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08 juin 2022

BLOOM s’oppose à un décret révélateur du cynisme écologique d’Emmanuel Macron

Paris, le 8 juin 2022 – Journée mondiale de l’océan. BLOOM engage, en cette journée mondiale de l’océan, une procédure contre un décret gouvernemental dangereux pour la biodiversité marine et le climat.

Discrètement publié dans la saturation médiatique du lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, le décret trahit les intentions fermement anti-écologiques du projet d’Emmanuel Macron.

Paru le 12 avril 2022 au Journal officiel, ce décret[1] amoindrit la définition des zones de « protection forte » qui s’appliquera aux aires marines dites « protégées », de façon à pouvoir atteindre les chiffres de protection annoncés par Emmanuel Macron dès 2019, mais sans avoir à protéger l’océan.  Tel qu’il est rédigé,[2] le texte prévoit un « évitement » ou une « limitation significative » des activités humaines impactantes et non pas leur interdiction catégorique comme elles devraient l’être dans n’importe quelle aire dite « protégée » d’après les standards internationaux.[3] Autrement dit, le décret autorise bel et bien les activités destructrices dans les zones de « protection forte », alors que celles-ci devraient interdire toute activité humaine, pas seulement les plus destructrices.

Une destruction même du concept d’aire marine protégée

Ce décret détruit le concept même d’aire marine protégée puisque la France appelle déjà dans un mensonge assumé « aire marine protégée » une zone où aucune activité destructrice n’est interdite. Or les classifications proposées par la communauté internationale pour les aires marines protégées sont d’une limpidité totale : d’après l’UICN [4], une « aire marine protégée » ne peut pas être considérée comme « protégée » si des activités extractives industrielles (y compris les pêches) y sont conduites ou des infrastructures industrielles développées.[5] Une aire marine protégée au sens large interdit donc les activités industrielles mais permet la pêche artisanale. Alors que la protection « intégrale », qui se définit ainsi : « Aucune activité extractive ou destructrice n’est autorisée ; tous les impacts sont minimisés »[6] interdit toutes les activités humaines, y compris la pêche artisanale.  

Ce que la France appelle, en l’amoindrissant dans ce décret, une « protection forte » devrait en fait correspondre à une définition s’appliquant à l’ensemble des aires marines protégées, tandis que la « protection forte » telle que promise par le Président qui avait évoqué des aires marines « en pleine naturalité » devrait correspondre à de la protection « intégrale ».  

Cet imbroglio technique résulte d’une stratégie savamment pensée – et désormais bien identifiée – permettant au Président de la République de passer pour un champion de l’écologie auprès des médias et de la communauté internationale sans avoir à contrarier le moins du monde les intérêts constitués des lobbies industriels. Ce texte n’est évidemment pas le fruit du hasard : en reconstruisant sa genèse, on comprend le calcul cynique du gouvernement Macron.  

Le cynisme écologique d’Emmanuel Macron

La chronologie des faits est saisissante : dès 2019, le Président de la République annonce officiellement des objectifs ambitieux de protection de l’océan, rendus nécessaires par la double crise de la biodiversité et du climat : aux ‘Assises de la mer’ en décembre 2019,[7] puis de nouveau au Congrès mondial de la nature de l’UICN, accueilli en septembre 2021 par la France à Marseille, Emmanuel Macron déclare avoir « pris l’engagement au printemps 2019 d’avoir 30% de protection et 10% de protection forte. »[8]   

Ces objectifs chiffrés[9], largement diffusés et applaudis, font d’Emmanuel Macron un champion de la conservation de la nature sur la scène nationale et internationale. C’est la première étape de l’imposture.  

Le 11 février 2022, en clôture du « One Ocean Summit » organisé à Brest, le Président Emmanuel Macron annonce que la France va « doubler ses aires de protection forte » en les faisant « passer de 2 à 4% ». Il ajoute « qu’on est sur le bon chemin pour atteindre nos 10% à horizon 2030. »[10]  

Le Président peut se permettre cette annonce car d’une part, les aires nouvellement protégées sont désignées dans les eaux australes françaises là où très peu d’activités de pêche ont lieu et surtout, Emmanuel Macron sait qu’un décret vidant de sa substance la notion de « protection forte » est non seulement déjà rédigé, mais sa consultation publique est même déjà close depuis exactement une semaine, le 5 février 2022.[11]

Ce décret révèle deux choses : d’une part, que le gouvernement français n’a pas la moindre intention de protéger l’océan des activités industrielles, comme le dicte pourtant la définition d’une « aire marine protégée » selon l’UICN, pas même sur une portion réduite à 10% des eaux françaises ; et d’autre part, que le gouvernement ne se contente pas d’« inaction » environnementale. Au contraire, en matière d’écologie, le projet du gouvernement Macron, infiniment cynique, est méticuleusement pensé et orchestré : il s’agit de mentir méthodiquement pour masquer le parti-pris résolu en faveur des industries extractives destructrices contre celui des citoyens et de la planète.

Un enjeu majeur pour le climat, la biodiversité et l’avenir de la petite pêche artisanale

L’enjeu est pourtant de taille car il s’agit aujourd’hui de définir la norme qui va servir de référence pour la gestion des aires marines protégées à l’avenir et donc fixer le curseur de notre ambition pour restaurer la santé de l’océan et de la petite pêche artisanale française, détruite par des décennies de concurrence déloyale avec les pêches industrielles. 

Ce décret intervient au moment où le GIEC et l’IPBES nous enjoignent à des actions fortes, déterminées et immédiates pour protéger le climat, les habitats naturels et les espèces vivantes et au moment où les États parties contractantes de la Convention sur la diversité biologique sont en phase de révision à la hausse des objectifs de protection de la nature pour que 30% de l’océan soit protégé d’ici 2030, comme le recommande l’UICN.[12]  

La Présidence française a promis l’excellence écologique mais orchestre un statu quo climaticide. Il est temps de joindre les actes à la parole pour que la stratégie nationale des aires marines protégées remplisse ses objectifs, cités dans le Code de l’environnement : « la protection de l’environnement et des paysages, […] la préservation et la reconquête de la biodiversité, […] la prévention et à l’atténuation des effets du dérèglement climatique ainsi qu’à la valorisation du patrimoine naturel et culturel des territoires. »  

Pour l’ensemble des raisons évoquées ci-dessus, BLOOM dépose aujourd’hui, avec le concours du cabinet d’avocats TTLA, un recours gracieux demandant au gouvernement de M. Macron de retirer ce décret, qui en l’état actuel, représente une menace grave et immédiate pour l’océan et le climat, rend inopérant le concept même de protection marine et amoindrit l’ambition écologique internationale pour l’océan en créant une définition juridique dans laquelle les industries extractives pourront s’engouffrer pour poursuivre leurs activités bio-climaticides dans les zones supposément protégées.  

BLOOM demande au gouvernement d’adopter une définition claire des niveaux de protection marine en s’alignant sur les standards internationaux, notamment les recommandations scientifiques du Guide des Aires marines protégées :[13].  

  1. Une « aire marine protégée » interdit toute activité extractive ou infrastructure industrielle (y compris les pêches).[14] Cette définition correspond à la catégorie de « protection forte » selon les recommandations scientifiques : « Seules les activités extractives légères sont autorisées avec un faible impact total, tous les autres impacts pouvant être réduits étant minimisés ».[15] Les ligne directrices scientifiques précisent donc que la « protection « forte » autorise certaines activités de recherche ou de pêche artisanale si elles sont peu nombreuses et si la méthode a un faible impact.[16] La définition scientifique de la « protection forte » devrait déjà s’appliquer aux 30% des aires marines dites « protégées » de notre ZEE. Ce que la France nomme « protection » devrait correspondre à la « protection forte » des recommandations scientifiques.
  2. Une aire marine « intégralement » protégée interdit toute activité extractive ou destructrice.[17] Cette catégorie ne permet aucun prélèvement et devrait s’appliquer aux 10% des aires marines que le gouvernement a promis de classer « en pleine naturalité » : une promesse dont il tente aujourd’hui de se défaire. Ce que le gouvernement d’Emmanuel Macron accomplit aussi, en nivelant vers le bas l’ensemble de la définition des aires protégées, c’est de faire disparaître le concept de « protection intégrale », les zones dites de « no-take » qui sont pourtant celles qui permettent le rétablissement le plus spectaculaire de la biodiversité et des habitats marins et sont évaluées comme les plus efficaces par les scientifiques.  

Ce que la France nomme « protection forte » devrait correspondre à la « protection intégrale ».  

Ce n’est qu’en adoptant les classifications proposées par la communauté scientifique que le gouvernement pourra doter les aires marines protégées de standards de protection aptes à rendre ces outils de gestion efficaces pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique. Par la taille de sa zone économique exclusive, la France est la deuxième puissance maritime mondiale, après les États-Unis. A l’heure de l’effondrement du vivant et du climat, contrôler une telle surface maritime oblige. Les citoyens sont en droit d’obtenir une réponse claire, rapide et ambitieuse sur cette question cruciale pour l’avenir du climat, de la biodiversité et de la pêche artisanale.  

Pour en savoir plus :  

  • Le groupe LREM au Parlement européen s’est récemment opposé à une mesure élémentaire de protection des aires marines dites « protégées » en mettant sur pied une stratégie politique victorieuse visant à empêcher le vote d’un amendement proposant l’interdiction du chalutage de fond (l’une des techniques de pêche les plus destructrices) dans les aires protégées. Voir l’article de décryptage de BLOOM.
  • Au niveau international, la protection des océans a fait un bond en avant lors de la 10ème Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique à Nagoya en 2010.[18] Les États ont adopté les objectifs d’Aichi les engageant à protéger 10% des mers et océans d’ici 2020. Ces objectifs sont en cours de révision à la hausse pour atteindre la protection de 30% des mers et océans d’ici 2030 comme le recommande l’Union internationale pour la conservation de la nature (UCIN).[19] Ces nouvelles cibles chiffrées devraient être adoptées au cours de la 15ème conférence des parties de la CDB.
  • Le 14 novembre 2019, Elisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, avait affirmé engager la France dans la création d’« un réseau d’aires marines protégées sur 30% de nos espaces dont un tiers sous protection forte ».

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Références

[1] Décret n°2022-527 du 12 avril 2022 pris en application de l’article L. 110-4 du code de l’environnement et définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de cette protection forte.

[2] Le décret dispose, dans un jargon inintelligible (les problèmes de syntaxe de la rédaction ne sont pas liés à une erreur de copié-collé de notre part. C’est bien ainsi qu’est formulé le décret.) qu’une zone de protection forte “est une zone géographique dans laquelle les pressions engendrées par les activités humaines susceptibles de compromettre, la conservation des enjeux écologiques de cet espace sont évitées, supprimées ou significativement limitées, et ce de manière pérenne, grâce à la mise en œuvre d’une protection foncière ou d’une réglementation adaptée, associée à un contrôle effectif des activités concernées”.

[3] Kirsten Grorud-Colvert et al., «The MPA Guide: A framework to achieve global goals for the ocean», Science373, no6560 (septembre 2021), https://doi.org/10.1126/science.abf0861; Bárbara Horta e Costa et al., «A Regulation-Based Classification System for Marine Protected Areas (MPAs)», Marine Policy72 (octobre 2016): 192‑98, https://doi.org/10.1016/j.marpol.2016.06.021; UICN Comité français, «Les zones de protection forte en mer, état des lieux et recommandations», 2021; European Commission, «Criteria and Guidance for Protected Areas Designations -Staff Working Document».

[4] Résolution WCC-2016-Res-050-FR alinéa 2: «ENCOURAGE les États et les organismes gouvernementaux Membres de l’UICN à désigner et à intégrer au moins 30% de chaque habitat marin dans un réseau d’AMP entièrement protégées ou d’autres mesures efficaces de conservation sur une zone donnée, le but ultime étant de créer un océan réellement durable dont au moins 30% de la superficie n’accueillera aucune activité extractive, sous réserve des droits des populations autochtones et des communautés locales».

[5] Cette définition est issue des recommandations de l’UICN, ainsi que des lignes directrices permettant leur l’application. “The World Conservation Congress […] CALLS ON governments to prohibit environmentally damaging industrial activities and infrastructure development in all IUCN categories of protected area”. IUCN Resolutions, Recommendations and other Decisions World Conservation Congress Honolulu, Hawaii, United States of America, 6–10 September 2016», septembre 2016.

[6] MPA Guide

[7]«J’ai fixé l’objectif d’atteindre 30% d’espaces maritimes protégés, dont un tiers en pleine naturalité d’ici 2022.»

[8] Emmanuel Macron, «Discours de M. Emmanuel Macron à l’occasion du Congrès mondial pour la Nature de l’UICN à Marseille», septembre 2021.

[9] Ces objectifs sont entérinés par la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 «portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets» -voir Art. 227 (article L.110-4 du Code de l’environnement).

[10] Emmanuel Macron, «Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la préservation de l’Océan mondial, à Brest le 11 février 2022», vie-publique.fr, 11 février 2022.

[11] Ministère de la transition écologique, «Projet de décret pris en application de l’article L. 110-4 du code de l’environnement et définissant la notion de protection forte et les modalités de la mise en œuvre de cette protection forte», 14 janvier 2022.

[12] UICN, «WCC-2016-Res-050-FR Accroître l’étendue des aires marines protégées pour assurer l’efficacité de la conservation de la biodiversité».

[13] Grorud-Colvert et al., «The MPA Guide».

[14]Cette définition est issue des recommandations de l’UICN, ainsi que des lignes directrices permettant l’application des normes mondiales de l’UICN. “The World Conservation Congress […] CALLS ON governments to prohibit environmentally damaging industrial activities and infrastructure development in all IUCN categories of protected area”. IUCN Resolutions, Recommendations and other Decisions World Conservation Congress Honolulu, Hawaii, United States of America, 6–10 September 2016», septembre 2016.

[15] Recommandations scientifiques du Guide des Aires marines protégéesGrorud-Colvert et al., «The MPA Guide».

[16] La definition précise : «only infrequent use of a few selective and low-impact gear types. Examples of gears include cast nets, intertidal hand capture, single lines, spearfishing (free diving only), traps (lobster, octopus, crab), fish traps (over soft bottom habitat), hand dredges for bivalves, and low-impact traditional extraction. There may only be up to 5 of these types of gears in use in the MPA, and the “same” fishing gear may count up to three times if used commercially, recreationally, and for cultural reasons (i.e., as three different gear types).»

[17] MPA Guide.

[18] COP10 de la Convention pour la Diversité Biologique, «Décision adoptée par la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique à sa dixième réunion», 2010.

[19] UICN, «WCC-2016-Res-050-FR Accroître l’étendue des aires marines protégées pour assurer l’efficacité de la conservation de la biodiversité», consulté le 25 mai 2022.

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