04 novembre 2024
Au terme de dix jours de négociations, alors que les États participants étaient attendus pour mettre en œuvre des mesures concrètes pour enrayer l’effondrement de la biodiversité, la COP16 se termine sans même avoir résolu les deux principaux points à l’ordre du jour. Deux ans après l’Accord de Kunming-Montréal qui fixait des objectifs internationaux pour protéger 30% des terres et des mers d’ici 2030, aucun plan de suivi ni aucun plan de financement pour mettre en œuvre ces engagements n’a vu le jour, traduisant l’incapacité terrible des dirigeants à faire cause commune contre la plus grande menace à laquelle notre humanité est confrontée.
À l’heure où la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité (IPBES) alerte sur le déclin des écosystèmes « à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine » et où près d’un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction, la Colombie a accueilli du 21 octobre au 1er novembre 2024 la 16e édition de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16), dont l’objectif est de lutter contre l’effondrement de la biodiversité au niveau mondial.
Face à la crise climatique qui nous frappe de plein fouet, à l’heure où la région de Valence compte ses morts après des inondations d’une violence sans précédent, et alors que le GIEC rappelle que la protection des écosystèmes est une urgence vitale pour faire face au dérèglement climatique, cette COP représentait une opportunité historique de mettre concrètement en pratique les recommandations scientifiques. Deux ans après la signature de l’accord-cadre de Kunming-Montréal lors de la COP15, qui prévoit la protection de 30% des terres et des mers d’ici à 2030, il était attendu des États qu’ils définissent de manière concrète les modalités de protection de nos écosystèmes.
Pourtant, au bout de dix jours de négociations, la COP se termine sans que les États aient statué sur les deux enjeux principaux inscrits à l’ordre du jour, à savoir la stratégie financière et le cadre de suivi pour mettre en œuvre la protection de la nature.
Alors que les négociations touchaient enfin à des questions clés en fin de COP, les échanges ont dû être stoppés. Pour cause : la moitié des États participants étaient déjà partis à l’aéroport prendre leurs vols retours. Constatant que le quorum n’était plus atteint, le porte-parole de la CBD David Ainsworth a annoncé que « les pays devront poursuivre les négociations l’année prochaine lors d’une réunion intérimaire à Bangkok », reportant ainsi à une date ultérieure la clôture formelle des travaux, officiellement suspendus.
« Nous remettons vraiment en question le manque de légitimité de discuter d’une question aussi importante à la fin de la COP », a déclaré la négociatrice brésilienne Maria Angelica Ikeda, peu avant l’arrêt des discussions sur la mobilisation des ressources financières. Et le représentant du Burkina Faso, Moumouni Ouedraogo, d’ajouter : “Cette fin de COP a un goût d’inachevé”.
En 2022, les pays développés, qui ont une responsabilité majeure dans la destruction de la biodiversité, s’étaient engagés à consacrer 20 milliards de dollars par an à partir de 2025 puis 30 milliards de dollars à compter de 2030 pour financer la protection de la nature. Mais loin de cet objectif, huit gouvernements ont déclaré allouer au total 163 millions de dollars (environ 150 millions d’euros) au Fonds pour l’environnement mondial (FEM), soit moins de 1% de ce qui avait été annoncé ! La contribution de la France, elle, s’élève à 5 millions d’euros, cinq fois moins que ses voisins européens britanniques et allemands. Alors que les ressources estimées nécessaires à la protection s’élèvent à 200 milliards de dollars, toutes sources confondues, le FEM déclarait en marge de la COP disposer d’un total de 396 millions de dollars en tout et pour tout. Dans ce contexte, et alors que la question financière constituait l’un des points majeurs à aborder, aucune stratégie n’a été définie pour lever les 200 milliards de dollars nécessaires à la conservation de la nature.
Jiwoh Abdulai, ministre de l’Environnement et du Changement climatique de la Sierra Leone, n’a pas manqué de dénoncer cet échec cuisant : « Les gouvernements ont montré à maintes reprises qu’ils peuvent matérialiser les fonds nécessaires quand ils le souhaitent – que ce soit pour les pandémies ou les guerres. Pourquoi alors ne peuvent-ils pas le matérialiser pour combattre la plus grande menace existentielle à laquelle nous sommes confrontés ? »
Force est ainsi de constater que sur les 196 États parties à la CBD, seuls 44 ont établi un plan national pour enrayer la perte de biodiversité. En outre, l’établissement d’un plan national ne garantit en rien une réelle protection des écosystèmes. Le cas de la France, championne de l’hypocrisie environnementale, l’illustre parfaitement. Alors qu’elle déclare avoir déjà atteint l’objectif de 30% de protection de ses eaux, la réalité est toute autre : seulement 0,094% de la façade méditerranéenne et 0,005% de la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord bénéficient d’une réelle protection. Et pour cause : la pêche industrielle opère quasiment la moitié de son temps dans les aires marines dites “protégées” françaises.
Incapables de remettre en cause ce statu quo mortifère, les États ne sont pas parvenus à définir la notion de “protection” qu’ils avaient inscrite dans leurs objectifs deux ans plus tôt. En d’autres termes, il n’existe à ce jour aucune mesure internationale contraignante pour imposer des restrictions aux acteurs industriels qui causent des dommages sans précédent à la biodiversité, à l’heure où moins de 3% de l’océan au niveau mondial bénéficie d’une réelle protection, et où plus de 80% des aires marines “protégées” d’Europe ne règlementent aucune activité industrielle.
Alors qu’elle était présentée comme “la COP de la mise en oeuvre”, cette COP se termine ainsi sans aucun plan sur la manière dont les objectifs de protection de 30% des écosystèmes terrestres et marins d’ici 2030 seront suivis.
Représentant le deuxième domaine maritime mondial et le premier dans les négociations sur la biodiversité, les États-Unis n’ayant pas ratifié la Convention sur la diversité biologique (CDB), la France doit être exemplaire dans la protection de ses eaux et doit s’aligner sur le cadre international en matière de protection de la nature, en commençant par interdire toute activité et toute infrastructure industrielle dans ses aires protégées.
Alors que la COP29 sur le climat s’ouvrira le lundi 11 novembre prochain à Bakou en Azerbaïdjan, et que les plus éminents climatologues rappellent que « nous sommes au bord d’une catastrophe climatique irréversible », il est encore temps pour la France de montrer qu’elle prend acte de l’urgence climatique et environnementale et de porter l’ambition nécessaire pour acter « des changements ambitieux et transformateurs » que la communauté scientifique ne cesse d’appeler de ses vœux.
Loin de prendre la mesure de l’urgence, les États se sont bornés à adopter un texte, qui, au bout de huit ans de négociations, vient tout juste préciser des modalités pour définir des “zones marines d’importance écologique ou biologique” (EBSA en anglais), sans que celles-ci impliquent un quelconque niveau de protection ou une quelconque restriction sur les activités pouvant s’y dérouler. Pourtant, le consensus scientifique et les recommandations internationales de l’UICN sont sans équivoque : est considérée « protégée » une aire marine dans laquelle sont interdites les infrastructures et les activités industrielles, et notamment la pêche industrielle. Mais à rebours de ces recommandations très concrètes, « les COP se succèdent, fixent des objectifs dont la fonction majeure est d’être annoncés plutôt que poursuivis, et évoluent dans une sorte de réalité parallèle » comme le déplorait le journaliste du Monde Stéphane Foucart.
Face à l’inaction des gouvernements, une trentaine de scientifiques experts de l’océan ont publié il y a quelques semaines une étude redéfinissant les critères de la pêche durable, qui seule permettra d’enrayer et d’inverser le déclin de la biodiversité marine, ainsi que l’insécurité alimentaire causée par la surpêche. Ils y proposent 11 « règles d’or » fondées sur une vision claire : chaque poisson pêché doit générer une valeur sociétale maximale tout en minimisant son impact écologique. Nous en sommes aujourd’hui très éloignés. En effet, nos gouvernements continuent de subventionner des navires-usines, destructeurs de valeur économique, sociale et environnementale, et autorisent ces mêmes navires à opérer dans les aires marines protégées et les eaux côtières de pays où le poisson est une ressource alimentaire essentielle. Cela se fait souvent sans contrôles ni exigences de transparence, alors même que le secteur de la pêche est régulièrement impliqué dans des affaires de corruption, de violations réglementaires et de violations quasi-systématiques des droits humains en mer.
Crédit image : Convention on Biological Diversity website