04 avril 2024
Autant en rapporte le vent : une enquête inédite pour comprendre comment le lobby du chalut capte la manne de l’éolien offshore et sacrifie la pêche artisanale
Alors que se tient actuellement une consultation nationale d’une importance critique pour l’avenir de l’océan, BLOOM révèle dans une nouvelle enquête la façon dont le développement de l’éolien en mer se fait sous l’emprise du lobby du chalut, contre l’intérêt général. Alors que la piètre performance sociale, économique et écologique du chalutage plaide pour l’abandon de cette technique de pêche destructrice, énergivore et déficitaire, les défenseurs du chalut sont parvenus à modifier le code général des impôts pour faire main basse sur les revenus de l’éolien en mer et perpétuer cette méthode de pêche ravageuse des écosystèmes marins, du climat, des emplois et des finances publiques1Relire notre rapport « Changer de cap » sur l’évaluation des flottes de pêche françaises. Les comités des pêches récupèrent ainsi 35% de la taxe éolienne lorsque le parc est installé dans les 12 milles nautiques (environ 22 km), ce qui incite le lobby de la pêche à pousser pour l’installation de parcs à proximité des côtes, contre l’avis général.
Le cas du parc éolien flottant de Belle-Île-en-Mer permet de comprendre le fonctionnement de ce système pervers : les défenseurs du chalut ont détourné le processus démocratique pour préserver leurs intérêts en imposant l’installation du parc proche des côtes pour faire main basse sur les revenus de la taxe éolienne, sacrifiant au passage les zones de travail de la pêche artisanale et des écosystèmes vulnérables, notamment des coraux d’eau froide remarquables.
Au large de Belle-Île-en-Mer, l’État prévoit le développement d’un parc éolien d’une puissance totale de 750 MW. Destiné à répondre d’ici 2030 aux besoins en électricité de 450 000 habitants, ce parc éolien offshore a une particularité : il sera le premier parc éolien flottant à l’échelle nationale1Hormis les projets pilotes, de plus petite échelle, en cours de développement au large du Croisic et en Méditerranée. Ministère de la transition écologique et des territoires (2023) Eolien en mer
A l’issue d’un débat public de six mois ayant requis un budget d’un million d’euros pour recueillir l’avis de milliers de citoyens, des collectivités territoriales, des acteurs économiques et des industriels de l’éolien, un consensus s’est dessiné pour une implantation du parc éolien « Sud Bretagne » au large, c’est-à-dire au-delà de la ligne des 12 milles nautiques (environ 22 kilomètres).
Mais au mépris de ce consensus fondé sur des critères environnementaux, techniques et paysagers, le gouvernement annonçait en 2022 une implantation localisée entièrement dans la bande des 12 milles nautiques des eaux territoriales, dans une zone fréquentée quasiment exclusivement par la pêche artisanale, répondant ainsi pratiquement mot pour mot aux exigences, isolées, portées durant tout le débat public par le lobby du chalut, incarné par le Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Bretagne (CRPMEM)2A la tête du Comité régional de Bretagne, son président Olivier le Nézet n’en finit pas d’être pointé du doigt pour défendre les intérêts de la pêche industrielle, dominée par le chalut, envers et contre tous, au détriment de la pêche artisanale. Lassée par ce mépris envers leur profession, des pêcheurs artisans ont constitué le mouvement des pêcheurs en colère en 2023 qui demande, entre autres revendications, « la dissolution du Comité national des pêches » et la démission de son président, Olivier Le Nézet, qui « par le cumul intolérable de mandats n’est plus crédible aux yeux de la profession ». Mediapart (2024)Olivier Le Nézet, « pêcheur de petits-fours » à la barre du lobby français de la pêche. et la ville de Lorient, qui défendent inlassablement auprès de toutes les instances de décision depuis des décennies, les méthodes de pêche industrielles ou semi-industrielles à fort impact telles que le chalut de fond et les engins « traînants » apparentés, sans défendre le reste des pêcheurs français, notamment les petits métiers utilisant des engins à faible impact (les engins dits « dormants »).
Au cœur de ce déni démocratique, on découvre une politique de planification de l’éolien offshore soumise aux diktats du lobby de la pêche au chalut, qui permet à ce dernier de continuer à s’enrichir à grand renfort d’argent public sans s’inquiéter de devoir faire évoluer cette méthode de pêche destructrice qui génère des pertes pour la société bien plus larges que ses seuls impacts environnementaux3Fruit d’une collaboration entre BLOOM, L’Institut Agro, AgroParisTech, The Shift Project, l’EHESS et l’Atelier des jours à venir, le rapport « Changer de cap » publié en janvier 2024 propose une évaluation multi-critères inédite de 70% des pêches françaises. Ce bilan de la performance sociale-écologique des pêches montre clairement les limites de la pêche industrielle dominée par le chalut et le potentiel que représente la pêche artisanale dans une optique de transition sociale-écologique des pêches. Il constitue une première brique vers le développement d’une « pêchécologie » c’est à dire une pêche minimisant les impacts sur le climat et le vivant tout en contribuant à la souveraineté alimentaire européenne, en maximisant les emplois et en offrant des perspectives socio-économiques et humaines dignes.. Cet échec à concilier intelligemment développement de l’éolien en mer et protection de la biodiversité s’explique par une double dynamique :
Alors que la pêche industrielle constitue la première cause de destruction de l’océan selon le panel intergouvernemental d’experts sur la biodiversité (IPBES), l’emprise des représentants du secteur qui défendent des pêches à fort impact est telle qu’elle parvient à court-circuiter les décisions démocratiques au détriment de la pêche artisanale, des finances publiques et des écosystèmes marins. Aux termes de la manœuvre, la pêche chalutière, aidée par le gouvernement, a ainsi réussi à placer le tracé du parc sur les zones de pêche de la pêche artisanale à faible impact : des zones rocheuses qui abritent une diversité remarquable et qui étaient jusqu’ici préservées des chaluts et des dégâts qu’ils provoquent. Ces fonds abritent pourtant des espèces particulièrement fragiles tels que le corail jaune (Dendrophyllia cornigera), qui figure sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et, du fait de sa rareté en Atlantique, est classée comme espèce déterminante ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique floristique et faunistique) par le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel de Bretagne1Observatoire de l’environnement en Bretagne (2021) Les espèces et les habitats déterminants pour les ZNIEFF en Bretagne. Protégées durant des décennies de la destruction, ce sont désormais les représentants de la pêche chalutière qui pourraient causer leur perte en ayant désigné cette zone préservée comme lieu d’implantation d’un parc éolien, et en s’octroyant en contrepartie une manne financière intarissable dont eux-seuls décideront de l’utilisation.
Pour le seul parc de Belle-Île-en-Mer, c’est plus d’un million et demi d’euros qui sera distribué et réparti chaque année entre le Comité national des pêches, le Comité régional des pêches de Bretagne et le Comité départemental des pêches du Morbihan grâce à cette implantation dans les eaux territoriales françaises1Le Morbihan est un département-clé pour la pêche industrielle française, notamment avec la présence de Lorient, premier port de pêche français en valeur, où sont immatriculés de nombreux chalutiers industriels (e.g. Scapêche, SCAPAK, APAK, etc.).. Une aubaine qu’Olivier Le Nézet, Président cumulard de ces trois Comités et cheville ouvrière du lobby de la pêche industrielle en France, fort de ses 24 mandats2L’un des mandats d’Olivier Le Nézet concerne la fondation Open-C, centre d’essais en mer français pour les énergies renouvelables. Mediapart (2024) Olivier Le Nézet, « pêcheur de petits-fours » à la barre du lobby français de la pêche, n’a pas laissé passer, se félicitant que « la zone retenue est la zone proposée par le comité régional des pêches ». Et de préciser, oubliant au passage tous les pêcheurs artisans opérant dans cette zone, que « c’est la zone de moindres contraintes identifiée par le comité avec les pêcheurs professionnels. Ce sont des fonds rocheux, où l’on ne pratique pas les arts traînants (le chalut, à part le quatre panneaux) » 3Ouest France (2021) Bretagne. L’État donne son feu vert au parc éolien flottant entre Belle-Île et Groix
Un million et demi d’euros mis à la disposition des Comités des pêches dans la plus grande opacité, alors même que le bureau du Comité national est composé de membres comme l’Union des armateurs à la pêche de France (UAPF) qui s’est donné comme mandat la « lutte contre les lobbys environnementaux »4En janvier 2024, l’UAPF change la description de sa page d’accueil, et remplace dans ses engagements la « Lutte contre les lobby environnementaux » par « Défendre des bonnes pratiques environnementales ».UAPF (2024) A propos de l’UAPF., en dépit d’une urgence écologique et sociale chaque jour plus criante. Avec la répartition de cette taxe, le gouvernement offre une bouée de secours à la pêche industrielle, dominée par le chalutage, alors même que cette pratique est condamnée en raison de ses impacts écologiques et climatiques inacceptables et de sa dépendance au gasoil qui met les entreprises de pêche pratiquant le chalut en déficit chronique, malgré les aides publiques substantielles reçues.
Au terme de cette manoeuvre, le lobby de la pêche chalutière a ainsi réalisé un véritable hold-up démocratique et financier à Belle-Île-en-Mer, faisant de la pêche artisanale et de la préservation de la biodiversité les victimes collatérales de son refus à changer son modèle et à engager sa transition.
Pour mettre fin à ce régime d’exception bénéficiant aux destructeurs des écosystèmes et du climat, BLOOM demande la révision de la taxe éolienne et alerte sur la mainmise des lobbies de la pêche industrielle sur les processus démocratiques afin de s’assurer que les conclusions du débat public en cours et des débats à venir ne subissent pas le même sort. En parallèle, nous demandons la transparence entière sur l’utilisation des fonds issus de la taxe éolienne par la filière de la pêche, et adresse au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins une demande d’information environnementale pour lever le voile sur la liste et les critères de sélection des projets « concourant au développement durable de la pêche et des élevages » que les comités nationaux, régionaux et départementaux entendent élaborer grâce à cette taxe.
24 novembre 2022
Une analyse réalisée par BLOOM révèle aujourd’hui que la « zone de protection renforcée » des Terres australes, dont le Président Macron s’est enorgueilli d’avoir triplé la surface au Sommet de Brest en février 2022, se trouve dans une zone qui n’a jamais été soumise à la pêche industrielle.
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Combien de millions d’euros ont été alloués à la création de « parcs de papier », ces aires marines faussement « protégées » qui ne livrent aucun bénéfice réel à l’océan, à la biodiversité et à la stabilisation du climat ?
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Aujourd’hui, près de la moitié de la pêche industrielle ayant lieu dans la Zone économique exclusive française (ZEE) se déroule dans des zones dites « protégées », en dépit de l’urgence absolue de répondre à la crise climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Ainsi, malgré les engagements de l’Union européenne et de la France de protéger 30% de leurs eaux, dont un tiers en « protection stricte », la vaste majorité des aires marines dites « protégées » françaises ne limite aucunement les pratiques de pêche les plus destructrices et les plus énergivores.