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29 mai 2024

Au-delà du Traité sur la haute mer, mettre fin à l’hypocrisie

L’Assemblée nationale vient de voter à l’unanimité en faveur de la ratification du Traité des Nations unies sur la haute mer. Si la volonté de ratifier ce traité visant à redonner du souffle à l’océan est une bonne nouvelle, elle met également en lumière l’hypocrisie du gouvernement, si désireux de protéger la haute mer, mais aveugle aux ravages causés par la pêche industrielle dans les eaux françaises et européennes. Une situation dénoncée avec vigueur par de nombreux parlementaires, alors que la France accueillera dans un an à Nice la conférence des Nations unies sur l’océan.  

Espérant briller lors de la conférence des Nations unies sur l’océan qui se tiendra à Nice en juin 2025, le gouvernement s’est fixé l’objectif d’être le premier pays européen à adopter le traité sur la haute mer1Connu aussi sous l’acronyme anglais BBNJ (Biodiversity beyond national jurisdiction), le traité repose sur trois axes principaux : la création d’aires marines protégées (AMP), la mise en œuvre d’études d’impact obligatoires préalables à toute activité humaine, et l’accès aux ressources génétiques selon un partage juste et équitable. , avec pour objectif que « d’ici à mi-juillet, il soit passé dans les deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat », selon le Secrétaire d’État chargé à la Mer Hervé Berville.  

Englobant toutes les eaux en dehors des zones économiques exclusives (ZEE), c’est-à-dire au-delà de des eaux à plus de 370km des côtes, qui sont sous souveraineté nationale, la haute mer représente 45% de la surface du globe et 2/3 de la surface de l’océan. Alors que celui-ci représente le premier poumon de notre planète, constitue un puits de carbone essentiel et joue un rôle majeur dans la régulation du climat, ce traité constitue une opportunité inédite pour protéger des écosystèmes vulnérables situés dans les eaux internationales.  

La pêche industrielle continue de ravager les eaux françaises 

Lors du passage du texte en plénière à l’Assemblée, le secrétaire d’État à la mer Hervé Berville a reconnu lui-même la nécessité de protéger l’océan en mettant en place de vraies aires marines protégées (AMP), soulignant que celles-ci « font partie des outils les plus efficaces à notre disposition pour permettre à l’océan et à ses écosystèmes de se régénérer, d’être plus résilient et de jouer son rôle de régulateur du climat ».  

Pourtant, loin de mettre en place de vraies AMP dans ses eaux, la France continue de promouvoir des coquilles vides qui n’ont rien de protégées, laissant la porte ouverte à toutes les activités les plus destructrices, à commencer par la pêche industrielle, reconnue par l’IPBES2Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques comme la première cause de destruction de la biodiversité marine.  

La situation est ubuesque : en effet la pêche industrielle se déroule majoritairement dans les eaux nationales : en 2019, 96% du volume débarqué provenait des eaux sous souveraineté nationale, contre 4% en provenance de la haute mer. Concernant le chalutage de fond, technique particulièrement destructrice pour les écosystèmes marins qui consiste à tracter de lourds filets sur les fonds, ce sont quelque 99% des prises qui sont faites dans les eaux nationales.  

Légende : L’intensité lumineuse en turquoise et orange indique l’intensité de l’effort de pêche. Source : Global Fishing Watch 

La protection « à la française » ne dupe plus personne 

Alors qu’Hervé Berville rappelle que « ce qui se passe à 3 000 km de nous a en réalité un impact sur notre littoral », le gouvernement fait la sourde oreille sur l’urgence à protéger nos eaux et nos littoraux, pourtant intensément chalutés. Qui plus est, la France s’appuie sur la nécessité de mettre fin au « far west » opérant en haute mer, alors même que la situation de la pêche dans les eaux nationales n’est guère plus glorieuse : opacité des attributions de quotas de pêche, violation du droit européen en Méditerranée, effondrement du secteur de la pêche artisanale, concurrence déloyale entre pêche artisanale et pêche industrielle sont autant de dossiers sur lesquels la France continue de fermer les yeux, à rebours de l’urgence écologique et sociale. 

Le tout alors que la France n’a toujours pas publié sa feuille de route en réponse au « Plan d’action pour l’océan » de la Commission européenne, qu’elle perpétue un système kafkaïen sur les régimes d’AMP dont aucun ne respecte pleinement les standards de l’UICN3UICN : Union internationale pour la conservation de la nature, que le Talus du Golfe de Gascogne est l’aire marine « protégée » la plus chalutée d’Europe et que 260 chercheurs spécialistes des sciences de l’océan alertent sur la « défiance grandissante qui s’installe dans la communauté scientifique » vis-à-vis de l’inaction du gouvernement en matière d’écologie.  

Mais face à cette hypocrisie et ce double discours que nous dénonçons sans relâche, l’exigence portée par les scientifiques et les citoyens de mettre en place de véritables aires marines protégées a fait son entrée à l’Assemblée nationale. Un an après avoir expliqué au Sénat être “totalement, clairement, et fermement” opposé à l’interdiction des arts traînants dans les aires marines protégées, Hervé Berville est en train de changer son fusil d’épaule, et a affirmé sous la pression des parlementaires qu’il n’a jamais été opposé à une telle interdiction.  

L’hypocrisie de la protection « à la française » dénoncée par les députés  

De nombreux députés ont pris la parole pour dénoncer cette politique de protection « à la française » qui a pour seul objectif de protéger le lobby de la pêche industrielle.  Nicolas Thierry, du groupe des Écologistes, a exposé l’hypocrisie française avec une grande clarté : 

« Ce texte sur la haute mer ne doit pas faire oublier la responsabilité qu’est la nôtre en matière de protection des eaux sous notre souveraineté nationale. Si la protection de la haute mer est nécessaire, elle n’est évidemment pas suffisante sans une action résolue pour préserver nos eaux françaises. 

(…) Nous nous interrogeons sur l’écart entre la ferveur du gouvernement à protéger la lointaine haute mer et le laxisme déconcertant en ce qui concerne les eaux sous souveraineté à nationale. Nos AMP n’ont malheureusement aujourd’hui de protégées que le nom. Et la France l’illustre malheureusement par le gouffre qui sépare la grandeur de ses promesses et la faiblesse de ses actions. La grande majorité des AMP françaises laisse la porte ouverte à des activités destructrices pour les écosystèmes.  

Au premier rang de ces activités, la pêche industrielle, notamment le chalutage de fond, qui constitue la première cause de destruction de l’océan. Monsieur Berville, je dois vous le dire, votre opposition plusieurs fois répétée à l’interdiction des pratiques de pêche les plus dévastatrices dans les AMP est incompréhensible. Et ce alors même que UE soutient l’élimination progressive d’ici 2030 du chalutage de fond dans ces AMP.  

Monsieur le ministre, êtes-vous réellement déterminé à agir contre l’anéantissement de la biodiversité marine ? Si tel est le cas et je veux le croire, il faut d’urgence réhausser notre niveau d’ambition français. Nous ne pouvons pas agir, diplomatiquement, pour la préservation de la haute mer, et en même temps tolérer que nos AMP demeurent des coquilles vides au sein desquelles des activités destructrices pour les écosystèmes ne sont pas règlementées ».   

Nathalie Oziol, de la France insoumise, soulignait quant à elle qu’il n’était « pas question que cela serve à faire oublier la responsabilité du gouvernement dans l’état de l’océan, au bord de l’asphyxie, à cause de la surpêche, des pollutions, etc. (…) L’approbation ne vaut pas caution au double discours et à l’inaction climatique ».  

Et Clémence Guetté, de la France insoumise, d’ajouter :  

« Nous ne pouvons ignorer l’hypocrise flagrante de ce gouvernement lorsqu’il s’agit de la protection des océans. Nous ne permettrons pas que ce traité soit utilisé comme un écran de fumée. Il ne pourra masquer la complicité du macronisme dans la dégradation de nos écosystèmes marins. En effet comment peut-on sérieusement prétendre défendre la biodiversité marine à l’international et en même temps refuser d’appliquer des mesures efficaces de protection au niveau national. Le gouvernement se félicite de ce traité mais en même temps il refuse d’interdire le chalutage de fond dans nos AMP. Cette méthode de pêche est la plus destructrice pour nos écosystèmes marins et elle est responsable de la casse de la pêche artisanale. Pire encore, notre gouvernement a plus récemment pris la tête d’une honteuse coalition à Bruxelles. Vous avez demandé des sanctions contre le Royaume Uni après que ce dernier ait demandé à interdire le chalutage de fond dans une petite partie de ses AMP, en plus de refuser une politique ambitieuse pour le France, vous vous battez donc pour empêcher toute avancée chez nos voisins. C’est indigne des engagements internationaux pris par la France. Cela révèle aux yeux de tous un gouvernement qui est vendu aux intérêts de la pêche industrielle. M. Berville vous êtes bien placé pour le savoir puisqu’en novembre 2022 vous avez décrit l’un des plus gros lobbys de la pêche industrielle comme une simple association. Vous avez même à ce moment-là passé des coups de fil, qui étaient en réalité des coups de pression, à des députés. L’enjeu était de taille, les lobbys vous avaient demandé de défendre la pratique atroce de la senne démersale qui met les pêcheurs côtiers à genoux. 98% des pêcheurs demandent son interdiction. (…) Nous demandons que vous cessiez cette hypocrisie et d’adopter immédiatement des mesures qui permettraient une réelle protection de nos AMP ». 

Même son de cloche pour Michel Castellani (Fermu a Corsica), qui a souligné « le rôle irremplaçable de poumon et d’abri pour la vie que peuvent emplir les AMP ». 

La majorité présidentielle commence elle aussi à se fissurer. Le rapporteur du texte, Jimmy Pahun, député Modem du Morbihan, a insisté sur l’importance d’établir une protection stricte telle que définie par l’UE mais que la France refuse toujours d’appliquer, lui préférant le concept creux de protection forte. Ainsi, en France, la protection stricte ne concerne que 0,1% des eaux, à des années-lumière de l’objectif des 10% dans sa Stratégie nationale pour la Biodiversité.

« En haute mer, comme dans les ZEE, je souhaite la création d’aires marines sous protection stricte ou intégrale, c’est à dire qui exclut par principe toute activité extractive. La communauté scientifique internationale nous dit que seul ce niveau de protection est à même de protéger ou restaurer des écosystèmes marins. (…)En France nous nous sommes fixé l’objectif de 10% d’aires protégées de ce type. Les quelques exemples qui existent en France ou à l’étranger montrent que les premiers à en bénéficier, ce sont les pêcheurs, parce qu’elles favorisent une abondance nouvelle de la ressource ».  

Déjà épinglée par la prestigieuse revue scientifique Nature, qui rappelait « l’incohérence entre les promesses et les actions des champions auto-proclamés de l’océan », « l’écologie à la française » ne dupe plus personne sur la scène nationale comme internationale en matière de protection marine 

L’urgence de concilier protection de la haute mer et des eaux nationales 

Alors que Haut conseil pour le climat rappelle que « la réponse de la France au changement climatique doit monter en puissance » et que la communauté scientifique reconnait le rôle des AMP comme l’une des solutions clés pour y faire face, il est impératif que la France réhausse sans plus attendre son niveau d’ambition pour protéger les eaux nationales. La ratification du Traité doit ainsi dépasser l’enjeu d’une simple opération de communication en amont du lancement en 2024 de l’« Année de la Mer » décrétée par Emmanuel Macron, pour ne pas laisser entendre que la protection de la haute mer constituerait, à elle seule, une réponse adéquate aux enjeux de protection de l’océan, du climat et de la biodiversité. 

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