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10 mai 2025

Fausse protection et vrai chalutage : les aires marines dites “protégées” toujours bulldozées

En mars 2024, BLOOM publiait un rapport scientifique majeur (1) analysant le temps de pêche de l’ensemble des chalutiers de plus de 15 mètres opérant dans les aires marines dites “protégées” de l’Union européenne en 2023. Elle démontrait que les méthodes de pêche les plus destructrices, tel que le chalutage de fond, sévissaient quotidiennement dans ces zones supposément “protégées”. Un an plus tard, à quelques semaines de la publication officielle du Pacte européen pour les océans (2) et à environ un mois de la Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC) accueillie par la France, le constat reste sombre puisque l’intensité de pêche au chalut reste dramatiquement plus élevée à l’intérieur des aires marines dites « protégées » qu’à l’extérieur : elle y était 1,4 fois plus forte en 2023 et ce ratio demeure inchangé en 2024.  

Ce constat s’inscrit dans un contexte plus grave : en premier lieu, celui du renoncement — récemment réitéré par le Commissaire européen chargé de la Pêche et des Océans, Kostas Kadis, de la Ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher et du Président de la République — à mettre en place une véritable politique de protection marine et en prônant une protection au “cas par cas”, concept qui va l’encontre de toutes les recommandations scientifiques. En second lieu dans le contexte de la publication du Pacte européen pour l’océan, qui, loin d’apporter des réponses concrètes aux terribles crises que nous traversons, fait fi de l’urgence environnementale et trahit les engagements de l’UE en matière de protection en ne portant aucune mesure concernant les aires marines protégées. À rebours des recommandations scientifiques et des objectifs internationaux et européens visant à atteindre 30% d’aires marines protégées d’ici 2030, interdisant toute activité et infrastructure industrielle, dont un tiers sous protection stricte, les exécutifs européen et français défendent une approche “au cas par cas” et proposent de maintenir le statu quo destructeur de la pêche industrielle. 

Pourtant, un sondage réalisé par IPSOS pour BLOOM en décembre 2024 révèle que 74% des Français considèrent que le chalutage et les pêches industrielles devraient être interdites dans les aires marines protégées, tandis que seulement 19% se montrent favorables à une approche au cas par cas.  

Des aires marines dites “protégées” détruites par le chalutage

Alors que les aires marines protégées couvrent 11,4% des eaux nationales de l’Union européenne, 86% d’entre elles ne sont pas efficaces, voire incompatible avec les objectifs de conservation, car elles autorisent des activités industrielles. En effet, la prétendue mise en œuvre d’aires marines dites “protégées” est un leurre puisque le chalutage, pourtant considérée comme l’une des techniques de pêche les plus destructrices, y est autorisé.  

BLOOM a mis à jour les principaux chiffres de son étude Bulldozées publiée en mars 2024 et le constat est terrible : les chalutiers continuent d’opérer dans la majorité des aires marines dites “protégées” en Europe. Ainsi, environ un quart (27.1% en 2024 contre 26,7% en 2023) de l’effort de pêche au chalut en Europe se déroule toujours à l’intérieur des aires marines supposées “protégées”. Dans les zones censées être « protégées », l’activité de chalutage (de fond comme pélagique) reste plus intense qu’à l’extérieur. Cette intensité — mesurée en heures de chalutage par kilomètre carré — atteint des niveaux particulièrement préoccupants : en 2023, elle était 1,4 fois plus élevée à l’intérieur des aires marines dites “protégées” que dans les zones non protégées. En 2024, ce déséquilibre persiste, un résultat identique à celui d’une étude précédente portant sur les AMP européennes publiée en 2017 dans la prestigieuse revue Science. Autrement dit, alors même que l’urgence d’agir pour la biodiversité et le climat est plus pressante que jamais, que la société civile et les scientifiques ont alerté sur cette destruction massive des écosystèmes, la pression exercée sur les écosystèmes marins reste inchangée. 

Effort de pêche au chalut dans les AMP européennes en 2024

La surface totale râclée par le chalutage de fond dans les AMP est ainsi de 288 136 km2 dans l’Union européenne en 2024, soit presque à la surface de l’Italie. Mais cet effort de pêche n’est pas distribué de façon homogène : en 2024, quatre pays — l’Espagne, la France qui conserve sa triste médaille d’argent, les Pays-Bas et l’Italie — comptabilisent le plus grand nombre d’heures de chalutage dans leurs aires marines “protégées”.  

En France, ce sont plus de 300 000 heures de chalutage qui ont eu lieu dans les aires marines supposément “protégées” en 2024 : 40% du temps de la pêche au chalut de fond et pélagique en France, se déroule dans ces zones qui devraient être des sanctuaires pour la biodiversité et la pêche artisanale. La prétendue AMP du Talus du Golfe de Gascogne comptabilise à elle seule près de 120 763 heures de pêche au chalut en 2024. 

Classement des 40 pays avec le plus grand nombre d’heures de pêche dans les AMP en 2024

Cette pression est également exercée par les méga-chalutiers pélagiques, des navires usines pouvant mesurer jusqu’à 145 mètres, capturer 400 tonnes de poissons par jour, soit autant que 1 000 navires de pêche artisanale en une journée. Parmi les navires de plus de 80 mètres recensés dans la mise à jour de notre analyse, 69% ont pêché au moins 10 heures dans une aire marine dite “protégée” européenne en 20241Sur les 17 navires recensés, 12 ont pêché au moins 10 heures dans une aire marine censée être “protégée” . Par exemple, le Frank Bonefaas, véritable bulldozer des mers de 119 mètres de long, a passé environ 123 heures à pêcher dans les AMP (soit 19% de son effort de pêche). Le Prins Bernhard, un méga-chalutier de 88 mètres de long, a lui passé près de 113 heures à pêcher dans les aires marines censées être “protégées”.  

Temps de pêche des mégachalutiers en UE (> 80m) et pourcentage de temps passé dans les AMP européennes en 2024 : en jaune, la part du temps de pêche passé en AMP.

Ainsi, les zones désignées pour la protection de la biodiversité ne protègent ni les écosystèmes marins, ni la pêche artisanale des plus grands navires de pêches industrielle, dont l’impact sur l’océan, le climat et les pêcheurs artisans est pourtant catastrophique. 

Une réalité en décalage avec les recommandations scientifiques et les annonces politiques

Les experts pour des panels intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC) et de la biodiversité (IPBES) soulignent l’importance de développer un réseau cohérent d’aires marines protégées pour lutter contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, dont la principale cause est la pêche industrielle. En 2020, l’Union européenne a ainsi adopté sa Stratégie en faveur de la biodiversité fixant l’objectif d’atteindre 30% d’aires marines protégées d’ici 2030, dont un tiers sous protection stricte. Les recommandations de l’Union internationale pour la protection de la nature (UICN) insistent sur la nécessité d’interdire toute activité et infrastructure industrielle, y compris la pêche industrielle, dans ces zones. 

L’urgence de protéger immédiatement

 Ces nouveaux chiffres soulignent une nouvelle fois l’écart immense entre les chiffres de protection déclarées par les gouvernements européens et la réalité. Dans ces conditions, les AMP ne remplissent pas leur rôle primordial de protection et de restauration des écosystèmes marins et de conservation du puits de carbone océanique. De plus, en l’état, les pêcheurs artisans ne peut pas bénéficier des avantages socio-économiques et écologiques résultant de véritables AMP, puisqu’ils font face à la concurrence déloyale des chaluts de fond et pélagique, qui, dans le cas de la France, sont responsables de la pêche de 88% des ressources surexploitées. 

À quelques semaines des annonces attendues dans le cadre du Pacte européen pour les océans et la Conférence des Nations Unies pour l’océan, nous appelons les décideurs politiques à prendre leurs responsabilités et à être à la hauteur de l’urgence en mettant en œuvre, dès maintenant, de vraies aires marines protégées sans chalutage. 

 


 

 Modification méthodologique

Cette mise à jour des chiffres de l’étude Bulldozées en 2024 a permis d’identifier un comportement de navires identifiés par Global Fishing Watch comme de la pêche, comportement qui est en réalité une activité de passage pour sortir du port : ainsi l’aire marine protégée de Tatihou à Saint-Vaast-la-Hougue, en Normandie, ressortait en 2023 comme l’AMP française avec la plus forte intensité de pêche au chalut, soit le nombre d’heures de chalutage par kilomètre carré, mais cette donnée est désormais corrigée. 


(1) Lire le rapport « Bulldozées »

(2) Pacte européen pour les océans

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