18 novembre 2014
1ère version postée le 23 novembre 2013.
Après le succès fantastique de la BD de Pénélope Bagieu sur la pêche profonde (plus de 879 000 signatures à la pétition de BLOOM), les lobbies ont contre-attaqué en diffusant des informations fausses, non justifiées, sans références ou sources permettant d’en vérifier le sérieux ou la légitimité. Les informations démentent évidemment les faits scientifiques parfaitement robustes que contient la BD de Pénélope Bagieu et tentent en même temps de dénigrer BLOOM. Nous assistons à une entreprise structurée de désinformation et de décrédibilisation, associée à un harcèlement des médias visant à faire naître une fausse controverse ainsi que le doute sur la véracité des faits avancés par BLOOM.
Le Comité National des Pêches Maritimes (CNPMEM) a même acheté une page de publicité dans Le Monde pendant trois jours d’affilée (du 8 au 10 décembre inclus) pour dénigrer les ONG avec une agressivité extraordinaire.
Voir l’article de BLOOM sur les réseaux qu’ils mobilisent et les méthodes qu’ils utilisent avec l’aide du cabinet de lobbying G Plus Europe.
Le 2 juillet 2014, l’Ifremer a rendu publiques sur ordre de Ségolène Royal des données sur les activités de pêche profonde en France que les ONG réclamaient depuis le Grenelle de la Mer en 2009 ! Ces données inédites révèlent les mensonges des autorités françaises sur la pêche profonde et une position injustifiable de la France sur la réforme du règlement européen. Voir le communiqué des ONG et l’analyse des données que nous avons faite.
Claire Nouvian a répondu à toutes les questions des internautes dans un « tchat » sur le site de Libération, y compris sur les supposés liens de BLOOM et l’argent du pétrole (à l’époque où les ONG gênaient les pêcheurs industriels surexploitant le thon rouge, BLOOM était supposée être financée par l’argent japonais des fermes de thon rouge en Méditerranée !…)
Dans une lettre écrite en soutien à BLOOM dans sa procédure auprès de l’Autorité de régulation de la publicité, des chercheurs éminents expliquent pourquoi limiter les mesures de conservation des océans profonds à la protection des seuls EMV est inefficace étant donné la nature des espèces et la répartition des écosystèmes sensibles en profondeur.
Les élues PS au Parlement européen Catherine Trautmann et Isabelle Thomas disent dans la presse que 90% des fonds marins seront épargnés par le chalutage profond qui y sera interdit. RIEN DE TEL N’EXISTE dans le texte adopté, c’est une pure invention qui questionne sur le sérieux des individus qui utilisent leur parole publique pour proférer des choses aussi fausses.
Voir le texte adopté par le Parlement.
Par ces actes, les lobbies industriels et Intermarché ont confirmé leur stratégie, basée sur la communication plutôt que sur l’amélioration des pratiques. Contrairement à d’autres enseignes (Casino, Carrefour et Auchan par exemple ont mis en place, à divers degrés, des politiques d’approvisionnement durables en poisson, voir le classement des supermarchés de BLOOM), Intermarché a préféré investir massivement dans la publicité pour vanter les mérites fictifs de sa flotte, notamment par le biais d’une grande campagne télévisée.
Dans cet esprit, Intermarché s’est même fabriqué un label sur mesure (« pêche responsable »), selon un cahier des charges privé établi avec ses propres critères, non disponible publiquement et non consultable même sur demande. BLOOM a ainsi obtenu en juin 2012 l’interdiction d’une publicité des Mousquetaires qui osait affirmer que les poissons profonds qu’ils pêchaient avec des chaluts de fond étaient issus de cette fameuse « pêche responsable » auto-proclamée et aux critères non transparents alors que les chercheurs parlent au contraire du chalutage profond comme de la méthode de pêche « la plus destructrice de l’Histoire » (voir la lettre de soutien des chercheurs à BLOOM dans la plainte déposée contre la publicité mensongère d’Intermarché auprès de l’Agence de Régulation Professionnelle de la Publicité – ARPP).
Pour finir, les révélations de BLOOM sur la sous-performance économique de cette pêche (déficitaire, subventionnée) ont exposé publiquement l’opération des conglomérats industriels pour obtenir accès à une ressource subventionnée (seuls les groupes peuvent pratiquer une pêche déficitaire puisque le bénéfice se fait au niveau des consommateurs finaux).
Après les analyses que BLOOM a réalisées des comptes audités et certifiés par KPMG de la flotte d’Intermarché, Intermarché a cessé de publier les comptes de sa flotte Scapêche et a publiquement clamé être rentable et non subventionné. Après plusieurs demandes amicales, BLOOM a dû assigner la Scapêche en référé pour que celle-ci se résigne à publier les comptes (en janvier 2013). BLOOM a ainsi montré que la flotte d’Intermarché avait menti en affirmant des propos qui contredisaient objectivement leurs propres comptes.
Ce qui se produit actuellement n’est qu’un épisode (l’ultime ?) d’une longue entreprise d’intimidation des lobbies de la pêche industrielle qui tentent de faire croire que la pêche profonde au chalut suscite un débat scientifique controversé alors que rien de tel n’a lieu dans la communauté scientifique, qui soutient clairement la proposition de la Commission européenne d’interdire le chalutage profond.
Les arguments des lobbies sont dénués de fondement scientifique et les données chiffrées qu’ils avancent (nombre d’emplois et de bateaux) sont injustifiées ou basées sur des études dont la méthodologie est « confidentielle » (voir la réponse du cabinet PwC à la demande de BLOOM de s’expliquer sur les estimations très surévaluées des emplois liés à la pêche profonde.)
En réalité, la Commission européenne n’a jamais proposé d’interdire TOUTE la pêche profonde mais seulement d’éliminer les méthodes de pêche profonde les plus destructrices (chalutage de fond, filets maillants de fond). Mais les lobbies n’ont jamais même mentionné la possibilité de la conversion à la palangre pour laquelle la Commission européenne leur a pourtant proposé de nouvelles subventions publiques. Pourtant une étude récente de la New Economics Foundation a pourtant révélé que si les flottes acceptaient de se convertir à la palangre, elles opteraient pour un engin de pêche qui génère six fois plus d’emplois que le chalutage profond.
Ci-dessous, vous trouverez les références scientifiques et économiques qui vous permettront de comprendre que BLOOM fonde ses positions sur des éléments objectifs et publiés.
Nous ne voyons pas de meilleur moyen pour mettre fin à cette tentative de création de « controverse » que de repartir aux sources. En revanche, cela prend évidemment plus de temps de répondre aux accusations avec précision et références que de les asséner, merci par avance de votre patience, nous travaillons à vous fournir tous les éléments au plus vite.
Le cabinet de lobbying G Plus Europe, rémunéré (d’après leurs propres déclarations) par le Comité national des pêches pour faire le lobbying de la pêche profonde au chalut (c’est-à-dire d’Intermarché) auprès des institutions européennes, a bombardé le Parlement de « newsletters » savamment appelées « Une vérité qui dérange » (« The Inconvenient Truth ») dans lesquelles ils avançaient un chapelet d’arguments erronés pour faire apparaître le chalutage comme une méthode de pêche raisonnable, certes problématique dans le passé, mais dorénavant acceptable. Cet argumentaire a provoqué l’indignation de certains universitaires qui ont directement écrit aux députés pour rétablir des données justes d’un point de vue scientifique. Voir la réponse des chercheurs aux arguments des lobbies en anglais (traduction en français ici).
Si les flottes acceptent de se convertir à la palangre, comme la Commission européenne le propose, ils opteraient pour un engin de pêche qui génère six fois plus d’emplois que le chalutage profond. C’est ce qu’a révélé le 19 novembre 2013 une nouvelle étude de la New Economics Foundation.
Nous supposons que les flottes ne souhaitent pas se convertir à la palangre parce qu’elles ne veulent pas créer des emplois : cela mènerait nécessairement à une augmentation des charges sociales et des dépenses.
Pour en savoir plus et connaître le détail des emplois liés à la pêche profonde.
70 publications scientifiques décrivent les impacts des chaluts sur les fonds, les communautés animales et la productivité des écosystèmes. Aucune publication en revanche ne tend à amoindrir l’impact des chaluts de fond opérés en grande profondeur.
Voir la liste des 70 publications
Le groupe européen de recherche « Hermione » évaluant les impacts des engins de pêche en eaux profondes avait déjà alerté la mission travaillant sur ce thème dans le cadre du Grenelle de la mer. Le questionnaire envoyé évoquait déjà des impacts potentiellement « irréversibles » d’un seul passage de chalut. Voir le questionnaire : HERMIONE_HABITAT_FINAL
En 2013, plus de 300 chercheurs internationaux se sont mobilisés pour faire interdire le chalutage profond en Europe. Voir leur déclaration de soutien à la proposition de la Commission européenne et la liste des signataires.
En 2004, plus de 1400 chercheurs s’étaient déjà mobilisés pour demander l’interdiction du chalutage profond en haute mer (en eaux internationales). Voir la déclaration et les signataires.
Dans une vidéo postée sur le site de 20 Minutes, Alain le Sann (Collectif Pêche & Développement) reconnaît que le chalutage pose des « menaces » mais il évoque aussi les palangres pour leur impact (Source 20 minutes). Toutes les pêches ont un impact, certes, mais que dit la science sur les impacts comparés ?
Les palangres sont des lignes de pêche appâtées et posées au fond des océans. Le chercheur Telmo Morato de l’Université des Açores a montré qu’une année de chalutage profond causait les impacts environnementaux de 535 à 833 ans de pêche à la palangre et qu’un passage de chalut de fond avait un impact équivalent à 296 à 1719 palangres.
Le résumé de l’article commence ainsi : « Bottom trawl fishing threatens deep-sea ecosystems, modifying the seafloor morphology and its physical properties, with dramatic consequences on benthic communities. »
Voir la présentation que ce chercheur a faite à la Commission de la pêche du Parlement européen le 17 juin 2013 (10ème diapositive).
Voir la publication scientifique de Telmo Morato et coauteurs dans la revue Nature du 29 avril 2014.
La chercheuse Angela Benn du Southampton Oceanography Centre a étudié pendant trois ans les impacts des différentes activités humaines en profondeur. Elle a publié son analyse comparative en 2010 et quantifié l’impact au sol des diverses activités. Voir les résultats ci-dessous :
A l’origine de cette imposture, un article posté sur le site de l’Ifremer (apparemment ‘en douce’, sans approbation scientifique ni débat interne sur la position de l’Ifremer) que l’on trouve ici.
Cet article est une interprétation libre, personnelle et infondée des avis scientifiques. Ses conclusions vont très vite en besogne et ne sont pas du tout du goût de l’ensemble de la communauté scientifique de l’Ifremer ou française, et encore moins internationale puisque plus de 300 chercheurs soutiennent la proposition de la Commission européenne d’éliminer les méthodes de pêche les plus destructrices. Voir ici
Ce « dossier d’actualité » de l’Ifremer au statut bâtard, sans signature ni références, ne pèse pas plus lourd que n’importe quel blog sur le Web. Il affirme des énormités qui valent leur pesant d’or :
« La durabilité de l’exploitation de ces stocks (grenadier, sabre et lingue bleue) est aujourd’hui établie »,
« Les écosystèmes profonds ont été étudiés et cartographiés, ce qui permet d’identifier les zones les plus vulnérables et de les protéger »,
« Les observations ont montré que les rejets sont largement dominés par deux espèces : le mulet noir et la grande argentine, auxquelles il faut parfois ajouter la chimère, pour lesquelles les scientifiques n’expriment pas de préoccupations. »
Cet article Web n’est donc rien d’autre que la prose d’un chercheur inspiré. A la façon de déformer les propos scientifiques à des fins politiques tout en faisant mine de ne pas en faire, on peut présumer que l’auteur est Alain Biseau, le très controversé rapporteur de la mission post-Grenelle de la Mer sur les pêches profondes. Voir la ressemblance entre le texte « alibi » des pêcheurs industriels et la vidéo d’Alain Biseau « Faut-il interdire la pêche profonde ».
N.B : Que l’Ifremer soit complice de la pêche industrielle en France n’est pas un scoop. Depuis 2005, Le Figaro a alerté ses lecteurs sur l’extrême politisation de la parole des chercheurs au sein de l’institut de recherche qui prend ses ordres directement de la Direction des Pêches Maritimes et de l’Aquaculture (la DPMA) et des cabinets ministériels. Voir ici
32 publications scientifiques internationales mettent en cause la durabilité des pêches profondes au chalut. Aucune publication ne prouve le contraire. Voir la liste.
L’ONG OCEANA a compilé les avis du CIEM sur les espèces profondes, par stock (c’est pourquoi le total dépasse 54). Il en résulte que parmi les 54 espèces d’eaux profondes incluses dans la proposition de la Commission européenne, selon le CIEM :
• 21 espèces sont considérées comme épuisées ou en risque d’épuisement
• Le statut de 26 autres espèces est totalement inconnu, car elles n’ont jamais été évaluées
• 5 espèces ont un ou plusieurs stocks qui sont dans un état stable ou légèrement négatif
• 4 espèces ont un ou plusieurs stocks qui sont dans un état inconnu, en raison d’un manque de données
• 3 espèces ont un ou plusieurs stocks qui sont considérés comme étant en bon état
Voir le document d’OCEANA et le tableau qu’ils ont réalisé ici
Ce document (à lire absolument) répond aux « mythes » suivants, que nous ne traiterons donc pas dans notre réponse puisque OCEANA l’a fait admirablement :
• Mythe 1 : Les stocks d’eaux profondes dans l’Atlantique Nord-Est seraient en « bon état » (tableau récapitulant le statut des stocks).
• Mythe 2 : Seulement quelques espèces d’eaux profondes auraient des caractéristiques biologiques qui les rendraient particulièrement vulnérables à la surpêche.
• Mythe 3 : Les pêcheries d’eaux profondes ne captureraient pas un nombre élevé d’espèces non ciblées et ne produiraient pas des niveaux élevés de rejets (très bon tableau qui récapitule les données des observations en mer).
• Mythe 4 : Interdire l’utilisation de chaluts de fond et les filets maillants de fond en eaux profondes est une mesure sans précédent (liste les interdictions antérieures du chalutage profond).
Comment peut-on oser parler de « durabilité » lorsque la plupart des espèces sont soit non évaluées soit dans un état critique ? Plusieurs espèces de requins profonds sont même menacées d’extinction. Voir le tableau ci-dessous :
De fait, en 2010, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) a déclaré que 100 % des captures de stocks d’eau profonde réalisées par l’UE étaient « en dehors des limites biologiques de sécurité ». Report of the ICES Advisory Committee, Book 11: Technical Service, 11.2.1.1., 2010.
AUCUNE publication scientifique ni AUCUN avis du CIEM ne mentionne que les pêches profondes ont atteint le Rendement Maximum Durable « RMD ». Au contraire, dans sa Communication au Conseil le 7 juin 2012, la Commission européenne mentionne :
« Un grand nombre de stocks d’eau profonde sont dans un état préoccupant. Les stocks d’hoplostète rouge, de certains requins des grands fonds, de dorade rose dans le golfe de Gascogne ainsi que de grenadier de roche sont épuisés. Pour la plupart des stocks, les avis formulés préconisent de réduire la pêche ou d’en interdire toute augmentation, à moins que la durabilité des pêcheries ne soit établie. En ce qui concerne les espèces à croissance plus rapide telles que le brosme, la lingue franche, la lingue bleue, la dorade rose et le sabre noir, il pourrait se révéler possible de déterminer des points de référence permettant une gestion des stocks durable à long terme, mais ces points de référence ne sont pas disponibles pour le moment. »
C’est sans doute du chinois pour la plupart des lecteurs et pourtant, c’est ici que tout se joue. Explication de texte : les données scientifiques ne sont tout simplement pas disponibles pour permettre une évaluation des stocks. C’est déjà suffisamment difficile de compter les poissons avec des campagnes d’évaluation scientifique, mais comment évaluer la biomasse des poissons lorsqu’on ne dispose que des données de captures des bateaux de pêche ? La réponse courte est qu’on ne peut pas.
La Commission européenne, basant ses avis sur -et synthétisant ceux émis par- le CIEM indique ainsi dans sa proposition de règlement (COM(2012) 371 final), page 3 :
« En raison de leur grande vulnérabilité par rapport à la pêche, les stocks d’eau profonde peuvent se retrouver épuisés en très peu de temps et leur reconstitution peut se révéler très longue, voire impossible. L’état biologique des stocks est, dans une large mesure, inconnu. Certains sont considérés comme épuisés, d’autres ont commencé à se stabiliser à de faibles niveaux d’exploitation. De façon générale, les pêcheries profondes ne sont pas durables. Les possibilités de pêche ont été constamment revues à la baisse depuis que l’on a commencé à les réglementer. Les données biologiques issues d’études scientifiques demeureront probablement insuffisantes pour permettre de réaliser des évaluations analytiques complètes des stocks dans les années à venir. »
Résumons : nous ne disposons pas de données pour évaluer les stocks, et à en juger par les captures réalisées par les navires, certains stocks (3 sur 54) ont cessé leur déclin historique et commencent peut-être à se stabiliser à des niveaux très bas (après une perte de biomasse souvent supérieure à 70% !). De là à nommer cela du « RMD » et de la pêche « durable », il y a un monde qu’aucun des avis du CIEM ne franchit et n’est près de franchir.
L’augmentation des quotas pour les espèces profondes pêchées par les navires français (+70% pour sabre noir et grenadier de roche) qui a eu lieu en novembre 2012 est le résultat d’une programmation politico-scientifique que nous dénonçons depuis un an et qui prend ses sources dans le Grenelle de la Mer en 2009.
La mission « Pêche Profonde » issue du Grenelle, qui s’est soldée par une démission des ONG (juillet 2010) et une dénonciation publique du rôle du rapporteur Alain Biseau (voir communiqué des ONG), a servi de banc d’essai aux industriels de la pêche qui ont découvert à cette occasion la détermination de BLOOM à protéger les océans profonds et à faire interdire la méthode de pêche la plus ravageuse pour les écosystèmes vulnérables des profondeurs : le chalutage profond.
Pendant toute la durée de la « mission », les lobbies industriels, soutenus dans leur entreprise par le rapporteur, ont évincé toutes les données qui les gênaient et ont produit un rapport très orienté, grotesque même tant les ficelles étaient grosses. L’une des astuces (parmi tant d’autres) utilisées par le rapporteur a été de ne mettre aucune référence dans son rapport puisque la production scientifique mondiale est si unanimement défavorable à la pêche profonde au chalut, que les industriels défendent bec et ongles.
Leçon prise : les quelques chercheurs de l’Ifremer fidèles aux flottes industrielles de Lorient et Boulogne-sur-Mer ont organisé la riposte de façon à consolider des avis scientifiques favorables leur permettant d’obtenir une augmentation des quotas, qui leur servirait, de façon tautologique, de « preuve » que les pêches sont durables, ce que le ministre de la Pêche Frédéric Cuvillier s’est empressé de clamer à la sortie du Conseil des ministres européens.
Pour obtenir une augmentation de quotas, il était nécessaire de faire valoir que les données concernant les pêcheries profondes étaient robustes, mais étant donné que là comme ailleurs, les seules données disponibles sont celles des navires et qu’elles sont biaisées (un pêcheur recherche les poissons, un chercheur applique une méthode rigoureuse pour les compter mais ne les recherche pas), les chercheurs ont dû « ruser » : au workshop du CIEM (WKLIFE) sur les stocks de poissons privés de bonnes données (data-poor stocks), les chercheurs français ont réussi à faire placer les stocks français d’espèces profondes en catégorie 3. La catégorie 1 étant les stocks pour lesquels on dispose de données abondantes et précises, et 7 concernant les espèces capturées accidentellement et en petit volume, soit une absence totale de données.
La catégorie 3 correspond aux stocks pour lesquels on dispose d’évaluations scientifiques indépendantes de la pêche, ce qui n’est pas le cas de ces espèces profondes. D’où le coup de maître des chercheurs français : ils ont ainsi réussi à soustraire les seules espèces profondes capturées par les flottes françaises à la logique des plafonnements pour les augmentations de quotas et ont pu obtenir une augmentation de 70 % !
Les courroies de transmission étaient bien huilées entre trois chercheurs décomplexés quant à leurs positions pro-industrie : Pascal Lorance dans le groupe de travail du CIEM sur les espèces profondes (WGDEEP) qui a pourtant longtemps publié sur les problèmes des pêches mixtes au chalut profond mais qui semble avoir changé d’avis depuis qu’il coordonne le projet DEEPFISHMAN et qu’il collabore étroitement avec les industriels, Alain Biseau (encore lui) qui représente la France au niveau du Comité d’avis du CIEM « ACOM » qui évalue les avis des groupes de travail et les transforme en avis officiel et quantifié du CIEM (voir la liste des membres) et François Théret, un collègue d’Alain Biseau de la station Ifremer de techniques des pêches de Lorient qui lui, a utilisé son statut scientifique pour infiltrer l’organe consultatif de la Commission européenne pour les questions de pêche (le Comité scientifique, technique et économique de la pêche – CSTEP) qui est notamment chargé de donner un « avis crucial » pour la fixation annuelle des totaux admissibles de captures et des quotas et d’évaluer l’avis de… ACOM. Or François Théret a rejoint la flotte d’Intermarché (Scapêche) juste après avoir été confirmé sur les listes du CSTEP, ça alors ! Voir ici. Le journal Le Monde a également révélé que François Théret n’avait pris qu’un congé sans solde de deux ans et qu’il avait donc été adoubé par sa direction pour réaliser une « mission spéciale » auprès de la Scapêche, histoire de l’aider à naviguer à travers les étapes de la réforme réglementaire qui est encore en cours.
Le règlement actuellement en vigueur pour la gestion des pêches profondes (CE 2347/2002) ne suffit pas à assurer une protection adéquate de la biodiversité et des écosystèmes extrêmement vulnérables des océans profonds ni à assurer une gestion durable des poissons qui y sont capturés.
En ce qui concerne l’impact sur les écosystèmes et tous les animaux sessiles qui forment ce qu’on nomme les « habitats marins », les nombreuses publications scientifiques tordent le cou au prétendu « impact faible » de méthodes de pêche lestées et tractées sur des environnements dépourvus de lumière et de ressources abondantes mais riches d’une immense diversité.
En ce qui concerne la gestion des pêcheries d’eaux profondes à proprement parler, une publication scientifique a mis à mal de façon quantifiée les allégations de gestion « exemplaire » proférées par l’industrie de la pêche. En effet, en octobre 2012 paraît dans la revue Ocean & Coastal Management, la première analyse systématique de l’efficacité du régime de gestion européen pour les espèces profondes. Cette publication montre la gestion désastreuse des populations de poissons profonds dans les eaux européennes.
Sebastian Villasante et ses co-auteurs (dont Claire Nouvian de BLOOM) ont analysé les recommandations scientifiques ainsi que les totaux admissibles de capture (TAC) concernant les espèces de poissons profonds entre 2002 et 2011. Ils en concluent que dans 60% des cas, les quotas fixés pour les espèces profondes sont supérieurs aux avis scientifiques, et que les captures dépassaient ensuite les quotas fixés dans 50% des cas.
Dans les cas d’excès, les captures sont en moyenne 3,5 fois plus élevées que le quota décidé, mais parfois, elles sont jusqu’à 28 fois supérieures au quota approuvé par le Conseil de l’Europe.
Cette analyse a provoqué la colère des lobbies dont l’un des arguments principaux se trouvait ainsi réduit en miettes. Ils ont pensé judicieux de tenter d’intimider les auteurs de l’étude en les sommant de retirer celle-ci ! (Voir la lettre de menace envoyée par les lobbies de la pêche industrielle ) Les auteurs ont répondu et corroboré leurs données, une fois de plus (comme l’exige de toutes façons une publication scientifique puisque pour paraître, les données sont critiquées par des relecteurs anonymes au cours d’interminables allers et retours visant à expliciter la robustesse de l’analyse). Voir la réponse des auteurs. Celle-ci a mis fin aux menaces de poursuites de leur courrier.
Si la question est de savoir si un cadre règlementaire, même mauvais, est mieux que rien, que le Far West où chacun vient se servir à sa guise, la réponse est OUI. Sans aucun doute, il était indispensable et urgent d’imposer des limites de capture, de désigner les ports pour le débarquement des espèces profondes, d’entamer un programme d’observation à la mer (mais seulement environ 10% des marées sont observées alors que les palangriers œuvrant autour de Kerguélen et Crozet ont 100% d’observateurs en mer), de devoir demander un permis de pêche spécial pour être autorisé à débarquer les espèces profondes au-delà d’un certaine quantité etc.
Ces mesures ont certainement eu les effets positifs qui peuvent être décrits de façon objective. Mais où ?
Sont-elles suffisantes pour encadrer une pratique de pêche destructrice ? Non.
Une approche monospécifique convient-elle à une pêcherie impactant des espèces extrêmement vulnérables et non évaluées ? Non.
Publication : Villasante S, Morato T, Rodriguez-Gonzalez D, Antelo M, Österblom H, Watling L, Nouvian C, Gianni M, Macho G. (2012). Sustainability of deep-sea fish species under the European Union Common Fisheries Policy. Ocean & Coastal Management. http://dx.doi.org/10.1016/j.ocecoaman.2012.07.033.
Voir le communiqué de BLOOM au moment de la sortie de l’étude
Le cadre règlementaire des pêches profondes propose une approche par quota monospécifique totalement inadaptée aux problèmes écosystémiques graves que les pêches mixtes réalisées avec des chaluts destructeurs posent.
Ainsi, après avoir décimé les populations de requins de façon vertigineuse en quelques années seulement (perte de 95% de certaines populations !), notamment en raison du squalène que contient leur foie et qui se commercialise bien pour l’industrie cosmétique (voir létude de BLOOM sur le cmmerce de squalane : https://www.bloomassociation.org/bloom-sort-une-etude-sur-le-commerce-du-squalane-dans-le-monde/), la pêche ciblée sur les requins est heureusement interdite en Europe depuis 2010.
En dépit de l’extrême vulnérabilité de ces espèces au statut menacé, la France a dépassé de façon spectaculaire son quota de requins profonds : en mars 2011 (voir Commission Regulation (EU) No 323/2011 of 31 March 2011.), la France avait déjà dépassé son quota 2011 de requins profonds de 255 % (voir : Commission Implementing Regulation (EU) No 700/2012 of 30 July 2012 operating deductions from fishing quotas available for certain stocks in 2012 on account of overfishing in the previous years.). Une situation analogue s’était produite l’année précédente en décembre 2010 (Commission Regulation (EU) No 1201/2010 of 15 December 2010.) En 2009, la France avait dépassé de 440 % son quota de requins profonds (voir page 41).
Nous avons ainsi perdu le droit de pêcher ces espèces pour le reste de l’année mais avons pu continuer à capturer d’autres espèces, dans une application illogique et contradictoire des mesures de gestion.
Autre implication de cet état de méconnaissance critique des biomasses de poissons profonds (un point d’importance pour nos impôts) : en l’absence de données scientifiques indépendantes des pêches, la question qui se pose est bien entendu celle du coût de la réalisation des campagnes d’évaluation scientifiques qui sont indispensables pour obtenir les paramètres permettant de « gérer » une pêcherie.
Or évaluer ces poissons profonds coûte très cher (minimum 25 000 Euros par jour pour un navire océanographique). Or les espèces profondes ne représentaient par exemple en 2010 que 1,2% des captures européennes de l’Atlantique Nord-Est en volume et 1,3% en valeur. Voir ici
Il est évident que d’autres pêcheries d’importance bien supérieure et souffrant encore de manques de données devraient être prioritaires pour bénéficier d’une amélioration des connaissances scientifiques. Voir l’état des stocks de poissons selon la Commission européenne, section 2, page 3 :
« Il est préoccupant que 65 % des stocks situés dans les eaux européennes ne soient pas entièrement évalués et que seuls 22 % des stocks pour lesquels des TAC ont été fixés ne fassent pas l’objet de surpêche. »
N.B : nous avons tenté de réunir les informations concernant le coût réel de la recherche publique payée par les Etats pour les armateurs industriels ciblant les espèces profondes mais l’IFREMER n’a jamais donné suite à nos demandes, pourtant insistantes, cela malgré le fait qu’il s’agisse d’argent public.
Le directeur général de la Scapêche réaffirme dans un communiqué de la flotte (21/11/13) « Le faible impact du chalut sur les fonds marins ». Et dans un article de Ouest France « Bloom évoque des bulldozers qui arrachent tout, coraux compris. L’impact n’est pas nul, convient l’armement, mais nos matériels, qui travaillent sur des fonds de sable et de vase, ne labourent pas le terrain comme on essaie de le faire croire. » Voir ici
Voir les chiffres-clef de la pêche profonde
[1] Cairns SD. 2007. Deep-Water Corals: An overview with special reference to diversity and distribution of deep-water Scleractinian Corals. Bull Mar Sci 81(3): 311-322. See also Kitihara, M.V., S.D. Cairns, J. Stolarski, D. Blair, D.J. Miller. 2010. A comprehensive phylogenetic analysis of the Scleractinia (Cnidaria, Anthozoa) based on mitochondrial CO1 sequence data. PLOSOne DOI: 10.1371/journal.pone.0011490.
[2] Davies AJ, Wisshak M, Orr JC, Roberts JM. 2008. Predicting suitable habitat for the cold‐water reef framework‐forming coral Lophelia pertusa (Scleractinia). Deep Sea Research Part I: Oceanographic Research Papers 55:1048–1062. See also WGDEC 2010, p. 58 and 60.
[3] See, for example, Hogg, M.M., Tendal, O.S., Conway, K.W., Pomponi, S.A., van Soest, R.W.M., Gutt, J., Krautter, M. and Roberts, J.M. 2010. Deep‐sea Sponge Grounds: Reservoirs of Biodiversity. UNEPWCMC Biodiversity Series No. 32. UNEP‐WCMC, Cambridge, UK., and Klitgaard, AB. 1995. The fauna associated with outer shelf and upper slope sponges (Porifera, Demospongiae) at the Faroe Islands, northeastern Atlantic. Sarsia 80: 1–20.
La pêche profonde durable ? Une imposture de quelques chercheurs lorientais de l’Ifremer.
Gilles Boeuf, Président du Muséum national d’Histoire naturelle – France
Philippe Cury, Directeur de recherche à l’IRD – France
Rainer Froese, Chercheur à l’Institut Geomar – Allemagne