24 novembre 2022
Une analyse réalisée par BLOOM révèle aujourd’hui que la « zone de protection renforcée » des Terres australes, dont le Président Macron s’est enorgueilli d’avoir triplé la surface au Sommet de Brest en février 2022, se trouve dans une zone qui n’a jamais été soumise à la pêche industrielle.
BLOOM a analysé depuis 2015 toutes les activités de pêche dans les Terres australes (plus de 46 000 lignes de données satellites correspondant à 159 000 heures de pêche[1]) et démontre ainsi formellement que le tracé retenu pour les « zones de protection renforcée » au sein de la Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises évite exactement les zones exploitées par les huit navires de pêche français de 55 à 76 mètres de long ciblant la légine australe (la « poule aux œufs d’or » de l’océan austral) et la langouste.
Que la France décide de mettre « sous cloche » des écosystèmes d’eau froide remarquables et stratégiques pour la biodiversité et le climat est une excellente chose. Que la politique française de protection « réelle » des eaux se réduise à protéger des zones inaccessibles et inexploitées de l’océan Austral est en revanche inacceptable et en dit long sur « l’ambition zéro » de la France pour son territoire marin. Alors que la France dispose de 382 855 km2 de zones de protection intégrale dans les Terres australes, ce chiffre tombe à… 94 km2 en France métropolitaine !
L’État français mène une politique du chiffre et non une politique de protection. C’est officiel. Cela lui permet d’atteindre les « objectifs chiffrés » sans jamais avoir à se frotter aux vrais enjeux de destruction posés par la pêche industrielle intensive en France métropolitaine.
D’une part, Emmanuel Macron fait passer 30% des eaux françaises pour « protégées » alors que les aires marines dites « protégées » sont dévastées quotidiennement par la pêche industrielle[2]. D’autre part, le Président a décidé de « faire son chiffre » de « protection forte »[3] (4% de la ZEE française) à l’autre bout du monde, dans les eaux australes à peine fréquentées ou exploitées[4], au lieu de protéger les eaux métropolitaines, soumises à la pression constante des chalutiers industriels et en grand besoin de restauration écologique et qui ne sont, elles, protégées qu’à 0,005% pour notre façade Manche et Atlantique et à 0,094% sur notre façade méditerranéenne[5].
« Même aux abords de l’Antarctique, le gouvernement a pris soin de ne pas empiéter sur les zones de pêche des industriels » analyse Swann Bommier, chargé de plaidoyer de BLOOM. « Notre étude inédite, réalisée par Paco Lefrançois, confirme que selon Emmanuel Macron, une politique de protection de la nature équivaut à ne jamais contraindre les industriels de la pêche et à ne protéger que des zones inaccessibles et inexploitées. Nous sommes loin de la reconquête de la « pleine naturalité » promise par M. Macron. »
« Lors de la COP15 sur la biodiversité », qui se tiendra du 5 au 17 décembre à Montréal, « la France a l’occasion de se ressaisir et de réparer des années de politique de « l’ambition zéro » quant à la protection de la nature et de « courage zéro » face aux lobbies de la pêche industrielle » déclare Claire Nouvian, fondatrice de BLOOM. L’océan est le poumon de la Terre et le grand régulateur du climat. Le protéger n’offre que des bénéfices, y compris économiques, grâce à la restauration de la santé des populations de poissons et des activités de pêche. « Nous demandons à la France d’interdire toutes les activités industrielles dans les aires marines dites « protégées » en France métropolitaine et de préserver de toute activité humaine 10% de notre territoire marin » ajoute Claire Nouvian. « Nous saluerions une telle annonce de M. Macron avant la Conférence de Montréal car elle permettrait à notre pays, première puissance maritime européenne, de se mettre en conformité avec les objectifs de protection stricte de l’UE, comme vient de le rappeler le comité français de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN)[6]. »
Les aires marines protégées (AMP) ont comme objectifs de préserver et de restaurer la santé des écosystèmes[7]. Il est bien entendu primordial de préserver la nature là où elle risque d’être exploitée et avant qu’elle ne le soit, mais dans un contexte où la pêche industrielle a déjà étendu son emprise à l’ensemble de l’océan où les ressources vivantes présentent un quelconque intérêt économique[8], la fonction urgente des AMP est de limiter la destruction environnementale générée par les pêches et autres activités industrielles de façon à permettre une amélioration de la santé de la vie marine et des habitats océaniques, fortement contributeurs en stockage de carbone.
L’UICN et les panels intergouvernementaux en charge du climat (GIEC) et de la biodiversité (IPBES) recommandent ainsi de concert la création d’un réseau cohérent d’aires marines protégées pour réduire drastiquement la pression exercée par la pêche industrielle sur les écosystèmes marins.
Dans sa Stratégie en faveur de la biodiversité[9] et dans sa Stratégie nationale pour les aires protégées 2030[10], l’Union européenne et la France ont répondu à ces recommandations en se fixant pour objectif d’atteindre 30% d’aires marines protégées d’ici à 2030, dont un tiers sous « protection stricte », sans aucune activité humaine.
Mais la France, deuxième espace maritime mondial après les Etats-Unis, a clairement abandonné cette ambition et décidé de ne suivre qu’une politique du chiffre, sans que les zones protégées n’améliorent en quoi que ce soit l’existant, malgré l’urgence à restaurer les eaux métropolitaines exsangues, surexploitées et détruites par le passage incessant d’engins de pêche traînants qui ont démantelé les structures animales formant des forêts sous-marines d’une grande diversité biologique.
Le 11 février 2022, le Président de la République Emmanuel Macron annonçait à Brest lors du One Ocean Summit l’extension de la Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, clamant haut et fort que la France avait ainsi créé « avec 1,6 million de km2, la deuxième plus grande aire marine protégée au monde » mais aussi « dépassé l’objectif de 30% des espaces maritimes et terrestres français en aires protégées (33%) » et « contribué fortement à l’objectif de protection des espaces emblématiques en protection forte ».
Ce sont désormais 50% des eaux de la zone économique exclusive française des îles Saint-Paul et Amsterdam qui sont sous protection renforcée. Autour de l’île de Crozet, 1,5%. Et aux Kerguelen, 21%. Des chiffres à mettre en regard du manque d’ambition concernant la constitution d’aires marines effectivement protégées (aucune activité industrielle)[11] et la création de « zones de protection renforcée » (aucune activité humaine) en France métropolitaine[12]. Ces chiffres témoignent de l’absence criante de volonté du gouvernement de se confronter à la pêche industrielle, pourtant première cause de destruction des écosystèmes marins selon l’IPBES.
La France peut encore faire volte-face et décider d’annoncer la protection réelle de nos eaux avant la COP15 sur la diversité biologique. Au moment d’une dégradation et d’une disparition sans précédent du vivant sur terre, et après l’annonce par le Président de la République au début de la COP27 du renoncement de la France à l’exploitation des ressources minières en grandes profondeurs, une décision de la Présidence de prendre enfin la protection marine au sérieux ferait souffler une brise d’optimisme sur la capacité du politique à protéger notre avenir. C’est maintenant ou jamais pour le climat et la vie sauvage de la planète.
Intensité de la pêche industrielle au sein de la zone économique exclusive française des îles Saint-Paul et Amsterdam (entre le 01/01/2015 et le 09/02/2022, avant implantation de la « zone de protection renforcée », sur un dégradé de rouge). A droite, la « zone de protection renforcée » actuelle des îles Saint-Paul et Amsterdam (gris).
Intensité de la pêche industrielle au sein de la zone économique exclusive française de l’archipel de Kerguelen (entre le 01/01/2015 et le 11/12/2016, avant implantation de la « zone de protection renforcée », sur un dégradé de rouge). A droite, la « zone de protection renforcée » actuelle de l’archipel des Kerguelen (gris).
Intensité de la pêche industrielle au sein de la zone économique exclusive française de l’archipel de Crozet (entre le 01/01/2015 et le 11/12/2016, avant implantation de la « zone de protection renforcée », sur un dégradé de rouge). A droite, la « zone de protection renforcée » actuelle de l’archipel de Crozet (gris).
[1] Données du site Global Fishing Watch.
[2] Voir l’étude de BLOOM publiée le 7 octobre 2022 sur l’intensité de la pêche industrielle dans les AMP, La pêche industrielle à l’assaut des aires marines dites « protégées »
[3] La « protection forte », établie par décret le 12 avril 2022, est un label inventé par le gouvernement qui ne correspond ni aux exigences européennes sur la « protection stricte », ni au statut français sur la « protection renforcée ». BLOOM a attaqué ce décret au Conseil d’Etat le 7 octobre 2022. Voir BLOOM attaque l’imposture écologique marine du gouvernement devant le Conseil d’Etat.
[4] Notons que la pêche industrielle à la légine et à la langouste se déroule à l’intérieur de la Réserve naturelle, qui ne peut, de ce fait, être considérée comme « protégée » selon les standards de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Le tracé des « zones de protection renforcée » évite soigneusement les zones de pêche des huit navires français.
[5] Claudet et al (2021) Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world
[6] Voir le rapport de l’UICN sur les zones de protection forte daté du 4 novembre 2022 : https://uicn.fr/zones-de-protection-forte-en-mer-2/
[7] Ministère de la transition écologique et solidaire, Ministère de la Mer, et OFB (2021) Stratégie nationale pour les aires protégées 2030
[8] Kroodsma et al. (2018) Tracking the global footprint of fisheries
[9] Commission européenne (2020) Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030. Ramener la nature dans nos vies
[10] Gouvernement français (2021) Stratégie nationale pour les aires protégées 2030
[11] BLOOM (2022) La pêche industrielle à l’assaut des aires marines dites « protégées »
[12] La « protection stricte » des aires marines de France métropolitaine est infinitésimale : sur les façades françaises de l’Atlantique, de la Manche et de la Mer du Nord, la surface des aires marines sous protection stricte est de 0,005%. En Méditerranée française, où les écosystèmes sont parmi les plus dégradés au monde, 0,094% de la surface de la zone économique exclusive est sous protection stricte. Voir Claudet et al (2021) Critical gaps in the protection of the second largest exclusive economic zone in the world