Pourquoi faut-il interdire le chalutage profond ? Cette méthode de pêche, peu étudiée, déficitaire et subventionnée, est considérée comme la pêche la plus destructrice qu’il existe de nos jours. Découvrons son impact destructeur sur le milieu marin et les espèces qui le peuplent…
Environ 80% de la pêche profonde dans le monde est menée avec des chaluts profonds, une méthode de pêche extrêmement destructrice qui consiste à tirer d’immenses filets lestés sur les fonds marins. Les chaluts profonds arrachent tous les organismes constituant le relief sous-marin qui se trouvent sur leur passage ainsi que l’ensemble des espèces rencontrées. Le tri des poissons qui seront conservés pour commercialisation est réalisé à bord, avec une énorme déperdition puisqu’en moyenne environ la moitié du contenu du filet est rejetée à la mer.
Cette méthode de pêche non sélective est considérée par les chercheurs, les ONG ainsi que les Nations Unies ou le Conseil international pour l’exploration de la mer (le « CIEM » est chargé d’émettre les avis scientifiques pour la gestion des pêches européennes), comme la méthode de pêche la plus destructrice qui existe de nos jours.
Les engins traînants qui entrent en contact avec le fond marin sont considérés comme la plus grande menace pour les récifs coralliens d’eau froide et cela comprend les chaluts de fond, les dragues, les filets maillants de fond, les palangres et les casiers et pièges … En raison de leur utilisation généralisée, les chaluts de fond ont, de tous les engins de pêche existants, l’effet le plus perturbateur sur les fonds marins en général et les écosystèmes coralliens en particulier.
Déclaration du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP) - 2004
Une étude a montré qu’en une seule année, la pêche profonde avait un impact cumulé des centaines ou milliers de fois plus important que toutes les autres activités humaines en plusieurs années.
La poche pleine d’un chalut remonté des grands fonds
Il est clairement établi grâce aux recherches réalisées dans l’Atlantique Nord et dans le Pacifique Sud que les chaluts de fond détruisent pratiquement toutes les grandes espèces non ciblées, perturbent les couches supérieures des sédiments (les panneaux peuvent laisser des sillons faisant jusqu’à un mètre de profondeur dans les sédiments meubles) et plus généralement, produisent des habitats pauvres en biomasse et en espèces. Tous les chaluts prélèvent les organismes de façon non sélective, mais les chaluts profonds sont en outre extrêmement lourds. Ils raclent ainsi le fond sur de longues distances avec une force considérable. L’océan profond est généralement un environnement peu perturbé naturellement : les courants y sont faibles et les tempêtes qui se déroulent en surface y ont peu d’incidence : en conséquence de quoi, les organismes de constitution gélatineuse ou légère peuvent parfois atteindre de grandes tailles. Les organismes d’eaux profondes ne font donc pas le poids face à la masse et la vitesse des chaluts de fond.
Une étude a montré qu’en raison de la mobilité des poissons, l’impact des flottes chalutières sur les espèces ciblées, comme sur les espèces non ciblées, ne se limitait pas comme on le pensait jusqu’à présent, aux effets directs et mécaniques décrits plus haut. Les chercheurs ont ainsi calculé que la pêche chalutière, particulièrement française et ciblant notamment le sabre noir (mentionné dans la publicité) dans l’Atlantique Nord-Est, avait mené au déclin de l’abondance des poissons jusqu’à 2500 mètres de profondeur alors que les navires ne pêchaient que jusqu’à 1500 mètres. En outre, la zone de pêche a été estimée à 52 000 km2 mais l’étude a montré que l’impact des pêches s’étendait sans doute à une zone de 142 000 km2.
Il est bien établi que les pêches chalutières ont un effet mécanique direct sur les fonds marins par le biais d’une destruction des fonds, du prélèvement de coraux et d’invertébrés benthiques.
Analyse Priede et al., 2010
La seule façon pour qu’une pêcherie en eaux profondes soit durable d’un point de vue écosystémique serait d’avoir un impact faible sur les écosystèmes. Or les chaluts de fond ne sont pas discriminatoires et causent des dommages irréversibles à l’écosystème. Ainsi aucune pêcherie au chalut profond ne pourra jamais répondre pleinement aux objectifs internationaux de durabilité des stocks de poissons et de préservation des habitats. Éviter systématiquement les chaluts impactant les fonds marins pourrait être une règle globale pour toutes les pêcheries d’eaux profondes.
Les coraux profonds sont comme des arbres accueillant les nids des animaux, on les appelle "nursery". Ici, échantillonnage d’un octocoral profond qui porte un œuf de pieuvre à oreilles. Celui-ci a ensuite éclos sur le navire océanographique qui a hébergé l'expédition ayant permis de faire cette découverte.
Une publication datant de 2003 (Lance E. Morgan & Ratana Chuenpagdee, Shifting Gears: Addressing the Collateral Impacts of Fishing Methods in US Waters. Pew science series on conservation and the environment, 2003) classe les engins de pêche en fonction du degré de sévérité des impacts collatéraux qu’ils génèrent. Ceux-ci sont définis par les prises accessoires et la destruction de l’habitat.
Sur une échelle de 0 à 100, l’étude accorde :
Avec un chalut à panneaux, le bourrelet (filin lesté qui maintient le chalut en contact avec le fond) glisse sur le fond tandis que les panneaux labourent le substrat. Les chaluts à perche, quant à eux, utilisent des chaînes gratteuses (tickler chains) très lourdes pour chasser les poissons plats du sédiment où ils s’enfouissent. En conséquence de cela, les chaluts à panneaux ou à perche attrapent tous deux les poissons démersaux et les invertébrés, mais les chaluts à perche affectent également les animaux qui vivent dans la couche supérieure du sédiment.
Rumohr et al. 2000 décrivent ainsi la différence entre les chaluts à panneaux (otter trawls) et les chaluts à perche (beam trawls)
Les chaluts profonds ont une ouverture variant de 22 mètres pour les plus petits d’entre eux et jusqu’à 125 mètres.
Ce sont essentiellement les panneaux qui creusent sillons et traces profondes sur le fond marin, même si les chaînes, les sphères, les bourrelets, les diabolos (les roues) et le filet lui-même laissent aussi des traces de leur passage.
Les chaluts à perche et les dragues à coquilles nivellent en plus le fond marin. Le sédiment est perturbé sur une profondeur de quelques centimètres et jusqu’à un mètre pour les chaluts profonds. La largeur des sillons tracés par les panneaux est en moyenne de 80 cm.
Les recherches indiquent des résultats très variés sur la durée de persistance des impacts physiques causés par le chalut, allant de quelques minutes à plusieurs années. Cela dépend des milieux marins sur lesquels le chalut est déployé :
Pendant et après l’activité de chalutage, la resuspension est visible sous forme de nuages de sédiment. La présence de cette charge de sédiments dans la colonne d’eau ne dure pas forcément très longtemps. Sa durée dépend du substrat qui a été travaillé par le chalut, elle va de quelques minutes à plusieurs heures dans le cas des sédiments fins et jusqu’à plusieurs jours pour les fonds vaseux. L’augmentation de particules dans l’eau est de 1000%.
Les prises de vue aériennes de l’impact des chaluts de fond (pêches réalisées en eaux très peu profondes, c’est pour cela que le nuage de sédiment soulevé par les chaluts peut être photographié)
Dans les eaux de la surface, les changements causés au sédiment peuvent stimuler des explosions d’algues nocives.
Les effets de la resuspension sur la productivité des milieux marins sont estimés être très importants : la resuspension d’un seul millimètre de sédiment peut accroître la productivité de l’environnement de 100 à 200%. C’est ainsi que la resuspension peut accélérer le recyclage des nutriments sur les marges continentales. On compare souvent les effets du chalutage aux perturbations naturelles, mais Thrush and Dayton (2002) ont spécifiquement adressé cet aspect en disant : “Il est inapproprié de comparer les perturbations causées par les tempêtes à celles induites par la pêche puisque cette dernière peut impliquer une intensité de perturbation bien plus importante”.
Le chalutage cause une réduction de la biodiversité, de la richesse en espèces et taxons et de l’abondance. La recherche a montré que le chalutage créait « un changement vers une communauté plus homogénéisée » ainsi qu’une uniformité plus élevée sur les sites touchés en raison de la réduction en priorité des animaux les plus abondants.
Les espèces de grands fonds sont caractérisées par une croissance lente, une longévité importante ou extrême, une maturité sexuelle tardive et un faible taux de fécondité, autant de paramètres biologiques qui font d’elles des espèces excessivement vulnérables à l’exploitation, et fort peu résilientes.
Une première donnée à reparamétrer dans nos esprits : il existe une plus grande diversité de coraux dans les profondeurs océaniques que dans les eaux de surface.
Une deuxième : l’attention s’est beaucoup concentrée sur les coraux formant des récifs profonds alors que la diversité corallienne profonde est principalement constituée d’espèces vivant de façon solitaire ou en colonies isolées.
On a donc tendance à associer les coraux profonds (vivant entre 300 et 3000 mètres environ) aux seuls récifs coralliens profonds. Les récifs de coraux profonds forment en effet des écosystèmes exceptionnels par leur taille, leur diversité biologique, leur fort taux d’endémisme, la biomasse accrue qui se développe à leur proximité et par l’habitat qu’ils créent pour les autres espèces, notamment les poissons et les invertébrés. Néanmoins, rappelons que seules six espèces coralliennes profondes (et deux en particulier : Oculina et Lophelia) sont capables de bâtir des récifs, tandis qu’environ 3300 autres espèces de coraux profonds (sans zooxanthelles) se répartissent de façon dispersée dans les océans profonds.
Leur squelette est rigide, souvent cassant et systématiquement broyé et/ou arraché s’il entre en contact avec un engin de pêche (chalut, filet mais aussi palangre). Compte tenu de leur faible masse individuelle, les ‘captures’ de coraux sont souvent peu importantes en poids lorsqu’ils sont capturés en dehors des zones de récifs coralliens.
Les coraux profonds comptent les organismes les plus longévives de la planète. Jusque très récemment, nous pensions qu’ils pouvaient atteindre l’âge vénérable de 1800 ans et étions loin de nous douter qu’en 2009, les estimations d’âge de ces champions de la longévité allaient doubler ! Des méthodes de datation radiocarbone ont ainsi établi que certaines espèces (Gerardia sp. et Leiopathes sp.) pouvaient atteindre plus de 4000 ans, faisant d’eux les animaux les plus longévives du monde.
Leur vitesse de croissance serait comprise entre 5 et 26 mm/an. Alors que les coraux continuent de croître par leur partie terminale, les parties basses, plus anciennes, meurent et sont colonisées par des organismes provoquant l’érosion des squelettes calcaires. Ainsi, se forment de véritables monts avec à la base l’accumulation des débris, puis des coraux morts et enfin au sommet des coraux vivants. La faune associée aux coraux profonds est spectaculaire par la densité d’organismes de grande taille (mégafaune), qui contraste fortement avec le milieu sédimentaire environnant (peuplé d’animaux très diversifiés mais de petite taille). On pense qu’environ 2000 espèces au minimum sont associées aux formations coralliennes.
De nombreux poissons ayant une importance commerciale ont été observés sur les récifs de coraux froids, incluant une douzaine d’espèces très importantes pour la pêche (brosme, morue, hoplostèthe ou empereur, baudroie, sébaste, lieu noir), ainsi qu’une dizaine moins pêchées mais également commercialisées (lingue bleue, grenadier, Beryx).
Les massifs de coraux sont de formes et dimensions variables. En Norvège, les récifs, principalement formés par l’espèce Lophelia pertusa, s’étendent sur des kilomètres de longueur et environ 500 mètres de largeur et jusqu’à 35 mètres de hauteur. De tels récifs ont mis plus de 9000 ans à se former.
L’impact du chalutage profond sur les récifs coralliens profonds a été documenté en divers endroits, en Nouvelle Zélande, à l’Ouest de l’Irlande et particulièrement en Norvège et en Floride, où les récifs formés respectivement pas les espèces Lophelia et Oculina ont subi en très peu de temps d’immenses dommages. En Norvège, les chercheurs estiment que jusqu’à 50% des récifs ont été détruits partiellement ou totalement par le chalutage.
Les chaluts de fond sont les plus destructeurs pour les coraux profonds, réalisant de véritables entailles, de plusieurs dizaines de cm de hauteur, à travers les massifs, par leur perche ou leurs panneaux. (…) Si certains monts carbonatés bien pentus sont peu propices à la pêche, les monts Darwin, situés au large de la côte nord-ouest de l’Écosse ne mesurent que 5 mètres de haut et sont plus susceptibles d’être endommagés.
Karine Olu-Le Roy, Les coraux profonds : une biodiversité à évaluer et à préserver. VertigO – La revue en sciences de l’environnement, Vol 5 no 3, décembre 2004.
L’impact du chalutage profond sur les récifs d’Oculina varicosa à l’est de la Floride (uniquement connus à cet endroit) a été documenté au cours de plongées profondes en submersible. Des transects photographiques historiques ont été réalisés dès les années 1970, avant le développement substantiel de la pêche récréative et du chalutage commercial. Ils ont été comparés à des résultats de transects menés aux mêmes endroits en 2001, 25 ans plus tard. Entre-temps, la pêche avait causé de nombreux dégâts.
Dans les années 1970, les récifs d’Oculina grouillaient de bancs de mérous et de vivaneaux en période de frai. Au début des années 1990, la pêche commerciale et récréative avait décimé les populations de poissons, et les coraux avaient été sérieusement endommagés par le chalutage de fond. Des transects photographiques historiques, réalisés dans les années 1970 (…), fournissent une preuve cruciale de l’état et de la santé des récifs avant la pêche intensive et les activités de chalutage. Les analyses quantitatives des images photographiques révèlent des pertes drastiques de la couverture corallienne vivante entre 1975 et 2001. Six sites de récifs coralliens comptaient près de 100% de perte de coraux vivants.
Reed, John K; Koenig, Christopher C; Shepard, Andrew N, Impacts of bottom trawling on a deep-water Oculina coral ecosystem off Florida. Bulletin of Marine Science [Bull. Mar. Sci.]. Vol. 81, no. 2.
Des engins de pêche destructrice, comme les chaluts de fond, les palangres et les casiers mettent en péril ces habitats fragiles. Les chaluts remontent à la surface des colonies pluricentenaires de coraux Paragorgia sp. comme « prises accessoires ». La pêche à la palangre casse et renverse des colonies de gorgones, provoquant leur disparition. Certains coraux précieux (Corallium sp.) et les coraux bambou (par exemple, Keratoisis sp.) sont récoltés directement pour le commerce des bijoux et des curiosités. Les pêcheries mettent en péril la survie des coraux profonds.
Peter J. Etnoyer, Deep-Sea Corals on Seamounts. Oceanography Vol.23, No.1128
Les éponges ont été découvertes dans toutes les mers du monde, tant dans les eaux profondes que peu profondes. En Atlantique Nord-Est, l’existence de lits d’éponges est souvent signalée par les pêcheurs travaillant à des centaines de mètres de profondeur. Les récifs « d’éponges de verre » étaient autrefois des structures majeures dans les océans profonds, et jusqu’à récemment, ces récifs étaient considérés comme éteints. Toutefois, une série de récifs géants a été récemment découverte au large de la côte Ouest du Canada, au large de la Colombie-Britannique. Certains de ces récifs étaient déjà sévèrement endommagés par le chalutage profond.
Ces récifs d’éponges de verre datent de 9000 ans et couvrent une surface de 700 km2. Ils atteignent par endroits une hauteur de 19 mètres ! Les éponges peuvent avoir plus de 100 ans individuellement et peser jusqu’à 80 kg.
Les éponges profondes possèdent des propriétés biochimiques et génétiques encore sous explorées mais prometteuses et qui font d’elles des animaux rares ou uniques, et les concentrations d’éponges sont de véritables laboratoires vivants.
Les récifs d’éponges servent de refuge aux poissons et aux invertébrés qui les utilisent comme lieu d’alimentation, de reproduction, de développement pour les juvéniles ou comme dortoir pour les espèces diurnes. Les chercheurs ont trouvé près de deux fois plus d’espèces à proximité des champs d’éponges que sur le fond marin avoisinant. Ils ont aussi trouvé des zones endommagées par le chalutage profond. Comme les coraux d’eaux froides, les éponges profondes ont une croissance lente, elles sont fragiles et très vulnérables aux dommages causés par les engins de pêche de fond. Leur rétablissement peut prendre des siècles, quand toutefois il a lieu.
Les espèces de poissons profonds sont typiquement de petite taille et peu musculeuses. Elles possèdent une chair aqueuse et un corps mou qui ne présente aucun intérêt commercial, même pour la pêche minotière (qui réduit en farines les poissons capturés).
Seule une « poignée » d’espèces, celles qui souvent forment des agrégations et vivent aux abords des monts sous-marins ou sur les marges continentales, est commercialisable. Ces espèces comprennent l’empereur, les sébastes, le sabre noir, la lingue bleue, les grenadiers… Elles sont caractérisées par une chair ferme adaptée à la navigation dans les courants forts et surtout… aux goûts des humains !
Ces espèces grégaires forment des biomasses locales d’une densité parfois époustouflante.
Lorsque les stocks d’empereurs ont été découverts, un phénomène de « ruée vers l’or » eut lieu avec d’immenses bateaux capables de prendre 50, 60 ou 70 tonnes en un seul trait de chalut de moins de cinq minutes ! Les pêcheurs étaient obligés de chronométrer précisément le temps passé par le chalut dans l’agrégation de peur de perdre leur équipement sous l’effet du poids des captures.
On comprend naturellement que cette abondance localisée ait pu envoyer les signaux d’une manne inépuisable. C’est en effet tout à fait contre-intuitif d’associer une biomasse gigantesque à une vulnérabilité extrême, pourtant, c’est bien ce qui a lieu avec ces populations grégaires. Ces coups de « pêche miraculeuse » masquent une réalité plus complexe, et ô combien plus fragile.
Les espèces grégaires profondes sont caractérisées par de faibles niveaux de rendement durable, une forte vulnérabilité à la surpêche, et des taux de récupération lente. Cependant, leur forte valeur commerciale a encouragé le développement de nouvelles pêcheries les ciblant. Le schéma classique des ces pêcheries profondes est le suivant :
Les caractéristiques écologiques de ces poissons les rendent vulnérables à la surexploitation et lents à s’en remettre. Les captures peuvent être initialement élevées mais le déclin qui s’ensuit est dramatique et très rapide (le cycle de vie d’une pêcherie profonde est de moins de 10 ans en moyenne). C’est pourquoi on dit des stocks de poissons profonds qu’ils sont le plus souvent « extraits » par les pêches industrielles (comme s’il s’agissait d’énergies fossiles non renouvelables) au lieu d’être exploités modérément avec des volumes faibles assurant la durabilité à long terme.
La lingue bleue et le sabre noir ont des durées de vie moyennes (20 à 30 ans) qui contrastent avec les longévités extrêmes (souvent proches ou supérieures du centenaire). Les pêcheurs argumentent qu’une exploitation durable de leurs stocks est possible, sans tenir compte du fait que la pêche a déjà drastiquement réduit les biomasses vierges de ces populations de poissons et qu’un prélèvement durable n’est plus envisageable sans une reconstitution préalable des stocks. Enfin et surtout, les pêches au chalut ne sont par définition pas sélectives. Elles ne peuvent donc en aucun cas garantir un impact modéré sur les habitats ainsi qu’un prélèvement ciblé des espèces qui présentent un profil favorable à une exploitation durable.
L’opération de pêche mène systématiquement et fatalement à la capture d’espèces extrêmement vulnérables dont certaines, notamment les requins profonds, sont menacées d’extinction.
Une étude de 250 pêcheries dans le monde (en prenant 2000 comme l’année de référence) montre que 50 milliards de litres de gasoil ont été nécessaires pour capturer 80 millions de tonnes de poissons et invertébrés marins.
La moyenne mondiale se situe donc à 0,6 litre de gasoil par kilo de poisson capturé. Les poissons capturés au chalut de fond nécessitent quant à eux jusqu’à 3 litres de gasoil par kilo pêché.
Avant la modernisation des flottes de pêche profonde, le ratio était peut-être plus important encore pour les captures faites dans les grands fonds.
Les pêches globales représentent 1.2% de la consommation mondiale de pétrole et émettent directement 130 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
La consommation n’est pas égale entre les différentes techniques de pêche, le chalut de fond, tracté par la puissance motrice du navire, est naturellement l’engin le plus consommateur de gasoil.
Engin de pêche
|
Litres de gasoil par kilo de poisson pêché (l/kg)
|
Part du carburant dans le chiffre d’affaire
|
Chalut
|
0,42-3 l/kg
|
35% (et plus)
|
Seine Danoise
|
0,14-0,44 l/kg
|
|
Palangre
|
0,49-1,7 l/kg
|
|
Seine
|
0,1-0,14 l/kg
|
11% (et plus)
|
Casier
|
0,33-0,78 l/kg
|
|
Filet
|
0,81-1,8 l/kg
|
|
Drague
|
0,35 l/kg
|
|
Ligne
|
1,7 l/kg
|
Litres de gasoil consommés par kilo de poisson pêché (source : Tyedmers 2004).
Les arts traînants gourmands en carburant
La très forte consommation de carburant, et donc les augmentations de son prix, sont le talon d’Achille des arts traînants, notamment des navires hauturiers exerçant à distance et en profondeur.
L’Ifremer et l’UMR Amure estiment pour 2006 que la flotte de pêche nationale consomme 300 millions de tonnes de gasoil par an (dont trois quarts pour les arts traînants). Ce chiffre exclut les 52 navires de plus de 40 mètres qui n’ont jamais rempli les fiches de renseignement de l’IFREMER sur la consommation de gasoil. Ceux-ci ne représentent que 1% de la flotte totale mais 15% de la puissance totale embarquée. Des calculs comparatifs entre les activités de pêche, il ressort les caractéristiques suivantes :
Tableau récapitulatif de la consommation de carburant des unités de pêche basé sur l’étude de l’IFREMER/UMR Amure de juillet 2008. Complément pour les chalutiers de plus de 40 mètres réalisé à partir des déclarations des industriels de la pêche, des articles de presse et des comptes d’exploitation.
Augmentation des prix du gasoil et de sa part dans le chiffre d’affaires
La part du carburant dans le chiffre d’affaires des flottes industrielles hauturières est en augmentation constante pour celles impliquées dans le chalutage de fond, a fortiori profond. L’augmentation des prix du gasoil en est évidemment la cause :
La moyenne annuelle des prix du gasoil (chiffres hors taxes) en 2005 était de 0,44 €/litre. En 2010, elle est de 0,53 €/litre. En 2011, elle est de 0,67 €/litre, soit une augmentation de plus de 52% depuis 2005. Cela signifie que le carburant peut représenter jusqu’à la moitié du chiffre d’affaires des arts traînants démersaux lorsque les prix de celui-ci dépassent la barre des 60 centimes au litre (hors taxes). En effet, l’analyse que nous avons faite de la structure de coût des armements français a montré qu’en 2008, l’achat de matières premières représentait 35% du chiffre d’affaires des trois principaux armements industriels qui pratiquent la pêche profonde : la Scapêche, 38% de celui d’Euronor et 47% de celui de Dhellemmes.
Entre le moment où la Scapêche décide de construire de nouvelles unités spécialisées (en 2002, alors que la moyenne annuelle du gasoil était à 0,26 €/litre) et 2011, le prix du gasoil a augmenté d’environ 150%.
Comme le rappelle l’entreprise, « Les calculs de la Scapêche s’appuyaient sur un prix du litre de gasoil allant de 25 à 45 centimes d’euro. »
Evolution du prix du gazole hors taxes (Euros courants par litre) de janvier 1989 à avril 2011 Source : Direction de l’Énergie et du Climat (DGEC), ministère de l’Écologie, de l’Energie, du Développement durable et de la Mer
Le chalutage impose une telle charge au compte d’exploitation par la consommation de gasoil requise que les armements de grands fonds ont tous entamé, à divers degrés, une politique de diversification de leur flotte vers des méthodes de pêche moins gourmandes en fioul.
Les politiques de reconversions entamées par les flottes
L’armement Dhellemmes à Concarneau a par exemple diversifié sa flotte vers la senne danoise qui permet de réaliser 40 à 50% d’économie de carburant. Alors que les chalutiers consomment « deux litres par kilo de poisson sur l’essentiel des bateaux », les senneurs consomment un litre par kilo de poisson. Le président de l’armement déclarait en 2008 que le prix du carburant avait augmenté de « 143% depuis l’an 2000, alors que le cours moyen du poisson a enregistré dans le même laps de temps une hausse de 41% (…) Cela a forcément un impact important sur la rentabilité de l’entreprise. » « Le poste du carburant est devenu notre indicateur économique essentiel. »
Une reconversion souhaitable sinon obligatoire
On voit, par le biais des exemples que fournissent les trois armements hauturiers spécialistes du chalutage profond que la reconversion des navires se fait de gré ou de force, de façon à éviter la dépendance au prix du carburant et aux prises de poissons de fond, qui déclinent dans les captures alors que les poissons pélagiques augmentent. L’avenir de méthodes aussi dépendantes au gasoil que le chalutage semble compromis.