29 avril 2025
Après les inégalités flagrantes des aides COVID en 2021 (1), BLOOM révèle aujourd’hui un nouveau scandale financier lié aux subventions publiques accordées au secteur de la pêche en France. Notre enquête inédite intitulée « Breizhit » démontre comment les industriels de la pêche bretons ont fait main basse sur les aides Brexit au détriment de la région des Hauts-de-France, pourtant en première ligne face à la fermeture des eaux britanniques et illustre, une nouvelle fois, l’existence d’une cogestion inacceptable des richesses publiques par le couple formé par les pouvoirs publics et les lobbies de la pêche industrielle.
Notre analyse détaillée des arrêtés du 30 septembre et du 14 novembre 2022 mettant en place un plan de subventionnement des pêcheurs dans le cadre du Brexit (2) établit la façon scandaleuse dont une modification a posteriori du texte initial a supprimé la restriction des aides aux seules entreprises de petite et moyenne taille et ainsi ouvert les vannes du financement public aux armements industriels. C’est ainsi qu’une dizaine d’armements a capté la moitié des subventions et que les flottes industrielles bretonnes ont touché le gros lot : à elle seule, la région Bretagne a reçu trois fois plus d’argent public que les Hauts-de-France, proportionnellement aux tailles des flottes respectives. Le premier bénéficiaire de la modification de l’arrêté est la flotte d’Intermarché, la Scapêche, qui a raflé 11 millions d’euros, soit 19% du fonds.
Notre travail montre également le pilotage pervers des aides publiques à l’opposé de l’objectif qu’elles sont censées viser : la réduction de la capacité des flottes, chroniquement excédentaire par rapport à l’état de santé de l’océan. Ainsi, l’armement finistérien de chalutiers « La Houle » a perçu 3,9 millions d’euros pour détruire seulement quatre navires tout en engageant le renouvellement de sa flotte dans un contournement flagrant des règles de subventionnement public, ce qu’assume également publiquement la flotte d’Intermarché.
Cette aide financière exceptionnelle à un secteur déjà largement subventionné aurait dû permettre d’enclencher la transition sociale et écologique d’une partie des pêcheurs français, de façon à rendre leur activité plus résiliente face à la dégradation de l’état de santé de l’océan, au dérèglement climatique et à la multiplication des crises. Il n’en est rien.
Au contraire, quelques industriels ont capté l’essentiel des ressources publiques, verrouillant le modèle destructeur du chalutage, au détriment de l’intérêt général, de la protection de l’environnement et d’une véritable transition du secteur vers des pratiques de pêche plus durables, socialement et écologiquement. Une transition qui, du reste, ne pourra avoir lieu qu’à la condition que les quotas de pêche des navires démantelés soient réalloués aux petits navires côtiers.
BLOOM souligne que l’inéluctable déchalutisation du secteur de la pêche doit se faire selon un plan de transition progressive et des règles claires, transparentes et concertées de façon à s’opérer avec justice sociale, en priorité envers les pêcheurs les plus vulnérables, qui ne sont pas adossés à des armements industriels. Or, force est de constater que comme toujours, ceux qui tirent les ficelles politiques à Paris et Bruxelles sont ceux qui bénéficient le plus largement des richesses publiques. Les lobbies industriels qui s’opposent à la protection de l’océan et à la transition sociale et écologique du secteur sont aussi ceux qui réclament désormais l’obtention de subventions massives pour renouveler la flotte et la modification de la règlementation européenne afin d’autoriser l’augmentation de la capacité de pêche.
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Dans le cadre de la Réserve d’ajustement au Brexit (RAB) adoptée par l’Union européenne, l’État français a mis en place en 2022 un Plan d’Accompagnement Individuel (PAI) censé indemniser les pêcheurs impactés par la fermeture des eaux britanniques et par la réduction des quotas en raison du Brexit, en contrepartie du démantèlement d’un ou plusieurs de leurs navires (3). L’objectif de ces aides était un arrêt définitif de la pêche, et donc une réduction de la capacité des flottes, chroniquement excédentaire par rapport à l’état de santé de l’océan. Au total, 86 navires ont été détruits pour un montant de 58 millions d’euros.
Notre analyse de ce fonds montre que le gouvernement a modifié a posteriori l’arrêté définissant les critères d’éligibilité aux aides de façon à en garantir l’accès aux plus grandes entreprises, permettant ainsi le subventionnement d’un maximum de navires – sans qu’ils soient nécessairement impactés par le Brexit. C’est ainsi que la flotte de pêche d’Intermarché, la Scapêche, est devenue la grande gagnante de cette distribution de richesse publique en percevant près de 11 millions d’euros pour envoyer à la casse sept navires, dont trois ont pratiqué pendant des années la pêche en eaux profondes (4), y compris pour l’un d’entre eux, en contravention de la loi.
Une dizaine d’armements a globalement concentré à eux seuls la moitié des subventions, soient 28,3 millions d’euros sur une enveloppe totale de 58 millions d’euros. Sur la deuxième marche du podium des industriels bretons ayant capté la plus grande partie de cette manne financière, on trouve également l’armement finistérien La Houle, propriétaire de plusieurs chalutiers, qui a bénéficié de près de 3,9 millions d’euros pour détruire quatre de ses navires (5). Dans les mois précédant la mise en place de ce plan de subventionnement, ce même armement affichait en toute transparence dans la presse sa stratégie de renouvellement de flotte en prévision des aides publiques et en parfaite connaissance des règles interdisant durant cinq ans aux bénéficiaires des subventions du Brexit d’enregistrer ou d’armer de nouveaux navires. Une stratégie également assumée publiquement par la flotte d’Intermarché, la Scapêche (6).
Si ces aides Brexit ont effectivement permis d’envoyer à la casse une cinquantaine de chalutiers, elles n’ont pas permis pour autant d’amorcer la nécessaire transition sociale et écologique du secteur de la pêche : non seulement certains armements en ont contourné les règles pour investir dans de nouveaux navires, mais en plus, aucun véritable engagement n’a été pris par le gouvernement pour réallouer les quotas des navires détruits (7) aux navires pratiquant des méthodes plus durables que le chalutage.
Notre étude plaide pour une refonte totale de la gouvernance du secteur de la pêche, condamné à la ruine par un pilotage contraire aux intérêts des citoyens et des pêcheurs artisans français et caractérisé par la collusion entre l’État et une minorité d’acteurs industriels au modèle de pêche entièrement dépendant du chalutage et d’autres méthodes de pêche énergivores, destructrices, déficitaires et sous perfusion des subventions publiques.
(1) BLOOM (2021) Aides COVID : le favoritisme dévastateur du gouvernement français.
(2) Arrêté du 30 septembre 2022 relatif à la mise en œuvre d’un plan d’accompagnement individuel dans le cadre du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne
(3) Arrêté du 30 septembre 2022 relatif à la mise en œuvre d’un plan d’accompagnement individuel dans le cadre du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne
(4) Le Jean-Claude Coulon II, le Roselend et le Corail.
(5) L’Horizon, le Buccin, l’Ar Voaleden et le Jusant.
(6) Le Marin (2023) « La Scapêche est un armement hauturier et ambitionne de le rester »
(7) Suite à un plan de sortie de flotte, 70% des antériorités de quotas des navires démantelés sont affectés aux réserves des organisations de producteurs et 30% sont affectés à une réserve nationale gérée par la Direction générale des Affaires maritimes, de la Pêche et de l’Aquaculture (DGAMPA).
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