Association Bloom

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30 janvier 2025

Lettre au Président de la République

Monsieur le Président,

Nous sommes plus qu’inquiets.

La France s’apprête à accueillir la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan, mais alors que l’année 2024 a dépassé les records de température depuis l’ère préindustrielle, que l’océan se réchauffe à une vitesse vertigineuse et que cela entraîne un cortège d’événements climatiques extrêmes aux conséquences dévastatrices, comme en Europe Centrale, à Valence, à Mayotte ou dans le Pas-de-Calais, nous constatons que le programme de la Conférence des Nations Unies sur l’océan échoue obstinément à adresser les deux principales causes de destruction de l’océan : les pêches industrielles et l’exploitation des hydrocarbures.

Nous avons à cœur de faire en sorte que ce sommet historique aboutisse à un succès décisif permettant à la France, première puissance maritime européenne et deuxième au niveau mondial, de rayonner durablement à l’échelle internationale grâce au courage que notre pays aura eu à agir « immédiatement et massivement » pour le climat et la biodiversité, comme le demandent les experts du GIEC depuis des années. Mais cela nécessite une rupture totale avec le maintien du statu quo qui préside à l’organisation actuelle de la Conférence.

En accueillant la Conférence onusienne sur l’océan, vous avez créé l’opportunité politique pour que des décisions d’une importance capitale pour l’avenir proche de l’humanité soient prises.

Est-il encore besoin de rappeler l’urgence, le désastre, le péril ?

Les scientifiques s’époumonnent depuis des décennies pour que soit pris en compte l’état d’urgence vitale qui caractérise l’étape à laquelle l’humanité est parvenue. Les chercheurs de renom qui avaient coordonné en 2017 “L’avertissement des 15 000 scientifiques à l’humanité”[1] ont repris la plume pour dresser un état des lieux du climat intitulé « Des temps périlleux sur la planète Terre »[2]. “Nous sommes au bord d’une catastrophe climatique irréversible” nous mettent-ils en garde. La réalité inexorable de la destruction de la biosphère et du Système-Terre est désormais visible quotidiennement. Nul besoin d’imagination pour comprendre par quels mécanismes le changement climatique, couplé aux activités industrielles destructrices des espèces sauvages et des habitats naturels, est en train d’éroder la sécurité de nos sociétés : la déstabilisation du cycle de l’eau, les sécheresses chroniques, la désertification des terres, les canicules, les mégafeux, les inondations, ouragans, cyclones et tempêtes extrêmes, la fonte des glaces, l’expansion thermique de l’océan, l’élévation du niveau des mers, la disparition des territoires insulaires, l’engloutissement accéléré des zones deltaïques, la  modification du trait de côte, la destruction des écosystèmes côtiers, la salinisation des terres littorales, l’anéantissement de la biodiversité, l’acidification de l’océan, l’abrasion des fonds marins par les méthodes de pêche destructrices telles que le chalutage, l’effondrement des puits de carbone terrestres, la perte de l’Arctique comme zone d’absorption de CO2, les chutes des rendements agricoles, la précarisation des populations vulnérables, la fragilisation de la sécurité alimentaire globale et notamment dans le Sud, les déplacements forcés massifs de populations, les tensions sur l’accès aux ressources, la multiplication des conflits armés…

Cette liste n’est pas exhaustive. Et au fond, elle est inutile, ou devrait l’être. Vous devriez savoir tout cela parfaitement. En tant que gardien de notre sécurité collective, vous devriez ne penser qu’aux façons d’éviter le décrochage du Système-Terre, en commençant par la solution la plus facile à mettre en œuvre : la protection des écosystèmes, reconnue par le GIEC comme le deuxième levier le plus efficace, après la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour lutter contre le changement climatique.

Ce qui se décidera à Nice a le potentiel d’enrayer le scénario dystopique qui s’est mis en marche. L’océan est le principal régulateur climatique de la planète. Vous savez, comme nous, qu’aucune solution pour la stabilisation du climat n’est possible sans la préservation réelle et efficace de l’océan.

Les décisions prises au sommet de l’ONU sur l’océan impacteront l’avenir de l’humanité et de l’ensemble des espèces vivantes. La France affiche l’ambition de faire de l’accord de Nice, qui pourrait émaner de cette conférence internationale, un équivalent pour l’océan de l’Accord de Paris pour le climat.

En l’état actuel du programme prévu, cela n’a aucune chance d’advenir. Mais vous pouvez en décider autrement.

Vous pouvez décider d’annoncer, suffisamment en amont de la Conférence sur l’océan, de façon à inciter les États à se mettre dans vos pas, des mesures indispensables, concrètes et urgentes, soutenues par la communauté scientifique et la société civile, comme l’interdiction de développer ou soutenir tout nouveau projet d’exploitation d’hydrocarbures et l’interdiction des infrastructures et activités industrielles dans les aires marines que nous osons encore appeler « protégées » alors qu’elles ne sont aucunement épargnées par les activités destructrices telles que la pêche au chalut (de fond et pélagique). De fait, les plus de 30% d’eaux dites « protégées » en France ne le sont nullement. Moins de 0,1% de notre territoire marin métropolitain, de minuscules confettis imperceptibles sur une carte, sont fermés aux activités destructrices. Les chalutiers qui ravagent les écosystèmes sont, de fait, autorisés à pêcher dans plus de 99% des eaux.

Empêcher les majors pétro-gazières de poursuivre leur expansion fossile et protéger réellement 30% de nos eaux, dont un tiers en protection « stricte » sans aucune activité extractive, sont des annonces qui feraient réellement de la Conférence de Nice un moment de bascule historique à l’échelle mondiale. L’accord de Nice se donnerait les moyens de compléter l’Accord de Paris en faisant enfin de l’océan notre allié climatique.

Le temps n’est plus de notre côté.

Jamais charge politique n’a porté une telle responsabilité. Jamais, nous n’avons eu autant besoin de politique, au sens noble de la défense de l’intérêt général. Jamais résister aux assauts des intérêts privés sectoriels n’a été aussi nécessaire pour empêcher une suite de conséquences désastreuses et irréversibles pour les générations à venir.

Il ne tient qu’à vous de fixer le curseur de l’ambition de la conférence de Nice sur l’océan et de décider d’agir en protecteur des citoyens.

Nous vous demandons formellement de faire alliance avec nous, les citoyens, les scientifiques, la société civile, contre la cupidité criminelle des multinationales. L’alliance que forment aujourd’hui les pouvoirs politiques avec les industriels n’a pas seulement saccagé le monde naturel, pollué de façon éternelle l’ensemble des écosystèmes et contaminé toute l’humanité, comme vient de le révéler l’enquête internationale coordonnée par le journal Le Monde[3], cette alliance est également en train de saboter les fondements démocratiques de nos sociétés. Faire alliance avec les industriels contre les citoyens, c’est aussi impuissanter le pouvoir politique, c’est accepter sa soumission irrémédiable aux seules forces économiques, c’est en bout de course armer la main qui menace la stabilité même des institutions et de la démocratie, comme la politique américaine nous en donne la tragique projection.

Nous, les citoyennes, citoyens, organisations de la société civile, sommes mobilisé·es nuit et jour pour éviter qu’adviennent l’effondrement de la biosphère et le pire du scénario climatique. C’est encore possible. C’est encore en votre pouvoir.

Il ne tient qu’à vous de piloter la transition écologique des activités économiques pour qu’elles soient synonymes de justice sociale. Protéger, en même temps, les écosystèmes et les pêcheurs côtiers est non seulement possible mais indispensable. Les travaux scientifiques prouvent que tout le monde gagne à restaurer les écosystèmes en les protégeant efficacement et réellement. La rationalité sociale et économique est de notre côté. Pour l’instant, la France détient le triste record de l’aire marine « protégée » européenne la plus chalutée[4], alors qu’une aire marine réellement protégée ne présente que des bénéfices[5] : elle permet de restaurer l’intégrité et la fonctionnalité des écosystèmes, de multiplier la biomasse des poissons et d’augmenter les rendements de la pêche à court-terme. Ce dernier aspect est d’une importance particulière dans un contexte où les captures ont été divisées par trois entre le pic de production de 1966 et 2022 et les emplois dans le secteur de la pêche divisés par sept depuis 1950. Les premiers bénéficiaires nets des aires marines protégées (AMP) sont de ce fait, et sans ambivalence, les pêcheurs. Par ailleurs, les sédiments marins constituent un puits de carbone essentiel : les cinq premiers centimètres de sédiments stockent autant de carbone, à l’échelle planétaire, que dix fois nos émissions mondiales annuelles[6]. Or le chalutage qui racle les fonds marins est une bombe climatique : chaque année, le passage des filets lestés relâche environ 370 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, soit les émissions annuelles de la France.

Alors que tous les yeux sont rivés sur la France en amont de la conférence de juin, nous vous demandons d’annoncer, dès le sommet du Trocadéro « SOS Océan ! » que vous organisez les 30 et 31 mars prochains, les mesures urgentes suivantes qui peuvent encore sauver l’océan et l’humanité, et pousser la communauté internationale à rehausser son ambition pour répondre aux multiples menaces auxquelles nous sommes confrontés :

  • L’interdiction des navires industriels de plus de 25 mètres dans les eaux côtières françaises (12 milles nautiques).
  • L’interdiction des activités et infrastructures industrielles à l’intérieur de toutes les zones dites « protégées » en France, c’est-à-dire dans 30% de notre territoire marin, en incluant l’ensemble des engins de pêche tractés, tels que les chaluts pélagiques ou les chaluts de fond.
  • La création de zones de protection « stricte » dans l’équivalent de 10% de nos eaux, sans aucune activité extractive, de façon à laisser enfin la nature se régénérer et les écosystèmes se reconstituer.
  • L’interdiction pour les entreprises françaises de participer au développement de tout nouveau projet d’exploitation d’énergies fossiles, en France et à l’étranger.
  • Le soutien de la France à l’ouverture de négociations internationales pour un traité de non-prolifération des énergies fossiles.

Nous portons, avec la Coalition citoyenne pour la protection de l’océan, qui regroupe près de 200 organisations, 120 personnalités publiques et plus de 50 000 citoyens, 15 mesures essentielles établies sur la base des recommandations scientifiques internationales et du droit européen, pour concilier protection de l’océan et justice sociale.

Si vous décidiez d’adopter ces mesures concrètes et prioritaires, la France serait en position d’enclencher une dynamique mondiale qui inverserait le sombre fatalisme qui s’installe.

A l’aube de 2025, ne pas avoir peur de l’avenir relève de l’inconscience ou de l’ignorance. Seul un changement radical de posture des dirigeants et des actions concrètes à effet immédiat sont de nature à rassurer les citoyens et à mettre un terme à la course qui nous entraîne vers l’abîme.

Les attentes citoyennes, en amont du sommet du Trocadéro de mars et de la Conférence des Nations Unies de juin, sont immenses, à la hauteur des enjeux sans aucun précédent auxquels nous devons faire face. Vous êtes dans une position unique pour agir concrètement et obtenir de la communauté internationale qu’elle fasse de même. Nous attendons beaucoup de vous.

L’océan est notre allié vital. Le protéger, c’est nous sauver.

Nous espérons avoir l’occasion d’aborder cet enjeu crucial avec vous, c’est pourquoi nous demandons à vous rencontrer, avec une délégation de la Coalition citoyenne pour la protection de l’océan, de façon urgente.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, mes salutations distinguées.

Claire Nouvian

 

[1] William Ripple et 15.364 scientist signatories from 184 countries, World Scientists’ Warning to Humanity: A Second Notice, 2017, https://doi.org/10.1093/biosci/bix125

[2] William Ripple et al., The 2024 state of the climate report: Perilous times on planet Earth, 2024,  https://academic.oup.com/bioscience/article/74/12/812/7808595

[3] Le Monde, Les PFAS, une famille de 10 000 « polluants éternels » qui contaminent toute l’humanité, 2025,  https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2025/01/14/les-pfas-une-famille-de-10-000-polluants-eternels-qui-contaminent-toute-l-humanite_6496699_4355770.html

[4] BLOOM, « Bulldozées », une analyse inédite de la pêche au chalut dans les aires marines « protégées » européennes, mars 2024, https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2024/03/Buldozees.pdf

[5] BLOOM, Les bénéfices des aires marines protégées, 2025, https://bloomassociation.org/wp-content/uploads/2025/01/AMP-Fact-Sheet-4.pdf

[6] Lee et al., A Machine Learning (kNN) Approach to Predicting Global Seafloor Total Organic Carbon, 2019, https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2018GB005992

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