prévenir les risques et les impacts sanitaires, humains et environnementaux de la filière. Or, l’enseigne est soumise à la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance et a l’obligation de prendre les mesures pour s’assurer que ses activités n’atteignent pas les droits humains, l’environnement et la santé des personnes. Notre enquête a montré que ce n’était pas le cas pour sa filière thonière, et malgré l’envoi de deux mises en demeure pour qu’il transforme radicalement ses pratiques, le leader de la grande distribution fait preuve d’un cynisme éhonté pour masquer son manque de volonté et immobilisme. Face à un dialogue désormais bloqué, BLOOM et foodwatch assignent donc Carrefour en justice pour qu’il réponde de ses actes devant le juge. Ce dernier pourra, le cas échéant, enjoindre sous astreinte la société à prendre les mesures jugées nécessaires pour protéger la santé des consommateurs, les droits humains et l’environnement. Pour les deux ONG, cette action porte l’espoir d’un sursaut de responsabilité de l’enseigne, ainsi que de ses concurrents, pour s’engager dans une véritable transformation de la filière.
Le thon, ce produit familier d’apparence anodine, dissimule des risques et impacts considérables. La contamination généralisée du thon au mercure, révélée par BLOOM et foodwatch en 2024, met à risque la santé des consommateurs, en particulier des femmes et des enfants.
Pour BLOOM et foodwatch, « Alors que plus de 50 000 personnes demandent aux distributeurs européens d’appliquer le seuil le plus protecteur qui existe à leurs produits de thon, soit 0,3 mg de mercure par kilo, et malgré l’ensemble des alertes que nous lui avons transmises, Carrefour n’a toujours pas bougé. »
La pêche thonière est l’une des plus dangereuses au monde : 42% des violations des droits humains en mer ont lieu à bord des navires thoniers (1). Travail forcé, torture, servitude pour dettes, malnutrition… ces abus sont largement répandus, documentés par des ONG de terrain (2). La filière thonière est également désastreuse pour l’océan : le thon qui est vendu en Europe vient largement de pêches utilisant des DCP (Dispositifs de Concentration de Poisson). Ces engins sont directement liés à la surexploitation des populations de thons dans l’océan Indien, responsables du sacrifice de millions de thons juvéniles, d’animaux marins non ciblés comme les requins et tortues, et d’une pollution plastique et électronique considérable (3).
Les distributeurs ont le pouvoir de transformer l’industrie : ils sont peu d’acteurs et vendent 97% des conserves de thon achetées en France. De son côté, Carrefour, en tant que 7ème distributeur mondial, implanté dans plus de 40 pays, avec près de 15 000 magasins et un chiffre d’affaires de 92 milliards d’euros en 2023, a un poids considérable pour enclencher une dynamique dans ce sens. Car il est uniquement question ici de volonté : l’enseigne a prouvé à plusieurs reprises qu’elle était capable d’imposer à ses fournisseurs des règles exigeantes. Rien qu’en 2024, Carrefour a déréférencé les produits du groupe PepsiCo pour cause de « hausse de prix inacceptables », et a demandé à 550 de ses fournisseurs d’afficher le Nutri-Score sur leurs produits (sans quoi l’enseigne notifierait ce refus aux clients).
Dans son rapport « Carrefour : le cynisme », BLOOM a passé au crible plus de trente publications du groupe et révèle l’écart entre les déclarations prometteuses de l’enseigne et la réalité de ses activités. L’analyse détaille sept stratégies d’évitement du distributeur, dont la mise en œuvre de mesures en apparence satisfaisante mais en réalité inefficaces, le recours à des termes imprécis, le maintien d’une opacité quasi-totale, les alliances avec les industriels, un périmètre d’application au rabais… Année après année, Carrefour affûte ses armes pour se détourner de ses responsabilités et se parer de l’aura d’un leader de la transition.
(1) Etude portant sur 6 853 infractions en mer à l’international entre 2000 et 2020. Voir Belhabid et al., 2022, Fish crimes in the global oceans, Science advances, accessible ici.
(2) Voir le rapport de BLOOM « Violence en boîte », publié en 2023, qui relate de l’ensemble des alertes identifiées, accessible ici.
(3) Voir le rapport de BLOOM « La guerre des thons » publié en 2023 pour plus de détails sur les impacts destructeurs des Dispositifs de Concentration de Poissons, accessible ici.
Notre dialogue avec Carrefour s’est organisé autour de trois temps forts.
1 – Dialogue initié par BLOOM et ses partenaires océan en mai 2023 : pour dresser un état des lieux des politiques d’achat en thon de Carrefour (et des principaux distributeurs européens). Notre bilan a montré que la firme ne mettait pas en place suffisamment de mesure pour protéger les droits humains et l’environnement.
2 – Face à l’absence de réponse du distributeur aux alertes de BLOOM sur l’urgence de transformer ses pratiques d’approvisionnement, BLOOM a mis le groupe en demeure en novembre 2023 pour manquement à son devoir de vigilance concernant sa filière thonière (on explique pourquoi ici). À cette occasion, la firme a par ailleurs été mise au courant des risques qu’impliquaient la contamination du thon au mercure.
3 – À la suite de mesures trop peu ambitieuses annoncées par le distributeur, BLOOM, rejointe par son partenaire foodwatch sur le mercure, ont adressé une seconde mise en demeure à Carrefour en avril 2024.
Près de deux ans après nos premières alertes, Carrefour n’a pas réhaussé son ambition et ses mesures. BLOOM et foodwatch poursuivent donc aujourd’hui le distributeur en justice.
Pour plus de détails sur l’historique de la relation entre BLOOM, foodwatch et Carrefour, voir l’annexe 1 du rapport “Carrefour : le cynisme”.
Adoptée en 2017 en France, la loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance oblige les grandes entreprises françaises (ou opérant sur le territoire français) à prévenir et atténuer les risques et impacts de leurs activités, celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants, qu’ils opèrent en France ou à l’étranger, sur le plan des droits humains et des libertés fondamentales, de la santé et sécurité des personnes, et de l’environnement. Plus concrètement, elles ont pour obligation d’élaborer et publier un plan annuel de vigilance, comprenant :
Pour une enseigne comme Carrefour, cela implique de s’assurer que ses produits — et ceux de ses partenaires et fournisseurs — soient issus de pratiques respectueuses de la santé publique, des droits des travailleurs et des normes environnementales.
À partir de juillet 2027, la directive européenne sur le devoir de vigilance, adoptée en 2024, étendra des exigences similaires à l’ensemble des grandes entreprises européennes, harmonisant ainsi les normes à l’échelle de l’Union.
Cependant, le projet de loi européen de simplification omnibus* présenté le 26 février 2025, au prétexte d’aller vers une simplification et une réduction des charges administratives pour les entreprises, affaiblit les obligations de la loi européenne sur le devoir de vigilance. En effet, « les relations commerciales indirectes, au niveau desquelles ont lieu de nombreuses atteintes graves, ne seront plus prises en compte » et « l’évaluation ne sera plus faite annuellement mais une fois tous les cinq ans ».
*Dans la législation européenne, une loi « omnibus » désigne une initiative législative regroupant plusieurs modifications ou révisions de textes existants sous une seule et même proposition. Son objectif est de simplifier, harmoniser ou adapter le cadre réglementaire. Avec un double objectif : répondre à des enjeux spécifiques, tout en réduisant la complexité administrative.
(1) https://bloomassociation.org/mise-en-demeure-carrefour/
(2) https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2025/03/2025_BLOOM_Rapport-Carrefour.pdf
23 mars 2025
Pour la première fois, BLOOM publie un outil clé en main permettant aux enseignes de la grande distribution de s’engager pour la protection de l’océan et des pêcheurs artisans : la liste rouge des navires destructeurs dont il est urgent de s’affranchir. Cette liste recense près de 4000 chalutiers ayant pêché dans les aires marines protégées à l’échelle internationale en 2024.
Le chalut est l’une des pires techniques de pêche qui existe (1), et les scientifiques sont clairs : si les aires marines protégées sont essentielles pour protéger l’océan, il y a urgence à véritablement les protéger en y interdisant le chalutage. Le manque d’engagement des États à ce sujet est irresponsable. En France métropolitaine, moins de 0,1% des eaux sont véritablement protégées (2). En publiant la liste rouge des navires, BLOOM demande à la grande distribution d’adopter une politique de tolérance zéro face au chalutage dans les aires marines protégées. Carrefour, Leclerc, Intermarché et leurs pairs ont maintenant un outil infaillible pour s’assurer qu’elles ne participent pas à la destruction des aires marines protégées par leurs achats.
15 novembre 2023
Alors que notre classement de la politique d’approvisionnement en thon des grandes chaînes de supermarchés européens démontre une ignorance délibérée généralisée, BLOOM a spécifiquement choisi de mettre en demeure Carrefour le 8 novembre 2023 pour manquement à son devoir de vigilance. Sa position de leader de la grande distribution en France et dans le monde lui confère en effet une responsabilité toute particulière, ainsi que le pouvoir de tirer vers le haut tout le secteur en établissant de nouvelles normes globales et ambitieuses.
08 novembre 2023
Après des mois de recherches et de révélations sulfureuses sur la destructivité et les abus multi-dimensionnels des pêches thonières tropicales (voir notre série « TunaGate »), BLOOM franchit aujourd’hui une étape décisive pour que les enseignes de la grande distribution, et en premier lieu la plus importante d’entre elles, Carrefour, prennent les mesures urgentes qui s’imposent pour mettre fin au drame humain et écologique qui se joue derrière les boîtes de thon tropical.