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06 décembre 2023

La Nouvelle-Calédonie donne une leçon de protection marine au gouvernement français

A la veille de l’année 2024, décrétée « Année de la mer » par la Présidence de la République, la bonne nouvelle pour l’océan nous vient de Nouvelle-Calédonie, qui a récemment annoncé la création de 105 000 km2 de nouvelles réserves de « protection stricte ». La Nouvelle-Calédonie montre au gouvernement français comment créer de véritables aires marines protégées (AMP) qui excluent la pêche et sont alignées sur les recommandations des scientifiques. Cette annonce hisse la couverture de la « protection stricte » en Nouvelle-Calédonie à 10% de ses eaux, alors que ce chiffre est proche de 0% en France métropolitaine.

BLOOM publie aujourd’hui une analyse portant sur le parc naturel de la mer de Corail en Nouvelle-Calédonie, la seconde plus grande aire marine protégée (AMP) de France.

L’imposture de la « protection forte à la française »

La France s’érige régulièrement en championne de la défense de l’océan sur la scène internationale, clamant avoir déjà fait sa part de l’objectif international de protection de l’océan, à savoir la création d’aires marines protégées sur 30% de sa surface marine d’ici 2030, dont un tiers en protection dite « stricte ».

Or aucune des catégories d’aires marines protégées de France métropolitaine ne correspond aux critères internationaux définis par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Selon les standards internationaux, la pêche industrielle doit être interdite dans toutes les aires marines protégées. Les aires marines protégées sous protection stricte, elles, interdisent toutes les activités humaines.

Profitant d’un régime juridique kafkaïen qui n’établit aucune interdiction de la pêche industrielle de facto dans les eaux métropolitaines, la protection stricte ne dépasse pas 0,1% autour de l’Hexagone. Les zones de protection stricte de la Nouvelle-Calédonie permettent ainsi à la France dans son ensemble de hisser son pourcentage de protection stricte à 5%. Cependant, ce chiffre provient de manière quasi exclusive d’aires marines protégées situées dans des zones inhabitées et globalement inexploitées des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et de Nouvelle-Calédonie, avec des tracés qui évitent méticuleusement la trajectoire des quelques navires industriels qui y opèrent (1), (2). 

La Nouvelle-Calédonie donne l’exemple avec ses nouvelles réserves marines

La Nouvelle-Calédonie, en disposant de statuts de protection stricte alignés sur les standards fixés par l’UICN et en mettant 10% de ses eaux sous ces statuts, donne une leçon de protection de l’océan au gouvernement français et propose un modèle de protection qui pourrait être reproduit en France métropolitaine.

Les enjeux de conservation de la biodiversité en Nouvelle-Calédonie sont majeurs, étant donné que cette zone abrite des écosystèmes marins isolés parmi les plus préservés sur Terre. Depuis 2014, l’intégralité des eaux de la Nouvelle-Calédonie est couverte par le parc naturel de la mer de Corail. Ainsi, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a pris des mesures fortes pour limiter les impacts de la pêche industrielle, en interdisant dans tout son territoire marin les arts traînants (chalut, la senne, la drague de pêche, ou encore les lignes de traîne).

Le 19 octobre 2023, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a voté pour étendre la protection stricte de 2,4% à 10% de ses eaux, soit 105 000 km² de nouvelles réserves (contre 94 km² pour les eaux métropolitaines). Cette extension est une excellente nouvelle car cela signifie qu’aucune activité humaine ne sera autorisée dans des espaces qui abritent des écosystèmes vulnérables et des espèces menacées tels que les oiseaux marins ou les mammifères comme le requin, la raie manta ou le thon obèse.

Cela contraste drastiquement avec la position du Secrétaire d’État à la Mer Hervé Berville, qui a annoncé en mars dernier que le gouvernement Français était « totalement, clairement, et fermement » opposé à l’interdiction des engins de fond dans les aires marines protégées.

Prévenir plutôt que guérir : une stratégie avec ses limites

La protection de vastes espaces vierges ou presque a un clair intérêt préventif pour les futures générations, mettant de fait « sous cloche » ces espaces préservés, mais elle ne permet aucunement la restauration des écosystèmes dégradés. Placer les seules aires marines protégées répondant au critère minimal d’interdiction de la pêche industrielle dans les territoires ultra-marins, dans des zones où la pression de la pêche industrielle est faible, permet une victoire politique facile pour le gouvernement. Il peut ainsi affirmer atteindre les objectifs de chiffre tout en ne dérangeant aucun intérêt industriel et en évitant toute démarche de conservation marine.

Pourtant la protection « stricte », qui interdit toute activité humaine, y compris la pêche artisanale, est la plus efficace pour protéger la biodiversité marine. Dans ces aires, la biomasse des poissons est en moyenne 670% plus importante que dans les eaux non protégées environnantes. Cela crée un phénomène de débordement où les populations marines se répandent en dehors de ces zones. Les véritables aires marines protégées permettent alors le rétablissement des populations et des écosystèmes et donc assurent une pêche durable pour les décennies à venir (4). Malgré le diagnostic scientifique d’urgence biologique et climatique et l’ordonnance médicale prescrite pour y remédier (la création d’aires marines véritablement protégées), l’Hexagone n’est absolument pas à la hauteur : à l’exception de quelques rares confettis de zones protégées, l’espace maritime sous protection « stricte » y est proche de 0%. La quantification exacte de la protection réelle est de 0,005% sur les façades de l’Atlantique, de la Manche et de la Mer du Nord et de 0,094% en Méditerranée. Cela est d’autant plus regrettable que les eaux métropolitaines sont celles qui subissent la vaste majorité des impacts humains.

Réellement protéger ses eaux, c’est possible

Notre bilan révèle que les nouvelles réserves établies en Nouvelle-Calédonie répondent aux critères de l’UICN sur la protection stricte, respectivement à la catégorie « Ia » pour les réserves intégrales et « II » pour les réserves naturelles. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie montre ici la voie en disposant de deux statuts juridiques de protection stricte réellement efficaces – à l’inverse de la dizaine de statuts de protection qui s’appliquent en France métropolitaine, et dont aucun n’est aligné avec les standards de l’UICN. Ainsi, les statuts correspondants à la protection « forte » d’Emmanuel Macron pourraient être substitués par ces statuts de protection stricte qui excluent, par définition, la pêche.

A l’approche de l’ »Année de la mer » en 2024 et un peu plus d’un an avant la Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) à Nice, BLOOM appelle le gouvernement français à s’aligner avec le cadre fourni par l’UICN et les objectifs de la Commission européenne, qui engagent les États membres de l’UE à protéger strictement 10% de leurs eaux à horizon 2030, de manière représentative et cohérente de toutes les façades et de tous les écosystèmes marins. 

NOTES

(1) Claudet et al. (2021), disponible à : https://doi.org/10.1016/j.marpol.2020.104379  

(2) Voir notre rapport « Ambition zéro », disponible à : https://BLOOMassociation.org/ambition-zero-une-nouvelle-analyse-de-la-politique-de-protection-marine-de-la-france/

(3) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/02/11/les-engagements-de-brest-pour-locean  

(4) Sala et al. (2021), disponible à : https://doi.org/10.1038/s41586-021-03371-z  

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