23 mai 2024
Dès janvier 2024, BLOOM alertait l’opinion publique à propos du projet d’investissement de l’entreprise bretonne dans un navire-usine pour fabriquer du surimi : l’Annelies Ilena. Nous avons également mis en lumière le fondement illégal au regard du droit européen sur lequel reposait ce projet. En quelques semaines, le sujet a enflé : des dizaines d’articles sont parus dans la presse, des milliers d’interpellations directes ont été adressées par les citoyens au ministre de la transition écologique Christophe Béchu. Les associations environnementales, les pêcheurs artisans, et un arc politique large, comprenant même les socialistes bretons, se sont opposés au productivisme suranné qu’incarne un tel gigantisme industriel.
Le 17 mai 2024, François-Xavier Bellamy la tête de liste Les Républicains, est venu soutenir ce navire industriel, capitalisé et mondialisé qui appartient à une multinationale néerlandaise, immatriculé en Pologne et qui restera polonais, mais qui cherche à accaparer le quota français. L’Annelies Ilena est tellement gros qu’il ne peut pas entrer dans le port de Saint-Malo et ne fera pas vivre l’économie locale.
En 2002, ce navire-usine a été immatriculé en Irlande grâce à des manœuvres juridiques douteuses : sa taille colossale lui interdisait l’obtention d’un permis de pêche dans les eaux européennes en raison du plafonnement de la capacité de pêche. Afin de contourner les lois européennes, il a été enregistré en tant que navire marchand et a reçu des licences de pêche temporaires.
Limité par des quotas européens, l’Atlantic Dawn ne pouvait pas utiliser sa pleine capacité de pêche. Un accord de pêche avait été conclu avec la Mauritanie en 2002, permettant une exploitation intensive de leurs eaux pendant neuf mois par an. Surnommé le « Navire de l’Enfer » par les Mauritaniens en raison de ses pratiques de pêche destructrices, le navire a été chassé après cinq ans de pillage puis racheté par le géant néerlandais Parlevliet & van der Plas en 2007 via sa filiale Viking Bank pour 30 millions d’euros et rebaptisé l’Annelies Ilena. P&P l’a ensuite revendu à sa filiale polonaise Atlantex en 2019.
L’Annelies Ilena a continué à susciter la controverse. Ce navire a été condamné pour fraude. Par exemple, en novembre 2013, le navire a été arraisonné dans les eaux irlandaises pour « high grading », une pratique interdite consistant à rejeter des poissons plus petits ou de moindre valeur, pourtant commercialisables. En mars 2015, le capitaine a été reconnu coupable et condamné à une amende de 105 000 €.
En étant exploité en partie par une entreprise française, le navire ne va pas changer ses pratiques. Sa capacité d’emport pharaonique (400 000 kg par jour) le préfigure comme voyou des océans. Il a été pensé pour piller, donc il s’exécute.
Actuellement, le navire pêche au large du Chili.
Rappel du droit
L’un des principes fondamentaux de la politique commune de la pêche est le principe de stabilité relative qui implique le maintien d’un pourcentage fixe entre les États membres pour la répartition des possibilités de pêche concernant chaque stock halieutique (considérant 29 et article 16 du règlement n° 1380/2013). « Il est important que les États membres répartissent les quotas entre les navires de pêche selon une formule tenant compte autant que possible de la composition prévue des espèces dans les pêcheries. Si un déséquilibre entre les quotas disponibles et la structure de pêche réelle apparaît, les États membres devraient envisager de le corriger par des échanges de quotas avec d’autres États membres, y compris à titre permanent. » Par ailleurs, quand un navire sort de la flotte de pêche, 30% des quotas dont il dispose vont à une réserve nationale (article R. 921-44). Pour les 70% restants, selon l’article R. 921-47, l’Organisation de Producteurs dont il est membre (le FROM Nord, en l’occurrence) doit les utiliser de la manière suivante dans un délai de trois ans (s’ils ne le sont pas, ils rejoignent automatiquement la réserve nationale, comme les 30% qui y ont déjà été versés): « Le projet d’utilisation des antériorités mises en réserve est présenté au groupe de suivi mentionné à l’article D. 921-33-1 dans les trois ans suivant leur affectation à l’organisation de producteurs, puis renouvelé chaque année. Il doit être approuvé par le ministre chargé des pêches maritimes et de l’aquaculture marine. Les antériorités mises en réserve doivent être réattribuées à des producteurs lorsqu’elles atteignent un niveau supérieur à 20 % du total des antériorités de l’organisation de producteurs sur le stock concerné. Le défaut de présentation du projet d’utilisation de la réserve, d’approbation ou de respect de ce plan, ou de respect du seuil obligeant à l’affectation par producteurs, entraîne l’affectation de ces antériorités à la réserve nationale ». |
Ce transfert de quotas est donc non seulement illégal mais il est clairement désavantageux pour la France qui se départirait ainsi de capacités de pêche pour ses propres pêcheurs.
M. Bellamy a prétendu « rencontrer les pêcheurs » mais en réalité, il est venu soutenir les patrons, et tenter de faire pression sur le ministère de l’écologie, car la Compagnie des Pêches de Saint-Malo rencontre un obstacle majeur : le droit européen et la mobilisation de l’opinion publique.
Bellamy a avancé des arguments de mauvaise foi pour justifier sa présence. « On est venu défendre une activité de pêche en Europe qui (…) respecte les standards environnementaux les plus élevés du monde. Aujourd’hui, un pays comme la France, importe 84% des poissons qu’il consomme. Et donc, la question c’est, est-ce qu’on veut laisser d’autres acteurs économiques à l’extérieur de nos frontières pêcher pour nous.»
Fact-checking : Il faut savoir que 1% des plus gros navires débarquent près de la moitié des captures en Europe. Ce problème de répartition a des conséquences concrètes sur le tissu social et l’offre car la pêche industrielle a pour vocation d’être exportée. Les navires-usines des plus gros armements français ne débarquent pas en criée, ils ont leur propre filière de transformation et leurs produits sont en grande partie destinés à l’exportation.
Prenons l’exemple du thon tropical : la France importe environ 80 000 tonnes de thons en boîte en 2021. Cela correspond à 166 000 tonnes de thon frais. Or, la France a capturé 112 000 tonnes de thon cette même année selon la FAO. Nous pourrions en réalité importer un tiers des boîtes de thon que nous consommons si l’industrie française n’exportait pas ses produits.
Si la France ne parvient pas à être autonome, alors qu’elle détient la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde, c’est parce que son modèle est défaillant. L’industrie ne nourrit pas le monde, elle détruit les outils de production de ceux qui font vivre le territoire et nous contraint à importer pour combler le déficit.
Par ailleurs, la pêche industrielle est génératrice de gâchis : dans le cas présent, il faut 3kg de merlan bleu pour produire 1kg de surimi alors qu’on pourrait consommer le poisson directement. Cette transformation industrielle est inefficace d’un point de vue de la sécurité alimentaire comme du point du vue social.
M. Bellamy a affirmé que « l’activité de pêche en Europe (…) respecte les standards environnementaux les plus élevés du monde ».
Fact-checking : Même si l’UE est dotée d’un cadre réglementaire correct sur le papier, celui-ci n’est que faiblement mis en œuvre par le secteur, à l’image par exemple de l’obligation de débarquement des rejets qui n’a jamais été respectée.
Les pratiques européennes sont en effet loin d’être vertueuses puisque 70% des captures en France sont réalisées par les dragues, sennes et chaluts, soit les pires techniques de pêche en matière d’impacts sur les écosystèmes et de consommation de carburant. La pêche thonière européenne pratique la pêche sur dispositifs à concentration de poisson dans l’océan Indien, une méthode dévastatrice pour les poissons juvéniles, les requins, les tortues et les mammifères marins. Les droits humains sont violés à bord de ces navires européens.
Le secteur de la pêche représente moins de 0,05% du PIB français [1] Et pourtant, mais son impact sur l’océan est colossal. D’après les experts de l’IPBES, « la pêche […] est l’activité ayant eu l’impact le plus important sur la biodiversité [marine] (espèces ciblées, espèces non ciblées et habitats) au cours des 50 dernières années, aux côtés d’autres facteurs significatifs. »[2]
Les pratiques européennes sont loin d’être vertueuses puisque 70% des captures en France sont réalisées par les dragues, sennes et chaluts, soit les pires techniques de pêche en matière d’impacts sur les écosystèmes et de consommation de carburant. La pêche thonière européenne pratique la pêche sur dispositifs à concentration de poisson dans l’océan Indien, une méthode dévastatrice pour les poissons juvéniles, les requins, les tortues et les mammifères marins. Les droits humains sont violés à bord de ces navires européens.
> Voir nos rapports sur le TunaGate qui dénonce le système violent, opaque et destructeur de la pêche thonière dans l’océan Indien.
[1] Le chiffre d’affaires du secteur était 1,1 milliard d’euros (2020). Le PIB de la France s’élève à 2639 milliards en 2020.
[2] Citation originale en anglais: “fishing has had the most impact on biodiversity (target species, non-target species and habitats) in the past 50 years alongside other significant drivers”. Source: IPBES, The Global assessment report on biodiversity and ecosystem services. Summary for policymakers, Bonn, 2019, p. 28. Disponible ici sur la Dropbox et en ligne ici : https://www.ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_en.pdf
Pour en savoir plus : https://bloomassociation.org/chalutier-geant-les-industriels-font-du-chantage-a-lemploi/
Crédit image : MarineTraffic – Helge Schilling
20 février 2024
A l’appel de BLOOM et Pleine Mer, l’association des Ligneurs de la pointe de Bretagne, la CGT des marins du Grand Ouest et les associations environnementales FNE Bretagne, Bretagne Vivante, Eau et Rivières de Bretagne, Al Lark, Mor Glaz sont venus soutenir la manifestation contre l’Annelies Ilena à Saint-Malo.
11 janvier 2024
Pour marquer le début de l’année 2024, décrétée « Année de la Mer » par Emmanuel Macron, l’administration française n’a pas trouvé mieux que d’autoriser la « Compagnie des pêches de Saint-Malo » à investir 15 millions d’euros pour exploiter le plus grand chalutier pélagique du monde, l’ « Annelies Ilena », surnommé « Navire de l’Enfer ». Ce navire-usine ciblera le merlan bleu, un petit poisson « pélagique » c’est-à-dire vivant entre-deux-eaux et qui entre dans la composition du surimi industriel. Le navire actuellement propriété de Parlevliet & van der Plas aux Pays-Bas (1) remplacera le chalutier français « Joseph Roty II » de 90 mètres d’ici la fin du mois de janvier 2024. Cette décision aberrante contredit totalement l’engagement pris en juillet 2023 par Stéphane Séjourné, homme de confiance d’Emmanuel Macron à Bruxelles et président du groupe politique européen « Renew » au Parlement européen, d’exclure les navires de plus de 25 mètres des eaux côtières françaises (12 milles nautiques, soit 22 km) (2).
27 mai 2024
Victoire citoyenne : la mobilisation a eu raison du plus grand chalutier pélagique du monde. Depuis janvier dernier, BLOOM, soutenue par des centaines de milliers de citoyens et des dizaines d’associations et d’élus, n’a pas desserré l’étau sur le dossier sulfureux de l’exploitation par une société française, la Compagnie des pêches de Saint-Malo, de l’Annelies Ilena, un navire gigantesque de 145 mètres, rebaptisé « navire de l’enfer » en Mauritanie, dont il a été chassé pour ses abus multiples. Le projet de la Compagnie des pêches d’installer une usine de surimi à bord du navire reposait sur un transfert de quotas vers la Pologne, où l’Annelies Ilena est pavillonné.