27 janvier 2025
L’accueil par la France de la Conférence des Nations Unies sur l’océan en juin prochain produit déjà des effets : à l’Assemblée nationale et au Sénat, les parlementaires ont inscrit la protection de l’océan et de la pêche artisanale à l’agenda des priorités politiques avec deux propositions de loi.
La première, co-signée par 60 parlementaires de dix groupes, a été déposée le mercredi 21 janvier 2025 par le député MoDem du Morbihan Jimmy Pahun. Cette PPL (proposition parlementaire de loi) prend à bras-le-corps la question centrale de la justice sociale et de la transparence dans la répartition des quotas dans le secteur très fermé de la pêche. En revanche, l’enjeu critique de la protection du milieu marin est traité de manière insuffisante.
La seconde, annoncée par la sénatrice Mathilde Ollivier, sera publiée prochainement en vue de la niche parlementaire du 12 juin, qui tombe en plein milieu du sommet mondial sur l’océan. La sénatrice du groupe Les Écologistes a déjà annoncé que le texte viserait à protéger à la fois les pêcheurs artisans et les écosystèmes marins grâce à de véritables aires marines protégées alignées sur les standards internationaux de protection.
Après des décennies de statu quo donnant l’avantage aux industriels de la pêche et aux segments les plus impactants écologiquement et socialement des flottes de pêche, ces deux propositions de loi jettent un pavé dans la mare d’un secteur caractérisé par une gestion opaque et injuste, opérée au détriment des petits pêcheurs.
Les textes de Jimmy Pahun et de Mathilde Ollivier, s’ils étaient adoptés, permettraient d’engager enfin une transition du secteur de la pêche vers la protection assumée des pêcheurs artisans (navires de moins de 12 mètres) et hauturiers (12-25 m) en commençant par exclure les navires industriels de plus de 25 mètres du littoral français. Pour le moment, seule l’ambition annoncée par Mathilde Ollivier permettrait en revanche de créer de véritables aires marines protégées en France, alignées sur les catégories européennes et les recommandations scientifiques internationales.
Il aura fallu attendre 2025 pour qu’enfin des parlementaires se saisissent de la question désormais vitale de la protection de l’océan et de la pêche artisanale, alors que les écosystèmes marins comme les petits pêcheurs sont victimes d’une même cause de destruction : les flottes de pêche industrielles et les techniques de pêche à fort impact écologique comme le chalutage.
L’histoire de la pêche artisanale française1La pêche artisanale est définie au niveau mondial comme un segment comprenant des navires de moins de 12 mètres pratiquant les « arts dormants » c’est-à-dire des techniques de pêche à faible impact comme les lignes, les casiers ou les filets. La France est le seul pays au monde à déroger à cette définition en incluant le segment hauturier, ou semi-industriel (navires de 12 à 25 m) à cette définition. « Artisanal » est entendu ici au sens mondial, pas au sens de l’étrange exception française. est celle d’une longue agonie. Avec la domination croissante de la pêche industrielle, les droits de pêche des pêcheurs artisans se sont réduits à peau de chagrin. Aujourd’hui, les petits navires de moins de 12 mètres représentent 84% des navires et 60% des emplois, mais réalisent seulement 23% des débarquements2CSTEP, 2021.. Les flottes de pêche industrielles ont en effet fait main basse sur les quotas et ont accaparé la majorité des subventions publiques via la détaxe gasoil3Les exonérations sur le carburant ont représenté 206 millions d’euros en 2021, soit 63% du montant total des subventions européennes et nationales (hors collectivités territoriales) estimées. Étant donné qu’elles sont basées sur les volumes consommés, ces aides bénéficient principalement aux pêches industrielles et leur procurent un avantage compétitif alors qu’elles sont les plus consommatrices en carburant, les moins respectueuses de l’environnement et les moins génératrices d’emplois. .
Alors que les événements climatiques extrêmes s’intensifient et que l’imposture française sur les aires marines faussement « protégées » est désormais bien établie1La France clame haut et fort protéger 30% de ses eaux mais en réalité, moins de 0,1% des eaux de France métropolitaine sont réellement protégées des activités et infrastructures industrielles. Voir nos publications : https://bloomassociation.org/nos-campagnes/obtenir-des-aires-marines-reellement-protegees/, il était temps que des initiatives législatives se préoccupent de la protection simultanée de l’océan, organe vital de régulation du climat, et des pêcheurs artisans, seule option de pêche véritablement durable d’un point de vue écologique, social et économique.
Le 8 janvier 2025, lors de la conférence de presse de la Coalition citoyenne pour la protection de l’océan qui lançait un compte à rebours jusqu’à l’ouverture de la conférence des Nations Unies sur l’océan, la sénatrice Mathilde Ollivier a annoncé déposer prochainement une proposition de loi visant la protection simultanée de l’océan et des pêcheurs. L’objectif étant de « mieux protéger l’océan, la pêche artisanale et les aires marines protégées » et de « concrétiser une réelle protection des aires marines protégées afin de régénérer les ressources halieutiques et de limiter la crise climatique ». La sénatrice a conclu son intervention par ces mots : « Nous avons cinq mois pour répondre à cet objectif, pour agir et pour faire de la France un pays à la hauteur ».
Le 21 janvier 2025, à l’Assemblée nationale, le député du Morbihan Jimmy Pahun a déposé avec 60 parlementaires une proposition de loi « pour une pêche française prospère et durable » qui aborde certains enjeux cruciaux pour l’avenir de la pêche artisanale française, mais qui omet toutefois d’adresser certaines thématiques critiques comme l’inclusion de critères sociaux et environnementaux dans les attributions de quotas. Cette PPL, absolument essentielle pour l’avenir des pêcheurs artisans, est très incomplète sur les enjeux de la protection du milieu marin, sans lequel aucune pêche durable n’est envisageable. Le texte va même jusqu’à proposer une mesure délétère et très confuse sur les aires marines protégées.
Pour la toute première fois, un parlementaire se préoccupe sincèrement du sort des pêcheurs artisans français2La pêche artisanale est définie au niveau mondial comme un segment comprenant des navires de moins de 12 mètres pratiquant les « arts dormants » c’est-à-dire des techniques de pêche à faible impact comme les lignes, les casiers ou les filets. La France est le seul pays au monde à déroger à cette définition en incluant le segment hauturier, ou semi-industriel (navires de 12 à 25 m) à cette définition. « Artisanal » est entendu ici au sens mondial, pas au sens de l’étrange exception française. . La PPL de Jimmy Pahun propose des mesures courageuses et essentielles qui peuvent sauver la pêche artisanale française, aujourd’hui sacrifiée par les lobbies de la pêche industrielle qui ont pris le contrôle des organes de représentation de la pêche (les comités des pêches) ainsi que des entités d’allocation des quotas (les organisations de producteurs).
Les mesures-phare de ce texte permettant une avancée sur les questions de justice sociale pour les pêcheurs et de protection du milieu marin incluent :
Les mesures évoquées ci-dessus font clairement de la proposition de loi de Jimmy Pahun un texte salutaire pour la pêche artisanale, même si malheureusement, la PPL ne va pas au bout de l’exercice : pour que la pêche artisanale et les écosystèmes marins soient préservés de la mainmise de quelques consortiums industriels ravageurs, il faut commencer par arrêter de promouvoir et financer ces destructeurs de l’océan, et notamment les promoteurs du chalut, premier responsable de la dévastation des écosystèmes marins.
Hélas, la proposition de loi ne permet pas d’acter dans la loi la fin de l’octroi de nouvelles licences pour les chalutiers de fond (article 5), mesure pourtant ardemment défendue par les scientifiques et évoquée par le Conseil d’analyse stratégique et le Secrétariat général à la Mer dès 2006, alertant déjà sur l’impasse économique et écologique dans laquelle se trouvait le chalutage.
Par ailleurs, le député souhaite enclencher une stratégie nationale de transition des flottilles de pêche au chalut de fond pour les rendre “moins dépendantes des fluctuations du prix des énergies fossiles”, (article 5). Mais l’enjeu majeur auquel doit répondre la pêche française aujourd’hui réside dans la déchalutisation de sa flotte, non pas seulement vis à vis du coût de l’énergie, mais également pour des enjeux climatiques et de protection de la biodiversité, le chalutage causant la libération annuelle de 370 millions de tonnes de CO2 soit l’équivalent des émissions annuelles de la France, autant que pour des enjeux de création d’emplois et de finances publiques.
Côté protection marine, la proposition de loi est très ambivalente : d’un côté, elle permet une grande avancée tandis que de l’autre, elle introduit un article franchement problématique.
Côté positif, la PPL de Jimmy Pahun propose une clarification bienvenue sur la définition de la protection, mettant hors d’état de nuire le concept fumeux de « protection à la française » décrié jusque dans les colonnes de la prestigieuse revue scientifique Nature, qui autorise de fait toutes les activités destructrices au sein des aires marines dites « protégées » (AMP). L’article 7 de la PPL enterre ainsi la notion de “protection forte” à la française pour l’aligner enfin sur la notion de “protection stricte” prônée par la communauté scientifique et reprise par l’UE dans son plan d’action pour l’océan. La protection « stricte » interdit spécifiquement toutes les activités extractives au sein des AMP et est la seule garante d’une réelle protection des écosystèmes.
Côté négatif, le texte de la PPL introduit une mesure délétère pour les aires marines protégées (article 6). En effet, le député Jimmy Pahun propose d’interdire le chalutage de fond que pour les aires marines protégées situées dans la bande côtière des trois milles nautiques et non pour l’ensemble des aires marines protégées françaises. Cette proposition pose de graves problèmes, à plusieurs niveaux :
Premièrement, l’interdiction de chaluter dans la bande côtière des trois milles nautiques existe déjà dans la loi, et la proposition du député ne fait que répéter la jurisprudence de la Cour d’appel de Bordeaux du 11 avril 2023, alors que le consensus scientifique et les objectifs établis par la Commission européenne dans son « Plan d’action pour l’océan » recommandent très clairement d’interdire le chalutage dans l’ensemble de nos aires marines dites “protégées”.
Deuxièmement, l’ensemble des activités et infrastructures industrielles doivent être interdites au sein des AMP, pas uniquement le chalutage de fond, comme le recommandent les standards internationaux de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Pour retrouver un océan sain et résilient, les Etats doivent placer au moins 30% de leurs eaux sous protection, conformément aux objectifs internationaux en la matière, dont un tiers sous protection stricte, sans aucune activité extractive, comme le recommande l’UE dans son Plan d’action pour l’océan publié en 2023.
Cette mesure proposée dans la PPL entérine l’absence d’ambition du gouvernement jusqu’ici en matière de protection alors la France a l’aire marine la plus chalutée d’Europe. Chaque année la flotte française des 800 chalutiers de fond opérant dans l’Atlantique racle en moyenne 600 000 km2 de fonds marins soit une superficie supérieure à la France métropolitaine, y compris dans les aires marines protégées comme le montre le radar chalutage développé par BLOOM. Selon les recommandations scientifiques internationales, ce chiffre aurait dû être de zéro.
Pour parachever ce non-sens écologique, la proposition de loi de Jimmy Pahun vient cranter la possibilité de déroger à l’interdiction du chalutage dans les trois milles nautiques. En proposant d’élever ces dérogations de leur statut réglementaire actuel à un statut législatif, la proposition de loi rendrait plus difficile à l’avenir de supprimer ces dérogations.
La conférence des Nations Unies sur l’océan qui se tiendra à Nice en juin prochain nous offre une opportunité unique de tracer un cap pour la transition sociale et écologique du secteur de la pêche, de façon à ce que protection de l’océan et justice sociale aillent de pair.
La coalition citoyenne pour la protection de l’océan porte en ce sens quinze mesures clés pour transformer notre rapport à l’océan et restaurer les écosystèmes marins et la pêche artisanale. Face à l’étendue de la supercherie française en matière de protection de l’océan, il y a urgence à engager résolument cette transition, afin qu’elle réponde réellement à l’urgence climatique, environnementale et sociale à laquelle nous sommes confrontés.
(1) Cour administrative d’appel de Toulouse, 2023, L’attribution des sous-quotas de pêche de thon rouge en zone océan Atlantique et Méditerranée doit intégrer un critère environnemental, BLOOM, 2023, BLOOM attaque en justice pour obtenir la transparence sur les quotas de pêche
14 janvier 2025
A cinq mois jour pour jour de la Conférence des Nations unies sur l’Océan qui se tiendra en France, les ONG alertent médias et politiques sur des enjeux critiques pour l’humanité.
Le 8 janvier 2025, à cinq mois jour pour jour de la Conférence des Nations Unies sur l’océan qui aura lieu en France, la Coalition citoyenne pour la protection de l’Océan, BLOOM, Only One, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, Seas At Risk et Oceana ont tenu une conférence de presse de rentrée pour signaler aux médias les enjeux sans précédent du sommet onusien pour la sauvegarde du monde vivant et de l’humanité.
08 janvier 2025
À cinq mois jour pour jour du lancement de la Conférence des Nations Unies sur l’océan accueillie par la France, BLOOM lance le radar du chalutage dans les aires marines françaises supposément « protégées ». Cet outil rend visible la destruction massive occasionnée par le chalutage de fond sur des écosystèmes vulnérables et précieux. Cette technique de pêche destructrice pour la biodiversité, le climat et la justice sociale se déroule aujourd’hui avec la bénédiction de l’État, qui autorise le chalutage dans les aires marines dites « protégées ».
01 décembre 2024
Alors que le Royaume-Uni a adopté début 2024 une série de mesures essentielles pour protéger ses écosystèmes marins, l’Union européenne a attaqué le 25 octobre 2024 le Royaume-Uni devant le tribunal permanent de La Haye afin de faire annuler une mesure destinée à protéger les écosystèmes de la Mer du Nord. Face à cette offensive judiciaire inconsidérée de l’Union européenne, BLOOM et l’ONG britannique Blue Marine Foundation déposent un « amicus curiae » auprès du tribunal de La Haye pour soutenir le Royaume-Uni dans cette procédure inédite. C’est le sort de tout un pan de la biodiversité marine européenne qui pourrait être scellé dans ce processus d’arbitrage, pensé lors du Brexit pour régler les différends commerciaux entre l’UE et le Royaume-Uni, et aujourd’hui détourné par le lobby de la pêche industrielle pour tuer dans l’œuf toute velléité de protection de l’océan.