29 mars 2023
Pour garantir l’avenir de la pêche artisanale face au réchauffement climatique et à la dégradation sans précédent des écosystèmes marins, il devient indispensable d’organiser la transition écologique du secteur. Or, sans accompagnement, les mesures de préservation marine sont mal accueillies par les pêcheurs, qui se sentent à juste titre abandonnés par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, l’halieute Didier Gascuel publie un livre clé pour repenser de fond en comble la gestion des pêches et construire une « agroécologie de la mer ». Un ouvrage indispensable pour penser un avenir réellement durable des pêches européennes.
Didier Gascuel est professeur d’écologie marine. Il dirige de Pôle halieutique, mer et littoral de l’Institut Agro à Rennes et a été membre du Conseil scientifique des pêches de l’Union européenne de 2007 à 2022. Dans La pêchécologie, manifeste pour une pêche vraiment durable, il identifie les ruptures à opérer avec le productivisme et la pensée libérale, pour réconcilier conservation de la biodiversité et utilisation vraiment durable des ressources vivantes de la mer. La pêchécologie y est présentée dans ses dimensions écologiques, économiques et sociales, mais aussi culturelles, éthiques et sociétales.
L’halieute nous rappelle que la notion actuelle de pêche durable repose sur une « arnaque » : la gestion au « rendement maximum durable ». Ce concept a vu le jour dans les années 1950 et désigne la quantité maximale de poisson d’une population que l’on peut extraire année après année sans mettre en danger son renouvellement1Voir Henichart et al. (2011) Rendement maximal durable, concept et enjeux.. Les quotas de pêche sont calculés sur cette base productiviste, sans tenir compte ni des interactions entre espèces, ni des impacts sur les fonds marins, ni du fonctionnement de l’écosystème. « Lorsqu’une population de poissons voit son abondance divisée par cinq, il reste généralement assez de géniteurs pour en assurer le renouvellement. Et pourtant, cela ne peut pas être considéré comme durable à l’échelle de l’écosystème », explique Gascuel. Comparativement à une situation sans pêche, les quotas conduisent à diviser par trois l’abondance de chacune des espèces pêchées. C’est cela que les responsables politiques et professionnels appellent la pêche durable !
L’auteur révèle en outre que, pour la moitié des espèces de fond, les captures comportent plus de 40% de juvéniles, ce qui est en contradiction flagrante avec la réglementation européenne qui prévoit leur protection. Il prône une augmentation massive des maillages des engins de pêche et montre qu’il serait ainsi possible de pêcher tout autant qu’aujourd’hui, tout en multipliant par deux la quantité des poissons dans la mer en laissant les animaux marins, en particulier les grands poissons prédateurs, atteindre l’âge adulte.
L’enjeu de la pêchécologie n’est donc pas d’assurer simplement le renouvellement de chacune des populations marines soumises à la pêche. Un nombre de géniteurs faibles y suffit généralement. Mais bel et bien de retrouver des niveaux d’abondance que nous avons pour la plupart oubliés. Il nous faut remettre dans la mer une partie de ces vieux et gros poissons que nous avons fait disparaître.
Didier Gascuel
La pêchécologie implique également une révolution des engins de pêche. Deux types d’engins sont sur la sellette : la drague et le chalut de fond. Ce dernier, en particulier, détruit la faune et la flore marine sur des surfaces gigantesques et consomme de grandes quantités de carburant : un kilo de poissons pêché au chalut consomme 1 à 2 litres de gasoil et émet jusqu’à 6 ou 8 kg d’équivalent CO2, soit quatre à dix fois plus que des pêches au filet ou au casier. Pour mettre fin à la destruction des fonds marins et réduire drastiquement les émissions de CO2, il devient urgent d’engager un plan de déchalutisation progressive des pêches européennes : d’une réduction de 30% en 2030 à zéro en 2050. Dans le même temps, il est nécessaire de promouvoir la pêche douce avec des engins peu impactants et sélectifs.
Didier Gascuel consacre notamment un chapitre à la protection en « trompe-l’œil » des aires marines protégées françaises (AMP). Comme l’a dénoncé BLOOM dans plusieurs études et malgré les recommandations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), les méthodes de pêche destructrices comme le chalut ne sont pas interdites dans les AMP françaises. Contrairement à ce qu’a annoncé le Président Macron au One Ocean Summit à Brest en février 2022, la France ne protège pas « plus de 30% » de son territoire marin, mais uniquement 4%, dans des zones éloignées et peu fréquentées de l’Océan austral. En France métropolitaine, 47% de la pêche industrielle a lieu dans des aires marines supposément protégées.
notre pétition pour des aires marines vraiment protégées
L’auteur remarque ainsi qu’il existe « un décalage complet entre un discours triomphant sur l’extension des AMP, que le grand public imagine être des réserves, et une réalité de terrain marquée par la faiblesse de réelles mesures de protection. » Ce problème tire sa source de la politique du chiffre du gouvernement, ayant placé des AMP dans des espaces qu’il ne comptait pas protéger, tout cela afin d’atteindre des statistiques de protection vides de sens. Dans ces conditions, l’impact des AMP pour la protection de la biodiversité et des écosystèmes marins est insignifiant, car seules les zones bénéficiant d’une protection totale ou très élevée ont un impact écologique significatif.
La pêchécologie ne s’intéresse pas qu’aux poissons et aux écosystèmes. Aux yeux de l’auteur, elle est aussi une pêche au service des sociétés humaines et des territoires côtiers, une pêche qui cherche en permanence à maximiser l’utilité économique et sociale de chacun des poissons que la nature peut nous fournir durablement. C’est une pêche qui privilégie la petite pêche partout où cela est possible, et notamment dans la zone côtière. L’essai propose des solutions concrètes et des méthodes de transition. Il identifie finalement 32 critères pour une pêche vraiment durable. Economie circulaire, bien-être animal, lien au territoire, rémunération, respects des avis scientifiques… Une boite à idées pour penser les priorités au cas par cas et faire muter le système pêche.
Avec cet ouvrage, Didier Gascuel nous montre qu’une autre pêche est possible pour le bien-être des sociétés humaines sur le long terme. Une pêche respectueuse de la nature, qui tend vers « la cueillette des plus beaux fruits dans le jardin d’Eden ». Une formidable lueur d’espoir et un appel à l’action pour tous les amoureux de la mer.
La pêchécologie, manifeste pour une pêche vraiment durable, Didier Gascuel, éditions Quae, 96 pages, disponible en librairie ou sur le site de l’éditeur.
24 mars 2023
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16 février 2023
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21 février 2023
Deux ans.
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