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11 janvier 2023

Pillage des eaux africaines : révélations inédites sur les lobbies thoniers

Deuxième volet de l’enquête « TunaGate » – BLOOM poursuit sa plongée dans le monde opaque de la pêche au thon et révèle aujourd’hui les résultats choquants d’une étude inédite portant sur le poids des lobbyistes au sein des délégations officielles durant vingt années de négociations sur le thon tropical en Afrique, entre 2002 et 2022.

BLOOM a mené une analyse exhaustive de toutes les délégations de négociation formées par l’Union européenne lorsque celle-ci, au nom de ses 447 millions de citoyens, négocie les droits et conditions de pêche des flottes européennes avec les pays d’Afrique et de l’océan Indien. Nous mettons aujourd’hui en lumière pour la première fois de façon chiffrée la domination écrasante des lobbies industriels au cœur de la représentation publique.

L’écrasement des pays du Sud par l’Union européenne

En amont de deux réunions sur l’avenir de la pêche thonière au Kenya fin janvier[1], nous montrons que loin de respecter les objectifs de coopération et de durabilité de la « Commission thonière de l’océan Indien » (CTOI), l’Union européenne, dans une collusion incestueuse généralisée avec ses flottes de pêche industrielles françaises et espagnoles, contribue à accroître la surexploitation des populations de poissons, la dégradation du climat et de la santé de l’océan Indien ainsi qu’à maintenir la précarité des pays du Sud.

Notre analyse, qui porte sur 2 778 négociateurs composant les délégations formées par 30 pays lors des négociations annuelles de la CTOI depuis 2002, montre qu’à partir du moment où, en 2015, les pays riverains réclament un partage plus équitable des richesses et la mise en place de mesures de protection environnementale, l’Union européenne double subitement la taille de ses délégations qui passent de 22 personnes avant 2015 à 40 personnes en moyenne après 2015 de façon à bloquer toute forme de progrès écologique et d’émancipation économique des pays du Sud. La délégation européenne atteint même un pic de 70 négociateurs en 2021.

Un doublement des lobbies au sein des délégations officielles

Cette augmentation de la taille moyenne de la délégation européenne s’accompagne d’une explosion du nombre annuel de lobbyistes en son sein : les défenseurs des intérêts industriels — notamment ceux des thoniers senneurs français et espagnols — passent de 8 lobbyistes en moyenne jusqu’en 2015 à 18 depuis ! Ces chiffres soulignent la démesure des délégations européennes et du poids de ses industriels, puisque l’Union européenne ne compte que 109 navires enregistrés dans l’océan Indien, dont 28 très grands thoniers senneurs (longueur moyenne : 89,2 m).[2] L’Union européenne envoie désormais aux réunions de la CTOI un délégué pour deux navires de pêche européens ! C’est dix fois plus que pour l’Indonésie, la deuxième plus grosse délégation.

Le loup blanc des lobbyistes « suppléant » officiel de la France

Dans un paroxysme de confusion entre intérêt général et intérêts sectoriels, on découvre même qu’en 2019, le représentant des plus grands navires industriels français est même officiellement « suppléant » de la force publique. Marc Ghiglia, délégué général du puissant et omniprésent lobby industriel UAPF (« l’Union des armateurs à la pêche de France ») apparaît comme le « suppléant » de la cheffe de la délégation française à la CTOI, Mme Anne-France Mattlet, c’est-à-dire la personne dont nous avons dénoncé le conflit d’intérêts auprès du Procureur de la République avec l’association Anticor le 14 novembre 2022. Le Parquet national financier a annoncé début décembre ouvrir une enquête préliminaire pour prise illégale d’intérêts[3] à propos de cette administratrice des affaires maritimes qui a été détachée, par la France, au sein du lobby Europêche pour une durée d’un an dans le but d’influencer à la baisse la norme environnementale européenne. Le vice-président d’Europêche n’est autre que M. Marc Ghiglia.

À lire aussi :

le premier volet de l’enquête de BLOOM, Le Far West de la pêche thonière

Europêche est le principal lobby européen de la pêche industrielle à Bruxelles. Ce groupement d’industriels est dirigé par le lobbyiste espagnol Javier Garat, actionnaire et membre du conseil d’administration de l’une des plus grandes flottes thonières d’Europe, Albacora, qui possède (entre autres) les quatre plus grands thoniers du monde.[4]

Extrait du rapport "Le Far Wast de la pêche thonière"

Le chantage antiécologique de l’UE en Afrique

En parallèle, l’UE bloque les propositions émanant des pays africains pour lutter contre la limitation des « dispositifs de concentration de poissons » (DCP) — des radeaux artificiels dont l’utilisation par les pêcheurs français et espagnols a littéralement explosé ces dernières années — alors que ces radeaux, déployés à très grand échelle mais dans la plus totale opacité, contribuent non seulement à l’effondrement des populations de thons mais à celui de l’ensemble des espèces marines. Sans surprise, l’Union européenne, trustée par les lobbies industriels, s’oppose également à la transparence sur les données concernant les DCP, qu’il s’agisse de leur nombre, de leur géolocalisation ou de leurs propriétaires.

L’Union européenne refuse même d’accepter des interdictions temporaires ou spatiales de DCP dans l’océan Indien, où les stocks de thon sont les plus vulnérables, quand de telles fermetures existent — dans un intérêt de conservation — dans toutes les autres organisations de gestion du thon où l’Union européenne opère.

En effet, les thoniers senneurs français et espagnols capturent désormais plus de 90% de leurs volumes à l’aide de DCP. [5] 97% des albacores — une espèce considérée comme surpêchée depuis 2015 — capturés autour des DCP sont des juvéniles et ne se sont donc jamais reproduits.[6]

La posture de l’UE que nous soulignons dans ce rapport va au-delà des traditionnelles « incohérences » qui caractérisent les objectifs antagonistes de l’aide au développement par rapport à la maximisation des avantages commerciaux. Nous dénonçons ici une stratégie bien planifiée par l’UE et ses lobbies industriels pour maintenir les nations d’Afrique et de l’océan Indien dans des économies de subsistance.

Pis encore, nous dénonçons la position inacceptable de l’UE qui utilise la suspension des aides au développement comme menace permettant de bloquer les progrès environnementaux.

L’UE aux antipodes de ses objectifs d’aides au développement

BLOOM s’insurge contre la collusion malsaine qui existe entre autorités publiques et lobbies privés, qui est l’une des — sinon la — causes principales de destruction de l’environnement, de l’équilibre économique entre nations et de la confiance en la démocratie.

Vaincre la corruption morale et institutionnelle est possible. Les délégations de négociation ne sont pas contraintes par les règles de la CTOI ou de l’UE, les États membres ayant toute latitude pour décider de leur composition.[7]  Mais notre étude ainsi que le QatarGate, qui secoue le Parlement européen et que la police fédérale belge a dévoilé à partir d’un volet d’enquête sur la corruption dans le secteur de la pêche (ils suivaient l’argent dans une affaire d’accord de pêche entre le Maroc et l’UE), montre qu’il est urgent d’adopter des règles éthiques pour mettre un terme aux profonds dégâts que les intérêts industriels causent à la démocratie.

Les lobbies ne sont pas une fatalité 

Notre deuxième volet de la série TunaGate pose la question du modèle (réellement durable d’un point de vue écologique et social) vers lequel nos sociétés veulent s’orienter. Pour commencer, les autorités publiques représentant l’environnement devraient diriger toutes les négociations et tous les processus réglementaires qui impliquent des ressources naturelles. Tout plan d’exploitation devrait viser la maximisation des avantages sociaux tout en minimisant l’impact environnemental. Les pays africains doivent saisir l’occasion de remodeler l’accès à leurs propres ressources, qui ne profite jusqu’à présent qu’aux détaillants et aux conglomérats industriels d’Europe et d’autres pays développés.

Nous adressons aujourd’hui à la Commission thonière de l’océan Indien un courrier lui demandant d’adopter des règles déontologiques interdisant aux industriels de faire partie des délégations officielles des pays négociateurs, de limiter leur accès aux négociations, d’assurer une bien meilleure représentation de l’intérêt général au cours de celles-ci ainsi qu’un équilibre des tailles de délégations. Nous demandons par ailleurs à la Commission européenne, à la France et à l’Espagne d’adopter de règles strictes permettant de mettre fin au mélange des genres qui conduit à la destruction de la nature, du climat et des économies du Sud.

Pour finir, BLOOM adresse également aujourd’hui au titre du droit d’accès en toute transparence aux données publiques une demande à la Commission européenne visant à connaître l’identité de tous les membres ayant pris part aux délégations de négociation des accords de pêche pour tous les pays d’Afrique et de l’océan Indien.

Nous demandons également à la France la liste exhaustive des membres du lobby le plus opaque entre tous : l’UAPF, Union des armateurs à la pêche de France, ainsi que la liste exhaustive de sa participation à tout organe ou réunion officielle.

Pour aller plus loin

Frédéric Le Manach, directeur scientifique chez BLOOM, co-signe une publication dans la revue scientifique Frontiers examinant la relation entre les subventions dont ont bénéficié les nations de pêches lointaines à leur développement dans l’océan Indien et les négociations d’allocation de possibilités de pêche actuellement en cours au sein de la Commission des thons de l’océan Indien (CTOI).

→ Sinan et al. (2022, 6 décembre). Subsidies and allocation : A legacy of distortion and intergenerational loss. Frontiers.

Références

[1] Du 30 janvier au 5 février 2023, deux réunions cruciales de la CTOI sur l’avenir de la pêche thonière se tiendront à Mombasa au Kenya.

[2] Les autres navires sont des palangriers français, espagnols et portugais de bien plus petite taille, tels que la vingtaine de navires basés à la Réunion (longueur moyenne : 16,7 m).

[3] https://www.lefigaro.fr/conjoncture/recrutement-d-une-fonctionnaire-par-europeche-enquete-pour-prise-illegale-d-interets-20221202.

[4] L’ALBATUN DOS (116 m), l’INTERTUNA TRES (116 m), le PANAMA TUNA (115,6 m), et l’ALBATUN TRES (115 m).

[5] Voir les données de capture de la CTOI : https://iotc.org/data/datasets.

[6] https://www.globaltunaalliance.com/wp-content/uploads/2022/03/Naunet-Fisheries.2021.V3-new.pdf.

[7] Voir les règles internes de la CTOI, disponibles à : https://iotc.org/sites/default/files/documents/2022/06/IOTC_Rules_of_Procedure_2022.pdf.

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