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26 octobre 2023

Ramener l’océan à la vie : ce que devrait être l’ambition du gouvernement

Alors que la France s’apprête à lancer une « Année de la mer» en septembre 2024 et à accueillir la troisième conférence de l’ONU sur l’océan à Nice en juin 2025, le gouvernement a ouvert à la consultation du public la prochaine Stratégie nationale pour la mer et le littoral (SNML 2023-2029) jusqu’au 27 octobre. A la lecture de ce document, le verdict est effrayant : le gouvernement renonce à mettre en œuvre les recommandations scientifiques pour protéger l’océan.  La pêche industrielle, première cause de destruction de l’océan, n’est jamais nommée, jamais inquiétée.

Censée fixer l’ambition française en matière de planification maritime pour résoudre la triple équation de la protection des écosystèmes marins, de la réduction de nos émissions de CO2 et d’une économie de la mer et du littoral vertueuse, la « Stratégie» proposée par le gouvernement pousse un agenda libéral destructeur et inconséquent en présentant une série de mesures floues, à mille lieux du niveau d’exigence requis par l’urgence climatique et le déclin fulgurant de la biodiversité.

Depuis près d’un an, BLOOM et 29 organisations de la société civile française réunies au sein du Comité France Océan (CFO) n’ont pas ménagé leurs efforts pour avancer des propositions extrêmement concrètes pour que cette « Stratégie nationale pour la mer et le littoral” marque un véritable tournant et réponde au niveau d’urgence critique auquel notre monde est confronté, avec une fenêtre d’action qui se referme de jour en jour. Or, à la lecture du projet du gouvernement, on ne peut que s’interroger sur la manière dont les arbitrages ont été effectués et constater, effarés, que le gouvernement est incapable de courage et de vision pour préserver l’océan, notre principal allié dans l’atténuation du changement climatique. 

Tous les voyants sont au rouge et plus une semaine ne se passe sans qu’intervienne une nouvelle alerte sur le dérèglement éclair du système Terre. Le 6 septembre dernier, l’Organisation météorologique internationale (OMI) a indiqué que la Terre venait de connaître les trois mois les plus chauds jamais enregistrés1https://www.liberation.fr/environnement/climat/lannee-2023-pourrait-etre-la-plus-chaude-de-lhistoire-selon-lobservatoire-copernicus-20230906_IZSGEKEQQRAJNIECEXV4AOQ7OY/. Cette semaine, encore, une étude parue dans la revue Nature Climate Change vient de montrer que la fonte des glaces en Antarctique occidental est inéluctable, quand bien même les objectifs de réduction des gaz à effet de serre fixés par l’Accord de Paris sur le climat seraient atteints2https://www.nature.com/articles/s41558-023-01818-x. Mercredi 25 octobre, un nouveau rapport de l’ONU tirait également la sonnette d’alarme sur les risques imminents de basculement3https://interconnectedrisks.org/, son auteur principal, Zita Sebesvari, déclarant sans détour : « En abîmant la nature et la biodiversité, en polluant à la fois la Terre et l’espace, nous nous dirigeons dangereusement vers de multiples points de bascule de risques, qui pourraient détruire les systèmes dont notre vie dépend »4https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/10/25/un-rapport-de-l-onu-alerte-sur-six-risques-catastrophiques-pour-la-planete_6196405_3244.html.   

Grand oublié de la cause environnementale, l’océan n’est pas en reste. Alors qu’il absorbe près du quart de nos émissions annuelles de CO2, constituant ainsi l’un des principaux puits de carbone au monde, l’océan subit, lui aussi, les conséquences de nos activités destructrices. En 2019, les experts de l’IPBES ont ainsi affirmé que la pêche était la première cause de destruction des écosystèmes marins depuis cinquante ans5IPBES, The Global assessment report on biodiversity and ecosystem services. Summary for policymakers, Bonn, 2019, p. 28. Disponible en ligne ici: https://www.ipbes.net/sites/default/files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_en.pdf.. Malgré l’augmentation continue de la part des stocks mondiaux surexploités6FAO, La Situation mondiale des pêches et de l’aquaculture. Vers une transformation bleue, Rome, 2022., les flottes de pêche industrielle n’ont en rien perdu de leur voracité et n’hésitent pas à recourir à des méthodes toujours plus efficaces et destructrices pour aller traquer les poissons jusque dans les plus grandes profondeurs.  

En tant que deuxième puissance maritime mondiale en termes de superficie, la France peut – et entend – jouer un rôle de premier plan dans la protection de l’océan. Mais pour être à la hauteur, et avant de donner des leçons au reste du monde à Nice en juin 2025, le gouvernement devrait reconnaître que pour protéger l’océan, il faut commencer par cesser de le détruire. C’est à cette évidence que le gouvernement se refuse, prêt à tout pour « soutenir la compétitivité de notre économie maritime et littorale bleue », mais incapable de s’attaquer à la pêche industrielle, responsable de la destruction délirante et constante de l’océan.  

Face à l’inconséquence du gouvernement, BLOOM publie ses recommandations pour ramener l’océan à la vie, répondre à l’urgence climatique, et engager une transition juste et solidaire du secteur de la pêche.

L’urgence de mettre en place de véritables aires marines protégées, plutôt que de rechercher cyniquement l’inefficacité avec un modèle de « protection à la française »  

Aujourd’hui, contrairement à ce qu’affirme le Président Emmanuel Macron, la France n’a pas dépassé l’objectif de protection de plus de 30% de son territoire marin. En réalité, la part des eaux françaises réellement protégées s’élève à 4%. Dans les eaux métropolitaines, ce pourcentage devient infinitésimal : moins de 0,1% des eaux françaises sont véritablement protégées. Les aires marines françaises dites « protégées » ne protègent donc rien du tout : les activités destructrices y sont constantes et parfaitement autorisées. En outre, les rarissimes aires marines réellement protégées des activités humaines sont mises en place de manière à ne jamais gêner les intérêts économiques des industriels de la pêche. 

Loin de viser la constitution d’un réseau efficace, cohérent et représentatif de la diversité des écosystèmes marins français, le gouvernement poursuit ici sa fuite en avant en maintenant un objectif de 10% de « protection forte » de l’espace maritime d’ici 2030. Or, la notion de « protection forte » est une invention purement française, qui ne s’appuie sur aucune norme scientifique. Une coquille vide qui autorise a priori toutes les activités et qui va ainsi à rebours de toutes les recommandations internationales. 

Cerise sur le gâteau, cet objectif de 10% de « protection forte » poursuit une politique du chiffre qui repose sur la protection de zones inaccessibles et inexploitées pour laisser le champ libre à la pêche industrielle dans les eaux métropolitaines. À horizon 2027, le gouvernement envisage ainsi de ne placer sous ce régime décrié et inefficace de « protection forte » que 5% des eaux méditerranéennes, 3% de la façade Atlantique et Manche Ouest… et 1% des eaux de la Manche Est et Mer du Nord !  

Pour le reste, le projet de « Stratégie nationale »ne porte aucune ambition pour aligner les normes de protection sur les référentiels scientifiques internationaux, avec la simple mention de la « finalisation de la mise en gestion effective du réseau d’AMP » d’ici 2030, sans jamais s’engager sur la voie d’une interdiction des activités et infrastructures industrielles en leur sein (éolien, granulats, pêche industrielle selon les critères de l’UICN). 

Le gouvernement s’obstine donc dans la promotion d’un modèle de « protection à la française » aveugle à l’urgence climatique, refusant de faire du climat un critère déterminant dans la protection des écosystèmes et animaux marins qui agissent pourtant comme des puits de carbone indispensables au bon fonctionnement océanique et climatique. L’énième recours aux « labels » et à « l’affichage environnemental » pour faire reposer toute la responsabilité sur les consommateurs et les logiques de marché, au lieu d’encadrer le secteur et de l’accompagner dans sa transition, est symptomatique de l’inaction du gouvernement en matière de préservation de l’environnement.

Le gouvernement se refuse à enclencher la transition du secteur de la pêche 

Alors que le secteur de la pêche traverse une nouvelle crise provoquée par la hausse des prix du gasoil, le gouvernement doit planifier la transition vers des pratiques socialement et écologiquement justesen privilégiant une pêche bas carbone, respectueuse des ressources et des emplois. Or, les méthodes de pêche destructrices ne sont abordées qu’une seule fois dans le projet du gouvernement, sans avancer la moindre mesure concrète. Il est seulement proposé d’« accompagner l’évolution technique et notamment la réduction de l’impact des engins de pêche, notamment les arts traînants de fond, sur le milieu marin », sans se prononcer sur leur interdiction dans les aires marines protégées, ou sur la déchalutisation du secteur à horizon 2030.  

Par ailleurs, l’objectif de « décarbonation des navires de pêche » refuse de se pencher sur le bilan carbone désastreux de la pêche industrielle, par sa consommation de gasoil, mais aussi par ses captures accessoires et son recours à des engins traînants qui détruisent les structures biogéniques des fonds marins et en libèrent le carbone stocké, anéantissant ainsi leur rôle de puits de carbone. 

De même, une référence bien trop timide est faite à la politique d’attribution des quotas, le gouvernement se bornant à évoquer l’attribution d’une « part significative des quotas » à la « pêche vertueuse et sélective », là où celle-ci devrait se voir attribuer tous les quotas en priorité. 

Enfin, pas une seule référence n’est faite aux subventions publiques accordées au secteur de la pêche, à l’ODD 14.6 ou à l’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche pour mettre un terme aux subventions et aides publiques néfastes qui encouragent la surcapacité et la surpêche.

Le gouvernement doit agir avant qu’il ne soit trop tard

De manière générale, les conclusions de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et les résolutions adoptées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui font référence en matière de protection de la biodiversité, ne sont jamais reprises et citées pour guider l’action publique.  

La Stratégie Nationale pour la Mer et le Littoral (SNML) 2023-2029 est l’occasion de fixer l’ambition française en matière de planification maritime pour la prochaine décennie et de prendre en compte les alertes répétées des scientifiques sur le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité. 

S’accorder sur le fait qu’il est urgent de protéger l’océan, la biodiversité et le climat ne suffit plus. Désormais, seuls les actes comptent. Et tout échec ou renoncement à agir de la part des autorités publiques met en péril la stabilité du monde.   

Jamais les pouvoirs publics n’ont disposé d’autant de connaissances pour guider leurs décisions. Jamais la responsabilité politique n’a été aussi grande. Les décisions prises aujourd’hui auront des répercussions sur l’avenir de l’humanité et impacteront l’ensemble de la biosphère.

Et pourtant le gouvernement persévère dans la défense du statu quo.

Une telle constance dans l’inaction est, purement et simplement, inacceptable.

 

Photo : Pascal van de Vendel

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