28 avril 2024
Ce matin, 29 avril, le ministre de la transition écologique Christophe Béchu doit arbitrer s’il autorise l’exploitation par la France du plus grand chalutier pélagique du monde : le gigantesque « Annelies Ilena » de 145 mètres.
Rappel des enjeux en 4 actes.
En janvier 2024, BLOOM révèle que le gouvernement français n’a pas trouvé mieux pour démarrer ‘l’Année de la Mer » que d’autoriser la Compagnie des pêches de Saint-Malo, spécialisée dans le surimi, à investir 15 millions d’euros dans le navire le plus décrié du monde.
Le chalutier de 145 mètres « Annelies Ilena », autrefois baptisé « Atlantic Dawn », est dépeint comme « la plus grande machine à tuer les poissons que le monde ait jamais vue » par l’écrivain Charles Clover et comme le « navire de l’enfer » par les Mauritaniens qui l’ont chassé de leurs eaux en 2007.
Le 15 février, BLOOM manifeste à Saint-Malo avec pêcheurs, ONG, élus et citoyens contre ce navire maudit au niveau planétaire.
Notre mobilisation paye : le gouvernement suspend son accord au « transfert de quotas » dont le navire dépend.
1ère victoire.
La mobilisation monte contre le gigantisme industriel et la feuille de route désastreuse de la région Bretagne. Notre manifestation avec @PleineMerAsso à Saint-Malo a réuni pêcheurs, associations et élus.
Le Président @LoigCG a répondu publiquement.
Le hic… pic.twitter.com/ZJoAJolJSo— Claire Nouvian (@ClaireNouvian) February 15, 2024
De quoi s’agit-il ?
Le surimi est principalement fabriqué à partir du merlan bleu. Pour pouvoir le pêcher, un État doit y être autorisé par Bruxelles et posséder un « quota » spécifique pour l’espèce. La France a 53 000 tonnes de quotas annuels de merlan bleu.
Mais problème…
L’Annelies Ilena est en fait enregistré en… Pologne ! Or la Pologne ne possède pas de quota de merlan bleu. La Compagnie des pêches dépend donc, pour pouvoir exploiter le navire, du feu vert de la France qui doit accepter de transférer son quota de merlan bleu vers la Pologne.
Mais en échange de quoi au fait ?
De RIEN.
La Pologne n’a rien à nous offrir en échange.
La France se dépouillerait de milliers de tonnes de quotas pour simplement acheter de la pâte de merlan bleu pour une usine à Saint-Malo qui dépend déjà de l’importation de pâte de poisson. C’est le premier, mais pas le seul problème.
En abandonnant un énorme morceau de quota qui pourrait continuer à être pêché par des navires français, la France n’agirait pas exactement pour « rien », car il existe un gagnant incontestable dans l’affaire.
Ce gagnant, c’est le consortium industriel néerlandais Parlevliet & van der Plas qui a inauguré récemment en Allemagne le chalutier « Jan Maria » de 88 mètres : nous avions réussi à nous infiltrer dans leur événement tenu secret.
BLOOM infiltre l’inauguration secrète d’une machine d’extermination de l’océan
Revoilà donc les mêmes industriels assoiffés de profits. Le groupe Parlevliet & van der Plas (P&P) est le propriétaire de l’Annelies Ilena, qu’ils ont immatriculé en Pologne.
Alors, qu’est-ce qui se joue réellement dans cette affaire ?
En réalité, P&P rachète des navires partout en Europe pour concentrer les quotas et devenir l’une des entreprises de pêche les plus puissantes au monde. P&P a réussi à convaincre la Compagnie des pêches de Saint-Malo d’investir dans leur navire-usine pour un peu de pâte à surimi. En échange, P&P fait main basse sur le quota français.
La grenouille néerlandaise devient plus grosse que le bœuf français… et la Compagnie des pêches de Saint-Malo contribue à la destruction des pêches côtières françaises.
C’est un plan résolument machiavélique, une étape majeure pour consacrer la puissance irréversible des industriels sur l’océan. On plonge ici au cœur de la spéculation cynique des industriels pour qui les poissons sauvages ne sont que des volumes qui permettent d’augmenter leur puissance financière.
Le pouvoir des industriels néerlandais est devenu démesuré et totalement malsain pour nos institutions. C’est pourquoi il se joue ici également un enjeu pour nos démocraties. Nous ne devons pas laisser la France renforcer la puissance devenue hors de contrôle de ces géants industriels.
Mais ce n’est pas tout.
Il y a une faute morale qui pourrait même être sanctionnée dans cette affaire, car dans cette transaction, il ne s’est jamais agi d’autre chose que d’investissement industriel pour obtenir de la pâte de poisson pour fabriquer du surimi.
La souveraineté alimentaire de la France ? Rien.
La préservation de nos quotas et de nos capacités de production ? Rien.
Le maintien des emplois et le bien-être des marins ? Rien de rien.
Pourtant, la Compagnie des pêches de Saint-Malo ne s’est pas privée d’utiliser l’argument-massue des industriels pour faire pression sur les pouvoirs publics et obtenir des décisions qui leur sont favorables : le chantage à l’emploi. L’entreprise met la pression à l’État pour obtenir le transfert de quotas français vers la Pologne alors que le navire a DEJA son personnel navigant et qu’il n’est pas question pour les marins français d’être embauchés sous contrat polonais. En outre le navire n’a pas besoin d’eux.
Le chantage à l’emploi infondé n’est pas seulement immoral, il est illégal.
Le Sénat a sanctionné en 2023 le lobby du pesticide Phytéis précisément pour ce manque de probité.
Ce qui se joue, ce n’est pas seulement une décision majeure pour l’océan et les pêcheurs français, mais une opposition de principe aux outrances de la pêche industrielle.
Nous demandons à M. Christophe Béchu :
1) De s’opposer « totalement, clairement et fermement » au gigantisme industriel et d’annuler définitivement le transfert du quota français de merlan bleu vers la Pologne.
2) De démanteler le navire « Joseph Roty 2 » que l’Annelies Ilena était supposé remplacer. Il ne faut absolument pas que ce navire-usine de 90 m de la Compagnie des pêches de Saint-Malo soit vendu pour éviter le risque très réel de le retrouver à piller les eaux du Sud.
3) D’interdire les navires industriels de plus de 25 mètres de toutes les eaux côtières françaises (12 milles nautiques), conformément à l’engagement de Stéphane Séjourné en juillet 2023, chef de la délégation macroniste française du Parlement européen.
4) De s’opposer au monopole des géants industriels par une loi anti-trust européenne pour le secteur de la pêche.
La seule décision compatible avec l’état d’urgence de la planète est de s’opposer au gigantisme industriel ravageur des océans.