31 mars 2022
BLOOM et six ONG (ClientEarth, LIFE, Oceana, Our Fish, Environmental Justice Foundation et Défense des milieux aquatiques) ont demandé au Commissaire européen aux affaires maritimes et à la pêche, Virginijus Sinkevicius, l’ouverture d’une enquête administrative sur le contrôle de la pêche pélagique néerlandaise. Dans les faits, le système de contrôle défaillant des Pays-Bas encourage la fraude et la surpêche.
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Un contrôle efficace des captures au moment du débarquement est indispensable à la lutte contre la pêche illégale et les fausses déclarations. Les données de captures permettent en outre de s’assurer du respect des quotas de pêche. Pourtant, les Pays-Bas ne respectent pas les règles en matière de contrôle fixées par le règlement européen. Le 30 octobre 2020, la Commission européenne a donc envoyé une lettre de mise en demeure invitant l’État néerlandais à modifier ses pratiques et à se conformer au règlement de contrôle. Cette lettre est la conséquence d’un certain nombre de lacunes graves que la Commission avait identifiées en matière de pesage et d’enregistrement des captures.
Malgré cette mise en demeure, une enquête menée par des journalistes d’investigation néerlandais en 2021 a révélé des défaillances graves dans le système de contrôle des pêches du pays. Ces journalistes soulignent notamment que seuls deux inspecteurs sont chargés de contrôler les 400 millions de kilos de poissons pélagiques débarqués aux Pays-Bas chaque année. L’une des raisons évoquées pour justifier ces contrôles insuffisants, est la crainte de voir les entreprises débarquer leurs prises ailleurs qu’aux Pays-Bas si les contrôles devenaient trop stricts. Un comble.
En l’absence de changement, le 9 février 2022, la Commission européenne a renvoyé un avis motivé avec un délai de deux mois pour prendre les mesures nécessaires, faute de quoi la Commission pourrait décider de saisir la Cour de justice de l’Union européenne.
En réponse à l’avis motivé avec délai de deux mois envoyé par la Commission européenne, les Pays-Bas ont mis en place des mesures. Elles sont effectives depuis le 1er avril.
Le plan de contrôle qui annonçait ces mesures en février dernier ne décrit que succinctement les différentes procédures administratives et d’inspection. Il ne dit rien des éléments mis en oeuvre pour arriver concrètement à un renforcement des contrôles. De plus, il n’est fait mention d’aucune sanction, alors qu’en France par exemple, les dérogations pour la pesée après transports décrivent les risques encourus en cas de manquement. Enfin, s’agissant des inspecteurs, le texte stipule qu’ils doivent être présents “régulièrement” sur les sites et dans les criées… Sans indication temporelle précise, on ne peut que douter de l’efficacité de ce “changement”.
Il est évident que les Pays-Bas tentent de contourner une fois de plus les impératifs des règlements européens.
Le fléau de ces soi-disant contrôles ne s’arrête pas aux frontières néerlandaises… À Boulogne-sur-Mer en France, les pêcheurs dénonçaient depuis 2010 l’acheminement par camion réfrigéré, jusqu’aux criées néerlandaises, des captures déchargées des senneurs démersaux battant pavillon néerlandais ou appartenant à des entreprises néerlandaises car aucun contrôle n’avait lieu entre le débarquement à Boulogne et la vente dans les criées, alors que le règlement européen l’exigeait – une obligation de pesée au débarquement est en effet prévue par l’article 60 du règlement 1224/2009.
En conséquence, les pêcheurs français se sont mobilisés au printemps 2021 avec l’aide de BLOOM pour demander à la ministre de la Mer, Mme Annick Girardin, une pesée systématique des captures. Après les blocages réguliers des navires qui débarquaient, le gouvernement français a finalement mis en place cette mesure en janvier 2022. Cependant, les principaux acteurs industriels cherchent à s’affranchir de cette obligation de pesée pour pouvoir continuer à frauder en toute quiétude.
Ils cherchent à faire agrandir la zone de débarquement des navires étrangers, délimitée par une ligne jaune, afin de permettre le traitement d’un plus grand nombre de navires et de perdre moins de temps de pêche… donc l’extension de cette zone aurait pour conséquence de baisser le niveau de rigueur des contrôles. Le Néerlandais Andries de Boer, qui détient entre autres l’Armement boulonnais, a publié sur Twitter sa volonté de doubler la longueur de cette zone.
À l’heure actuelle, le Président du Comité Régional des Pêches Hauts-de-France (CRPMEM Hauts-de-France) est mobilisé pour que les mesures systématiques restent en place. Cependant, les élections aux Comités Régionaux des Pêches et au Comité National des Pêches pourraient rebattre les cartes et amplifier la voix des industriels déjà très forte, si l’Union des Armateurs à la Pêche de France (UAPF) remportait les élections du CRPMEM Hauts-de-France. En effet, Xavier LEDUC est à la fois président de l’UAPF… et Directeur Général de l’armement Euronor, filiale du géant néerlandais Parleviet & Van der Plas. Geoffroy Dhellemmes, le suppléant de cette liste, est le Directeur Général de France Pélagique, filiale d’un autre armement néerlandais, Cornelis Vrolijk.
Face aux pressions exercées par l’industrie néerlandaise, le gouvernement français ne doit pas céder. Face aux pseudo réformes de contrôle publiées par le gouvernement néerlandais et effectives depuis le début du mois, il serait fondamentalement ridicule et inapproprié de la part de la Commission européenne de formuler une troisième mise en demeure. La véritable mesure à prendre, et qui aurait dû être décidée depuis longtemps par la Direction Générale des Affaires Maritime et de la Pêche (DG MARE), est donc celle demandée dans la lettre que nous avons co-signée : l’ouverture d’une enquête administrative aux Pays-Bas, pour enfin mettre en lumière les dossiers restés dans les tiroirs.