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08 novembre 2023

BLOOM met Carrefour en demeure de mettre fin au drame écologique et humain des pêches thonières

Après des mois de recherches et de révélations sulfureuses sur la destructivité et les abus multi-dimensionnels des pêches thonières tropicales (voir notre série « TunaGate »), BLOOM franchit aujourd’hui une étape décisive pour que les enseignes de la grande distribution, et en premier lieu la plus importante d’entre elles, Carrefour, prennent les mesures urgentes qui s’imposent pour mettre fin au drame humain et écologique qui se joue derrière les boîtes de thon tropical.  

En refusant d’adopter des politiques d’approvisionnement responsables et un minimum exigeantes pour ses achats de produits à base de thon tropical, la grande distribution porte une responsabilité majeure : non seulement dans l’effondrement de la biodiversité marine, mais aussi dans les innombrables violations des droits humains documentées tout au long de la chaîne de « valeur » du thon, depuis sa capture jusqu’à sa commercialisation.

C’est pourquoi BLOOM met en demeure la société Carrefour pour manquement à son devoir de vigilance. 

Cette mise en demeure rentre dans le cadre de la loi sur le devoir de vigilance, qui impose aux grandes entreprises françaises d’identifier, évaluer et prévenir les risques environnementaux et humains émanent de leurs chaines de valeur. Notre campagne s’est construite avec le concours de la clinique internationale des droits humains de l’université de Harvard et de la clinique juridique de Sciences Po Paris. 

Avec un chiffre d’affaires de plus de 83 milliards d’euro en 2022 et seule parmi les chaînes de supermarchés à rentrer dans le CAC 40, Carrefour opère plus de 14000 magasins dans 40 pays et représente la septième chaîne de supermarchés au monde. L’enseigne propose ainsi à des centaines de millions de consommateurs à l’international des produits issus de processus industriels inacceptables.

Carrefour est le géant de la grande distribution française par excellence et a pourtant la responsabilité et le devoir d’être le bon exemple pour le reste du marché, en France et à l’internationale. Carrefour devrait avoir des pratiques d’approvisionnement en produits à base de thon irréprochables, or le classement inédit intitulé « Délibérément ignorants » que BLOOM publie aujourd’hui avec le soutien des ONG britanniques Blue Marine Foundation, Greenpeace UK et Human Rights at Sea, démontre que les politiques d’achat de thon des supermarchés européens sont totalement insuffisantes par rapport aux enjeux cruciaux de protection des travailleurs et des espèces marines. A rebours de sa communication empressée sur la supposée « durabilité » de ses produits de la mer, Carrefour obtient le faible score de 4,7 sur 10.  

« La grande distribution ferme délibérément les yeux sur les réalités dramatiques de la pêche au thon » : c’est le constat accablant que fait Pauline Bricault, principale auteure du rapport « Délibérément ignorants » sur l’évaluation des pratiques d’approvisionnement en thon de 36 distributeurs français, britanniques, italiens, espagnols, allemands et belges.  

À lire aussi :

Le résumé du classement des supermarchés européens

Les stratégies de Carrefour pour échapper à ses responsabilités

Carrefour affirme sur son site soutenir « une pêche durable en développant une offre de produits de la mer et de l’aquaculture plus responsable », mais dans les faits, Carrefour commercialise massivement des produits à base de thon issus de pratiques destructrices que l’enseigne n’hésite pas à qualifier de « durables » ou « responsables ». En 2018, le plus grand distributeur français a même expliqué son choix de ne pas participer à l’initiative collaborative sectorielle de la « Tuna Protection Alliance »1Lancée en 2018 par la fondation Earthworm, la « Tuna Protection Alliance » est un effort collaboratif pré-compétitif entre les principaux acteurs du marché de l’industrie du thon en conserve, visant à promouvoir certaines techniques de pêche et une gestion durable des ressources. Ses membres comprennent des enseignes de la grande distribution, des conserveries et des marques de thon, principalement sur le marché français.  car Carrefour était « trop avancé pour y consacrer du temps » et qu’il avait déjà une « politique assez solide ». De tels discours laisseraient croire que Carrefour déploie une vigilance extrême pour éviter de se fournir en espèces surexploitées ou provenant de techniques de pêche destructrices, mais il n’en est rien. 

Comme de nombreuses enseignes, l’écrasante majorité du thon vendu par Carrefour est issu de pêcheries industrielles utilisant des engins destructeurs très controversés tels que les dispositifs de concentration de poisson, les fameux « DCP », des radeaux ultra technologiques sous lesquels s’agrègent les thons et d’autres animaux marins, capturés sans distinction. Le résultat est un carnage de raies, de requins et de tortues, ainsi que des thons eux-mêmes, en grande partie capturés alors qu’ils ne se sont pas encore reproduits (poissons dits « juvéniles »). Malgré la connaissance des dégâts générés par les pêches thonières industrielles, certains produits thoniers commercialisés par Carrefour, comme ceux de la marque Petit Navire arborent un label «démarche responsable » alors qu’ils sont directement issus de ces pêches destructrices.

De surcroît, malgré ses engagements écrits de ne pas acheter de poisson issu de la pêche illégale2La pêche dite « INN » pour « Illicite, Non déclarée et Non-reglementée ». qui concentre les plus hauts risques en matière de violations des droits humains, Carrefour s’approvisionne auprès des plus gros armateurs industriels au monde (Fong Chun Formosa, Thai Union et Dongwon Group), qui se fournissent régulièrement auprès de pêcheries identifiées comme illégales ou illicites. 

Nos demandes à Carrefour 

La lettre de mise en demeure que nous avons adressée à Carrefour inclut de nombreuses demandes précises afin d’assurer sa mise en conformité avec la loi sur le devoir de vigilance. Parmi les plus importantes, nous avons demandé à Carrefour de :

  • Retirer immédiatement et définitivement de leur offre tout produit thonier issu de pêcheries utilisant, même partiellement, des DCP, des palangres, des filets maillants ou toute autre technique industrielle générant de grandes quantités de prises accessoires.
  • Retirer immédiatement de leur offre tout produit thonier industriel provenant de stocks surpêchés et accompagner vos fournisseurs de pêche artisanale pour qu’ils s’engagent d’ici 2025 à ne plus cibler de stocks surpêchés.
  • Donner la priorité d’approvisionnement aux produits thoniers issus de circuit court.
  • D’ici 2025, garantir aux consommateurs une offre en produits thoniers issue exclusivement de pêcheries artisanales sélectives utilisant des arts dormants.
  • Engager tous les moyens possibles pour réduire au maximum les ventes de produits thoniers. Ceci implique notamment d’arrêter la promotion de ces produits, de rappeler aux consommateurs par toutes les voies de communication possibles que le thon est un animal sauvage, libre et fragile et qu’il ne peut en aucun cas demeurer un bien de consommation de masse.
  • Tenir un registre public en ligne, actualisé et facilement accessible, de tous les navires de pêche et des navires de soutien qui fournissent ou facilitent la fourniture de poisson à ses acheteurs. Ce registre doit notamment contenir le nom du navire, le numéro UVI IMO, les engins de pêche, y compris les DCP, les zones où le navire est autorisé à opérer, le propriétaire effectif, l’opérateur, le capitaine, l’identité et la nationalité de l’équipage, les agences de recrutement ou les courtiers, les salaires et les heures de travail, ainsi que l’historique des violations des droits humains et de l’environnement.
  • Assurer et prouver que l’ensemble des pêcheries impliquées dans leur approvisionnement en thon sont exclues de toutes les listes noires relatives à la pêche INN pertinentes, établies notamment par l’Union Européenne ou les Organisations Régionales de Gestions des Pêches.
  • S’engager à cesser toute relation commerciale avec un fournisseur ayant été impliqué dans une forme quelconque de violation des droits humains au cours des cinq dernières années, tout au long de la chaîne de valeur.
  • Exiger un contrôle complet des opérations de pêche et de débarquement par des observateurs. Le contrôle par un système de surveillance électronique ne pourra être considéré que comme un complément. Il convient d’assurer la sécurité des observateurs et leur indépendance totale. L’ensemble des rapports d’observateurs doivent être accessibles au public.
  • Ne s’approvisionner qu’auprès de fournisseurs qui exigent que les pêcheurs reçoivent suffisamment de nourriture et d’eau potable, qui veillent à ce qu’ils bénéficient d’au moins 10 heures de repos par période de 24 heures, et qu’ils reçoivent un salaire décent.
  • Ne s’approvisionner qu’auprès de fournisseurs qui recrutent des travailleurs par des voies officielles et qui s’assurent que ces derniers ont lu, signé et reçu une copie de leur contrat de travail dans une langue qu’ils comprennent. Aucun frais de recrutement ne doit être facturé aux travailleurs. Carrefour doit également veiller à ce qu’aucune retenue sur salaire ne soit pratiquée, et qu’aucune pratique de servitude pour dettes ne soit perpétuée.
  • Ne s’approvisionner qu’auprès de fournisseurs qui disposent de syndicats indépendants et démocratiques et qui respectent le droit de leurs travailleurs à la négociation collective et à la participation aux activités syndicales.

Conformément à la loi de devoir de vigilance, Carrefour a trois mois pour se conformer aux obligations imposées par ce cadre législatif en mettant en œuvre des actions permettant de mettre fin aux impacts désastreux de la pêche thonière tropicale.


En savoir plus sur la loi relative au devoir de vigilance des entreprises   

Une loi française pionnière mais imparfaite…

La loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017, impose aux grandes entreprises françaises de publier un plan de vigilance comportant des mesures pour identifier les risques et prévenir les « atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » résultant de leurs activités.

Elle s’applique à toutes les entreprises enregistrées en France en tant que société anonyme (SA), société européenne (SE), société en commandite par actions (SCA) ou société par actions simplifiées (SAS) et comptant au moins cinq mille salariés en France, ou au moins dix mille salariés en France et dans le reste du monde.

Les entreprises concernées par cette loi, comme Carrefour, doivent établir un plan de vigilance qui comprend les cinq mesures suivantes :

  1. Une cartographie de l’ensemble des risques présents dans leur chaîne de valeur ;
  2. Des procédures d’évaluation régulières de la situation avec leurs filiales, leurs sous-traitants et leurs fournisseurs ;
  3. Des actions adaptées pour atténuer leurs risques ou prévenir des atteintes graves ;
  4. Un mécanisme de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques ;
  5. Un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.1Pour en savoir plus, visitez le site https://plan-vigilance.org/la-loi/

Cette loi n’est pas parfaite. Son périmètre d’application ne couvre que certaines grandes entreprises en France. Certaines formes sociales d’entreprises ne sont ainsi pas concernées par la loi, en dépit des potentiels risques de leurs chaînes de valeur. Un exemple frappant du manque de cohérence relatif au périmètre « incomplet » de la loi concerne E.Leclerc. L’enseigne détient la plus grande part du marché français, mais n’est pas touchée par la loi sur le devoir de vigilance car sa forme juridique, une SARL, n’est pas comprise dans le périmètre d’application de la loi. Elle est ainsi juridiquement non-tenue de prévenir les risques et atteintes graves qui pourraient émaner de ses activités. Ce n’est pas non plus la seule, d’autres chaînes de supermarchés comme LIDL et Aldi ne sont pas non plus soumises à cette loi.

…Qui inspire le développement d’une directive à l’échelle européenne

Un projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité, en partie similaire à la loi française, a été proposé par la Commission européenne en février 2022 et est actuellement en cours de négociation. Si cette directive venait à être approuvée, tout en maintenant un niveau d’ambition élevé, elle permettrait d’obliger les grandes entreprises européennes à prendre leurs responsabilités relatives aux risques que présentent leurs activités.

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Le rapport établit un classement inédit des plus grandes enseignes européennes en fonction de leurs pratiques d’approvisionnement en thon tropical. Les résultats sont sans appel : la grande distribution vend aux consommateurs européens des produits à base de thon associés à des drames humains et écologiques. Pour faire cesser cette brutalité intolérable, BLOOM s’appuie d’une part sur la justice en mettant Carrefour en demeure pour manquement à son devoir de vigilance, et d’autre part sur la puissance citoyenne en lançant une pétition.

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