23 mai 2024
La mobilisation citoyenne contre le plus grand chalutier pélagique du monde, le navire polonais Annelies Ilena de 145 mètres, a payé : la Compagnie des pêches de Saint-Malo agissant pour le compte de la multinationale néerlandaise Parlevliet & van der Plas n’a pas obtenu du gouvernement le transfert de quotas vers la Pologne que le navire voulait obtenir. Mais cette victoire citoyenne passe mal auprès des industriels néerlandais, propriétaires de la Compagnie des pêches de Saint-Malo. Son directeur a donc fait appel aux seuls élus prêts à défendre le modèle dévastateur pour l’emploi et pour l’océan de la pêche industrielle : les élus ‘Les Républicains’. La contre-manifestation patronale organisée par l’entreprise à laquelle BLOOM s’est rendue a donné l’occasion à François-Xavier Bellamy d’exprimer la vision de la pêche qu’il soutenait : un modèle indéfendable publiquement qui l’a donc acculé au mensonge.
BLOOM a procédé à un fact-checking rigoureux des arguments entendus pour éviter de laisser se répandre des informations fausses.
Aux abois face au « silence radio » du ministère [1], le directeur général de l’entreprise, Florian Soisson, a appelé à son chevet le député européen ‘Les Républicains’ François-Xavier Bellamy, pour tenter de forcer le blocage que lui oppose désormais le gouvernement français à propos de l’exploitation du « navire de l’enfer » [2] et pour mener une opération de communication destinée à établir une vérité contrefactuelle sur la situation du navire et de l’entreprise.
M. Bellamy s’est ainsi rendu à Saint-Malo le vendredi 17 mai pour soutenir la contre-manifestation patronale organisée par la direction en faveur des intérêts néerlandais du géant industriel Parlevliet & van der Plas, qui rachète les uns après les autres les navires industriels européens pour concentrer entre ses mains les quotas de pêche de l’UE. Le déplacement de M. Bellamy lui a donné l’occasion de clarifier sa vision de l’avenir de la pêche en faveur de la création d’un consortium quasi monopolistique des droits de pêche entre les mains des industriels néerlandais. Son intervention a permis de lister les arguments que les élus pro-lobbies convoquent pour défendre le plus grand navire du monde, rejeté par l’opinion publique et l’ensemble de l’arc politique, même les socialistes bretons.
Acculé par l’impossibilité de soutenir rationnellement le projet d’investissement de la Compagnie des pêches de Saint-Malo dans un navire voyou, l’élu européen a donc opté pour le mensonge.
Au cours d’un échange devant les médias avec notre chargée de campagne Laetitia Bisiaux, la tête de liste des Républicains a reconnu implicitement la nature frauduleuse des activités du navire-voyou et a tenté de démontrer que le navire allait se moraliser à l’avenir sur la base d’un raisonnement erroné qui omettait l’essentiel. M. Bellamy a notamment dit :
M. Bellamy a ainsi écarté un fait central : l’Annelies Ilena, anciennement baptisé « Atlantic Dawn » a toujours été un navire européen. Irlandais, néerlandais puis polonais. S’il pêche dans le monde entier, c’est parce qu’il bénéficie d’accords de pêche grassement payés par le contribuable européen. [3]
> Voir notre dossier en ligne pour plus de détails.
L’Annelies Ilena, immatriculé en Pologne ne dispose d’aucun quota de merlan bleu, un poisson qui entre dans la fabrication du surimi. Florian Soisson, le PDG de la Compagnie des Pêches de Saint-Malo doit donc, pour pouvoir exploiter le navire, obtenir que la France transfère ses quotas de merlans bleus vers la Pologne. Mais la Pologne n’a, a priori, pas de quotas à offrir à la France en échange, ce qui rend illégal ce « transfert » de quotas qui se trouve être, de fait, un « abandon » de quotas.
M. Bellamy, soutenu par le sénateur M. Alain Cadec, a affirmé à plusieurs reprises le contraire, en soutenant que le transfert était autorisé car « c’est dans les quotas européens », qu’il était « parfaitement légal. » M. Bellamy a même affirmé : « pour une fois qu’au contraire la France reprend des quotas, c’est plutôt pas une mauvaise opération.»
Ces affirmations inexactes font l’impasse sur la distinction à établir entre transfert d’antériorités d’un navire (article R. 921-41 du code rural et de la pêche maritime) et échanges de quotas. BLOOM a mis en lumière le caractère illégal du projet envisagé d’exploitation du navire Annelies Illena par la Compagnie des pêches de Saint-Malo au regard des règles encadrant les échanges.
Les échanges entre États membres sont possibles sous réserve de prévoir des contreparties équilibrées et de permettre le respect de l’un des principes fondamentaux de la politique commune de la pêche : le principe de stabilité relative. Celui-ci implique le maintien d’un pourcentage fixe entre les États membres pour la répartition des possibilités de pêche concernant chaque stock halieutique (règlement n°1380/2013, considérants 35 à 36 et article 16). Il doit en outre faire l’objet d’une notification à la Commission européenne (article 16 paragraphe 8 du règlement n°1380/2013).
Or, il n’existe aucune information sur les conditions de l’échange pour que les quotas français puissent bénéficier à l’Annelies Ilena, sous pavillon polonais. Nos questions détaillées à ce sujet se sont d’ailleurs heurtées au mutisme intolérable du gouvernement. Faute de réponse, nous comprenons que rien n’est prévu. Ainsi loin de bénéficier à la France, un transfert de quotas serait clairement désavantageux et donc illégal, la France délaissant ainsi des capacités de pêche qui pourrait profiter à ses propres pêcheurs.
Pour en savoir plus, lire nos courriers adressés à Christophe Béchu concernant l’illégalité de cette opération du 7 février 2024 et du 22 mars 2024.
Pour obtenir l’abandon illégal du quota français de merlan vers la Pologne, la Compagnie des Pêches de Saint-Malo exerce un levier classique des industriels : le chantage à l’emploi. La société a même déjà mis les marins du Joseph Roty II au chômage partiel pour faire pression sur le gouvernement.
Mais contrairement aux allégations de la Compagnie des Pêches de Saint-Malo, c’est l’investissement dans l’Annelies Ilena qui menace les emplois des marins et non le blocage des quotas. Il est évident que la société polonaise ne va pas licencier des marins polonais pour embaucher des marins français. Actuellement, l’Annelies Ilena pêche au Chili alors que les marins français sont mis au chômage, ce qui prouve que le navire peut se passer des marins français. Nous avons demandé pourquoi les marins n’avaient pas embarqué. A court d’arguments face à ces faits accablants, M. Bellamy n’a pas répondu à la question et a rétorqué un mensonge : « le dommage c’est que le bateau soit empêché de mettre en œuvre le projet de pêche pour lequel il a été acquis. ». Or, le navire n’a pas été acquis par la Compagnie des pêches de Saint-Malo : l’entreprise a simplement délocalisé son usine qui était à bord du Joseph Roty 2 sur l’Annelies Ilena. Elle n’est aucunement propriétaire de ce navire.
Le véritable bénéficiaire de cette transaction est la multinationale néerlandaise Parlevliet & van der Plas (P&P), propriétaire de l’Annelies Ilena et qui détient aussi la Compagnie des pêches de Saint-Malo. P&P achète des navires en Europe pour accumuler des quotas, devenant ainsi l’une des plus grandes entreprises de pêche en Europe. P&P détient 170 filiales à travers le monde. [4] Elle est, entre autres, propriétaire d’une dizaine de navires-usines immatriculés en Allemagne, en Pologne, en Lituanie et aux Pays-Bas, dont le Jan Maria baptisé le 5 avril dernier.
« La Compagnie des pêches de Saint-Malo n’est rien d’autre que l’émissaire français des intérêts industriels néerlandais. Le déplacement de M. Bellamy ne vise certainement pas à « rencontrer des pêcheurs » mais de voler au secours du consortium industriel le plus puissant d’Europe, propriétaire de la Compagnie des pêches de Saint-Malo. Ces gens-là ne défendent pas la pêche mais leur capital. Les poissons ne sont que des commodités pour eux. A travers l’Annelies Ilena, ce qui se joue en réalité, c’est l’accaparement des quotas français par un géant industriel en phase de constituer un monopole » condamne Laetitia Bisiaux, chargée de projet à BLOOM.
Un chalutier pélagique crée dix fois moins d’emplois qu’un navire de petite pêche. M. Bellamy et d’autres élus seraient bien inspirés pour défendre les emplois de démanteler les navires-usines et d’assurer une répartition équitable des quotas de pêche envers les pêcheurs artisans, concurrencés de façon déloyale par les navires industriels. Mais se battre pour l’emploi n’est pas du tout la priorité des élus Les Républicains, au service assumé et revendiqué publiquement, comme lors de l’opération Saint-Malo, des intérêts industriels.
> Pour sortir la vision productiviste dépassée des élus de droite, lire l’étude « Changer de cap » qui évalue les différents segments de la flotte en se basant sur 10 critères.
[1] https://saint-malo.maville.com/actu/actudet_-quotas-francois-xavier-bellamy-au-chevet-des-salaries-de-la-compagnie-des-peches-a-saint-malo-_fil-6293659_actu.Htm
[2] C’est ainsi que le navire a été baptisé par les Mauritaniens, qui l’ont chassé de leurs eaux en 2007.
[3] Atlantex, fondée en 1997, n’exploitait à l’origine que des navires de pêche dans l’Atlantique Nord. Aujourd’hui, la flotte d’Atlantex opère principalement dans l’Atlantique Nord-Est et dans le Pacifique Sud dans le cadre de la convention de l’Organisation régionale de gestion des pêches du Pacifique Sud (SPRFMO). Source: https://aldaholding.com/about-us/investments/atlantex/
[4] P&P possède 43 navires de pêche et plus de 170 filiales actives dans 19 pays (majoritairement aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, au Danemark et au Royaume-Uni). https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2018/629176/IPOL_STU(2018)629176_EN.pdf