26 juin 2022
Ce dimanche 26 juin 2022, BLOOM et Mediapart révèlent les résultats d’une enquête exclusive faisant suite aux alertes répétées lancées par des pêcheurs français : 95% des navires néerlandais ayant bénéficié de subventions publiques appelées “aides aux arrêts temporaires de pêche” dans le cadre de la crise du COVID-19 ont fraudé et n’auraient donc dû en recevoir aucune. Par son manque de contrôle sur les subventions distribuées, le gouvernement néerlandais encourage la fraude et offre un avantage financier majeur à sa flotte de pêche industrielle.
Pour faire face à la crise sanitaire et économique provoquée par la pandémie de COVID-19, l’Union européenne a débloqué des aides d’urgence — appelées “arrêts temporaires” — permettant d’indemniser les navires restés à quai.1Par le biais du Règlement (UE) 508/2014, l’Union européenne a modifié en avril 2020 certaines règles d’allocation du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP, 2014–2020), afin de débloquer rapidement des aides aux arrêts temporaires pour le secteur de la pêche. Il était ensuite du ressort de chaque État membre de décider de ses propres critères d’attribution. En 2021, BLOOM avait déjà analysé les aides COVID allouées au secteur de la pêche en France et montré que les entreprises les plus puissantes et les pratiques de pêche les plus destructrices (comme le chalut de fond, la drague, et la senne démersale) en étaient les principales bénéficiaires.282,5% (soit 12,2 millions EUR) des subventions COVID ont été captés par des navires utilisant des méthodes de pêche destructrices. Par ailleurs, sept entreprises/groupes représentant uniquement 0,8% (53 navires) de la flotte française ont reçu 28,5% de l’ensemble des subventions. Cette situation résultait directement des critères instaurés par le gouvernement français, que nous avions dénoncés dès leur publication.
Les Pays-Bas ne sont pas en reste. L’arrêté ministériel néerlandais qui fixait les conditions d’attribution de ces “arrêts temporaires” allait encore plus loin que le décret français dans l’exclusion de la petite pêche, puisqu’il excluait de facto tous les navires de moins de 12 mètres du dispositif d’aides. Cette mesure discriminatoire prouve — une fois encore — que le gouvernement néerlandais préfère soutenir ses gros navires industriels dévastateurs plutôt que l’ancrage territorial de sa petite pêche côtière, pourtant beaucoup plus vertueuse. C’est ainsi qu’une enveloppe de près de 6 millions d’euros a bénéficié presque exclusivement à des chalutiers à perche ou à panneau, ou à des senneurs démersaux. Or, ces techniques de pêche sont les plus destructrices pour la biodiversité marine, le climat, et les emplois.
Pour bénéficier de ces subventions aux arrêts temporaires, les navires éligibles ne devaient respecter que deux obligations :
Notre analyse montre que seuls 12 navires néerlandais sur les 254 bénéficiaires identifiés grâce à leurs données AIS (sur 269 au total) ont respecté ces deux règles.1Quinze navires avaient une longueur de plus de 12m mais de moins de 15m ; nous n’avons donc pas pu recueillir de données AIS dans leurs cas.
Cette fraude massive prouve deux choses :
Ce travail de vérification repose sur deux sources de données, qui ont permis à BLOOM et Mediapart de recouper la liste des bénéficiaires du FEAMP publiée par l’administration néerlandaise, comme l’explique Augustin Lafond, scientifique des données chez BLOOM et co-auteur de l’étude.
Grâce à la plateforme en ligne Global Fishing Watch, nous avons pu suivre à la trace l’activité de chacun des 254 navires subventionnés identifiables (sur 269) et ainsi déterminer leurs jours de pêche, leurs jours à quai, et les périodes durant lesquelles ils ont éteint leur système de géolocalisation. Grâce à des données de débarquements obtenues pour une partie des criées néerlandaises, nous avons pu identifier encore plus de navires fraudeurs.
Augustin Lafond
En recoupant ces deux jeux de données nous avons ainsi pu établir cinq profils de navires :
Classification des 254 navires indemnisés et identifiés selon leur respect ou non du droit européen et des conditions fixées pour recevoir une indemnisation.
Accéder à la méthodologie complète et aux données brutes
Illustration d’un cas de fraude typique : le SL-27
Prenons l’exemple concret d’un navire soupçonné de fraude : le SL-27, un senneur démersal de 35 mètres de long. BLOOM et Mediapart ont pu reconstituer ses jours de pêche et ses jours à l’arrêt grâce aux données AIS, parcellaires mais complétées par les données de criées. Une fois ces données recoupées, il devient évident que pendant la période d’indemnisation de ce navire, aucune période de sept jours consécutifs d’inactivité au port n’a eu lieu :
Dans ce cas, aucune période de sept jours consécutifs à quai n’est observable et la fraude est donc caractérisée.
Profil de pêche du navire SL-27 pendant la période indemnisée pour des arrêts temporaires.
Au-delà de cumuler le non-respect de l’arrêt de l’activité de pêche et du maintien à chaque instant de son AIS allumé, « le senneur SL-27 pêche en partie en Manche, zone de tension entre les pêcheurs français et les industriels néerlandais accusés de pillage des ressources. Ce navire symbolise donc le pillage des subventions publiques mais aussi l’irrespect le plus total dont les pêcheurs industriels néerlandais font preuve vis-à-vis des artisans voisins. » explique Laetitia Bisiaux, chargée de projet chez BLOOM et à l’initiative de cette étude.
Capture d’écran de la trajectoire du senneur SL-27 entre le 18 mai 2020 et le 27 aout 2020, période pour laquelle ce navire a reçu des subventions pour rester à quai (voir les données d'origine sur Global Fishing Watch)
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