Association Bloom

Contre la destruction de l'océan, du climat et des pêcheurs artisans

Une ONG 100% efficace

Vous mobiliser Faire un don

25 février 2018

Réponse à l’article de Médium

Dans un article du 20 février 2018 paru sur le site Médium, BLOOM a été accusée d’avoir « dress[é] un portrait partial [de la pêche électrique] en piochant dans les études les passages arrangeants hors contexte, démarche classique relevant de la manipulation« , reprenant ainsi les accusations de « Fake News » des lobbies néerlandais de la pêche électrique.

La qualité de la recherche néerlandaise — que nous avons dû utiliser faute de recherche indépendante réalisée par des laboratoires universitaires ou, par exemple, ceux de l’Ifremer — a déjà été épinglée plusieurs fois et nous sommes en train de développer cet aspect dans une mise à jour de notre document de plaidoyer. Si les données concernant la pêche électrique présentées dans notre document de plaidoyer sont critiquables, c’est donc parce que nous avons utilisé la « recherche » produite par les néerlandais. Cependant, notez que notre campagne n’était majoritairement pas basée sur les conséquences environnementales de la pêche électrique, mais bien sur le scandale politique qu’elle représente.

Cet aspect politique prépondérant mis à part, prétendre que nous avons omis une « réalité nuancée » n’est pas juste. Nous avons toujours reconnu que le chalut électrique était moins mauvais sur trois points précis (impact physique sur l’habitat, consommation de carburant et captures accessoires), lorsqu’il est comparé à l’une des méthodes les plus destructrices : le chalut à perche (qu’il remplace). Marginalement mieux que la pire des méthodes, la pêche électrique n’est donc certainement pas révolutionnaire — si on se limite à ces trois points — et ne permet en aucun cas de remplir les objectifs sociaux et environnementaux auxquels l’Europe et la France ont souscrit au niveau international.[1] Il est maintenant crucial d’avoir une vision holistique de la gestion des pêches.

BLOOM est effectivement une ONG environnementale et militante, dont les combats se fondent sur des analyses scientifiques rigoureuses. En l’occurrence, notre équipe de chercheurs est composée, entre autres, de deux docteurs en sciences halieutiques et d’une doctorante en Science politique. Être accusés de faire passer « les objectifs militants […] avant l’honnêteté intellectuelle et le respect de la science » est donc plutôt étonnant. C’est avec grand plaisir que nous aurions échangé sur les fondements scientifiques de notre campagne et sur les points de controverse possibles, mais l’intransigeance de cette position et la mise en cause de notre campagne nous questionnent sur les motivations de l’auteur. Voici donc notre réponse, assez longue, nous vous l’accordons. Si BLOOM n’était pas rigoureuse, elle ne pourrait pas résister aux lobbies industriels et n’aurait pas les résultats qu’on lui connaît.

Nous répondons ici à cet article car il nous semble important d’y apporter de nombreuses précisions et corrections, même si nous sommes d’accord avec quelques points soulevés par l’auteur. En particulier, il est vrai que certains médias utilisent parfois des arguments farfelus sans vérifier leurs sources ou par méconnaissance du dossier. C’est clairement le cas de l’amalgame entre pêche électrique en rivière et pêche électrique en mer (cf infra).

Du reste, l’auteur publie un article à charge, sans doute afin de donner aux lecteurs un « point de vue et perspective qu’ils ne trouveront nulle part ailleurs« , ce qui constitue le mot d’ordre de Médium. Signalons tout de même que ce contrat n’est pas vraiment rempli, étant donné que la quasi-totalité des arguments avancés dans cet article nous ont déjà été opposés par les lobbies industriels néerlandais.

Nous sommes le discours contradictoire

L’auteur affirme qu’il n’y a pas eu de discours contradictoire à notre campagne. On ne pourrait être plus éloigné de la réalité, car si notre campagne s’appuie sur près d’un an d’investigation sur l’historique de la pêche électrique et sa mise en place à l’échelle que l’on connaît en Europe, les Néerlandais ont pu affirmer ce qu’ils voulaient pendant 10 ans, sans aucune forme de contradiction. Notre discours détonne et déstabilise car, par manque de coordination et d’échéance politique, ils n’ont eu strictement aucune opposition au cours de cette décennie de grâce. De plus, cette affirmation est tout simplement fausse car les lobbies néerlandais ont eu de nombreuses occasions de mettre en avant leur point de vue parallèlement à notre campagne, y compris en France. On retrouve abondamment leurs arguments dans la presse néerlandaise, mais aussi dans les communications de l’Ambassade des Pays-Bas en France, les nombreux sites créés par leur soin durant leur campagne et ce jusqu’au dernier moment avant le vote,[2] ou encore dans des infographies et documents produits en plusieurs langues.

De plus, il est important de comprendre que la proposition de 2016 de la Commission européenne de légaliser cette pratique en Mer du Nord et d’ouvrir la possibilité à une généralisation de son utilisation dans les eaux européennes — en dépit des multiples critiques — a changé la donne et catalysé la réaction des nombreux opposants en vue de l’étude de cette proposition par le Parlement. Notre entrée en jeu tardive, le 2 octobre 2017, a permis la coordination d’une campagne efficace lors de laquelle nous avons raconté l’autre pan de l’histoire, celui que les Néerlandais ne voulaient pas rendre publique. Étant donné les enjeux politiques et l’urgence de la situation, nous avons donc tiré la sonnette d’alarme.

Au sujet de la recherche

Dès son titre, l’auteur du pamphlet adopte le parti-pris des raccourcis et inexactitudes, deux choses qu’il annonce pourtant combattre par souci d’analyse critique… D’un point de vue sociologique, ce titre est un objet d’étude en soi car il coche toutes les cases du titre « clickbait », créé pour générer un maximum de clics.

Un « discours nuancé des chercheurs » qui « démolit notre alarmisme » ? Ceci revient à présenter les chercheurs comme un bloc monolithique en opposition à nos arguments, vision simpliste et fausse. Notons que l’unique chercheur interviewé dans l’article, le Belge Maarten Soetaert, a produit une recherche aussi critiquable que celle de ses collègues néerlandais. Par ailleurs, les avis — hautement politiques et prudents mais loin d’être positifs — du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) cités par l’auteur suffisent-ils à générer un discours des chercheurs qui démolit notre campagne ? Soyons sérieux… Quid des chercheurs en halieutique qui ont pris position contre cette technique de pêche ? Comme Didier Gascuel, Callum Roberts, Rainer Froese, Daniel Pauly, ou encore Marta Coll, tous signataires d’une tribune publiée dans Le Monde le 15 novembre ? Quid d’Olivier Le Pape, qui remet en question la stratégie des Néerlandais ? Quid de nos chercheurs, salariés chez BLOOM ? Comment se fait-il que l’auteur de l’article ne les ait pas interrogés ? Cela aurait certainement évité certaines erreurs et raccourcis dommageables à la qualité scientifique telle qu’elle est voulue par cet article. Enfin, les avis du CIEM sont certes plus nuancés que nos conclusions (cf infra) mais loin d’être positifs.

 

En termes de pilotage politique d’un sujet de recherche, la pêche électrique est un cas d’école. Vous aurez peut-être vu passer le site http://pulsefishing.eu, dont le but affiché avant que notre campagne ne prenne de l’ampleur était de « démontrer que la pêche électrique est durable« . Pour information, ce site a été co-sponsorisé par le laboratoire Wageningen UR (l’équivalent néerlandais de l’Ifremer), par le Ministère des affaires économiques et par le lobby de la pêche industrielle néerlandaise. Les infographies distribuées par les industriels portent l’en-tête du même Ministère ; l’Ambassade des Pays-Bas en France en fait la promotion, etc.

Il est d’ailleurs de notoriété publique que la stratégie batave était d’imposer la pêche électrique en recourant au forcing.[3] Malheureusement, cette manière de procéder ne se limite pas au  seul secteur de la pêche, puisqu’on la retrouve, par exemple, dans l’agriculture.[4] Clairement, l’expansion massive et rapide de la pêche électrique a été motivée par les économies de carburant qu’elle induit (et donc par l’augmentation substantielle des marges qu’elle garantit) bien plus que par les besoins de la recherche scientifique. Alors que l’unique raison d’octroi des dérogations pour pratiquer la pêche électrique en Europe (pratique interdite depuis 1998)[5] est la recherche, moins de 40% des navires équipés ont participé au moins une fois à de la recherche, souvent en s’auto-échantillonnant sans la supervision d’observateurs scientifiques.[6] Le CIEM a d’ailleurs soulevé ce point, en notant le caractère manifestement commercial et absolument non scientifique de la pêche électrique néerlandaise.[7] Même Adriaan Rijnsdorp, chercheur très actif sur le sujet et co-président du groupe de travail idoine du CIEM a récemment reconnu que les scientifiques néerlandais n’avaient jamais suggéré avoir besoin de 84 navires et que leur nombre était motivé par des fins économiques.[8] Auparavant, le CIEM et le CSTEP avaient déjà épinglé la piètre qualité de la recherche néerlandaise.[9]

Cette vision uniforme et généralisatrice de la recherche est dangereuse car elle passe sous silence le fait qu’il existe une controverse scientifique au sujet de la pêche électrique. Certains trouvent qu’améliorer à la marge les pires méthodes de pêche devrait être encouragé. D’autres, comme nous, pensent qu’il faut avoir une vision beaucoup plus globale, prendre en compte les aspects sociaux et se poser la question du modèle que nous voulons. Car c’est bien là, pour nous, que se situe toute la question : veut-on conserver quelques bateaux ultra-efficaces et mettre à la casse tous les autres ou bien veut-on garder l’ambition d’un maillage socio-économique fort, d’une culture littorale et d’un savoir-faire artisan ? Nous avons toujours reconnu les quelques avantages de la pêche électrique (par rapport à l’une des pires méthodes de pêche existantes) mais notre connaissance du dossier et des forces à l’œuvre nous ont convaincus de la nécessité de son interdiction totale et définitive.

L’opposition n’est pas franco-française

Dans l’article de Médium, les dires des Néerlandais suivant lesquels la bataille contre la pêche électrique serait franco-française sont répétés à l’envie. Dans la réalité, ce n’est absolument pas le cas. Les pêcheurs artisans de la Mer du Nord, certes français mais aussi belges, néerlandais ou britanniques nous font part des mêmes craintes.[10] Ils sont par ailleurs soutenus par les pêcheurs artisans des autres façades, notamment méditerranéenne.[11] Eux aussi craignent l’apparition de la pêche électrique dans leurs eaux, eaux dont l’état des ressources et des écosystèmes est déjà très dégradé. De nombreux députés britanniques ont également soutenu leurs pêcheurs et notre campagne, tout comme des ONG anglaises, écossaises, irlandaises et allemandes. Plus de 250 chefs de plus de 20 pays ont soutenu l’appel de Christopher Coutanceau (qui n’est pas une pétition). Parmi les signataires de la tribune publiée dans Le Monde le 15 novembre, il y avait des scientifiques allemands, espagnols, anglais etc. ainsi qu’une courageuse eurodéputée néerlandaise (Anja Hazekamp). Finalement, 402 eurodéputés ont voté pour l’interdiction totale de la pêche électrique, alors que les français ne sont que 74. Oui, ce vote est un camouflet pour la Commission, mais soulignons que cette dernière a autorisé en 2006 cette pratique interdite depuis 1998 contre l’avis de ses propres scientifiques.[12] Depuis, elle n’a eu de cesse de trouver des solutions pour que les Néerlandais puissent largement outrepasser le cadre légal (mais injustifiable) de 5%, passant à 10% en 2010 puis à près de 30% en 2014.

La compétition est exacerbée

L’auteur note que les « difficultés [des pêcheurs français] découlent probablement plus d’une compétition locale trop importante entre différentes techniques de pêche pour la même ressource, dont l’évolution est complexe, que de la pêche électrique per se », citant un article scientifique publié en 2016.[13] C’est intéressant… mais il y a un hic : les données de cet article ne s’étalent que de 2006 à 2013, et s’intéressent à la flotte de chalut à perche belge et non aux fileyeurs français, anglais, ou belges. Or, le premier navire électrique a été équipé en 2009 (pour des dérogations accordées dès décembre 2006 pour l’année 2007) et il n’y a vraiment eu de développement important de la flotte électrique, comme le soulignent les auteurs de cette étude, que depuis 2011. Par ailleurs, et c’est là où le bât blesse, ce n’est qu’en 2014 que le nombre de licences est passé de 42 à 84 ! Or, c’est depuis cette année 2014, non prise en compte dans les conclusions de cette étude que les pêcheurs artisans fileyeurs des Hauts-de-France et britanniques subissent une diminution de près de 70% de leurs captures. Les pêcheurs artisans avec lesquels nous collaborons ne sont pas adeptes des chaluts conventionnels, mais ils disent qu’avant l’avènement de la pêche électrique, il était possible de cohabiter. Tout le monde trouvait sa place. Cela n’est plus le cas avec la pêche électrique.

L’impact sur le fond n’est pas anodin

L’auteur insinue que, contrairement au chalut conventionnel, le chalut électrique est une bonne alternative car il ne « balaye pas les fonds marins mécaniquement » (bien qu’il ne parle plus ensuite que de « limitation sensible » de l’impact physique). On retrouve ici l’un des mensonges éhontés du lobby néerlandais, qui prétend que leurs chaluts de plusieurs centaines de kilos et 12m de large « survolent le fond, le laissant vierge de tout contact ».[14]

C’est bien sûr une affabulation des plus totales. Les recherches citées par l’auteur comme par nous montrent non pas l’absence d’impact mais un impact réduit par rapport au chalut à perche, très destructeur.[15] Cependant, il est nécessaire de formuler certaines critiques sur ces études, notamment le fait que les chaluts électriques utilisés mesurent 4,4m alors que les chaluts commerciaux en font généralement 12.[16] Par ailleurs, les observations pour les chaluts électriques sont réalisées entre 55 et 107 heures après leur passage contre 12 à 44 heures pour les chaluts à perche. Bref… on ne peut pas vraiment tirer de conclusion quant à l’impact physique du chalut électrique.

Par ailleurs, la « légèreté » (relative) du chalut électrique permet à ses utilisateurs d’aller dans des zones jusqu’alors préservées grâce à des fonds trop meubles pour y utiliser un chalut conventionnel. Ces zones, parfois pêchées par des artisans utilisant des méthodes « passives » (avec un impact très faible sur l’habitat) sont aussi malheureusement des zones d’intérêts majeurs où se reproduisent de nombreuses espèces et où les juvéniles passent la première période de leur vie. Y imposer un champ électrique nous paraît totalement absurde, d’autant plus que les recherches néerlandaises montrent déjà, avec une rigueur discutable (cf infra), que l’électricité a un effet sur l’éclosion des œufs et certains stades larvaires (comme le souligne l’auteur).

La sélectivité reste faible, tout comme la survie des rejets

Sur les vidéos mises en lignes par les pêcheurs des chalutiers électriques eux-mêmes,[17] on peut aisément distinguer des cailloux ainsi que de nombreux animaux benthiques, c’est-à-dire vivant sur le fond de l’océan ou dans le sédiment : bulots, couteaux, oursins, étoiles de mer etc. On y voit également de très nombreuses espèces « accessoires » (non ciblées) ainsi que des juvéniles (espèces ciblées ou non). La pêche électrique « améliore ainsi (modestement) la sélectivité » pour les invertébrés benthiques, certes, mais rien n’est prouvé quant à la sélection des juvéniles.[18] À ce sujet, une étude a montré que le taux de survie des juvéniles rejetés était très faible : 15% pour les plies, 29% pour les soles et 16% pour les limandes.[19] Ces taux, déjà très bas, ne tiennent pas compte de la prédation par les oiseaux ou les autres poissons une fois le poisson rejeté. Une autre étude,[20] – fondée sur une durée de chalutage d’une heure avec une tonne dans le filet, alors que les durées commerciales se situent autour de 2h avec plus de cinq tonnes dans le filet – avait estimée des taux plus élevés (mais donc non réalistes).[21]

Pêche électrique : rivière vs. océan

Dans le cas de la pêche électrique en mer (celle à laquelle nous nous sommes attaqués lors de notre campagne), il est vrai que les poissons ne remontent pas à la surface : le courant électrique (du même type que celui utilisé dans les Tasers, même si l’auteur de la critique ne semble pas apprécier cette comparaison) provoque la paralysie et la convulsion des poissons, notamment les espèces « plates » comme les soles et les plies qui vivent dans le sédiment ce qui facilite donc leur capture.

Les médias ont parfois fait l’erreur d’un amalgame avec la pêche électrique en rivière (utilisée par des scientifiques pour réaliser des comptages exhaustifs et aussi par les braconniers), mais ils sont loin d’avoir été les seuls. Il n’y a qu’à voir les centaines de tweets néerlandais qui ont fleuri sur notre fil depuis le début de notre campagne le 2 octobre dernier. Ils ont massivement utilisé des photos de pêche électrique en rivière, arguant que celle-ci était utilisée par les scientifiques pour effectuer des comptages et qu’il était donc stupide de lutter contre son utilisation en mer…

Dans la même veine, les mêmes personnes sur Twitter nous disaient également que certaines espèces d’anguilles et de raies produisaient des champs électriques bien plus puissants et que l’on devrait donc s’occuper d’interdire l’utilisation de l’électricité par ces espèces plutôt que de lutter contre « l’innovation » néerlandaise… De notre côté, notez que nous n’avons jamais utilisé le moindre argument en provenance de la pêche électrique en rivière, malgré des décennies de publications montrant son impact dévastateur. Pourquoi ? Simplement parce qu’il ne s’agit pas du même type de courant ni des mêmes conditions et que nous ne voulions donc pas nous aventurer sur ce chemin scientifiquement hasardeux.

Ironiquement, l’auteur utilise aussi une image hors-sujet en introduction de son article. Le navire illustré est le chalutier (non électrique) croate « Makarski Jadran » (nom visible à deux endroits). Nous sommes donc loin d’un navire néerlandais équipé d’électrodes… Nous pouvons légitimement nous poser la question de la rigueur de cet auteur dès l’introduction.

Chine et état des stocks

Nous nous appuyons « sur l’interdiction de la pêche électrique en Chine pour affirmer que la technique est dévastatrice pour la biodiversité« . L’article cité pointe certes du doigt l’absence de régulation, mais le problème se pose aussi en Europe : l’augmentation du nombre de navires utilisant l’électricité a été totalement incontrôlée, en opposition complète avec le principe de précaution selon le CIEM[22] et sans que des garde-fous ne soient mis en place pour empêcher l’introduction d’impacts négatifs, toujours selon le CIEM.[23] La pêche électrique cible également la crevette grise, espèce déjà surexploitée en mer du Nord et non soumise à quotas, alors que l’utilisation d’électricité peut augmenter l’efficacité de capture jusqu’à 50%.[24] Notez par ailleurs que le CIEM ne réalise pas de travaux à proprement parler : il synthétise ce qui a déjà été fait par ailleurs dans son réseau de chercheurs. Dans le cas de la pêche électrique, la recherche est principalement menée par les Néerlandais, aussi impliqués dans la production des synthèses. D’où, certainement, leur caractère moins tranché que les nôtres.

L’allusion aux totaux admissibles de captures (TAC) est aussi à relativiser. Vous l’aurez compris, nos craintes concernent les impacts sur les écosystèmes marins dans leur intégralité et pas simplement sur les espèces ciblées. Respecter les quotas pour une espèce ne signifie certainement pas ne pas avoir d’impact sur le reste de l’écosystème, chose que notre pourfendeur semble ignorer (mais qui nous rappelle l’un des arguments néerlandais). Cette vision ne se rapportant qu’à l’espèce ciblée est non à l’écosystème dans son ensemble est obsolète. De plus, le problème des fileyeurs artisans n’est pas que les chalutiers électriques respectent leurs quotas, mais qu’ils ne sont, eux, plus en mesure de pêcher les leurs et qu’ils doivent maintenant se déplacer en Normandie pour espérer trouver du poisson.[25]

Impact sur les cabillauds

L’auteur de la critique ne semble pas non plus avoir saisi que nous utilisions l’argument des colonnes vertébrales brisées pour contredire l’argument néerlandais suivant lequel le courant électrique utilisé est bénin et ne servirait qu’à « stimuler les réflexes naturels des poissons ». Que ce soit jusqu’à 70% de fractures en laboratoire ou moins dans des conditions plus réalistes n’est pas ce qui importe ici, tout comme le fait que les poissons remontés sur le pont sont morts de toute façon, que ce soit par fracture de la colonne vertébrale ou baro-trauma : quand on brise des colonnes vertébrales, ce n’est pas bénin et donc, nous supposons un impact conséquent sur l’écosystème marin dans son intégralité.

Impact sur les requins

Nous avons effectivement écrit qu’il n’y avait pas d’étude d’impact de l’électricité sur les espèces électro-sensibles (comme les requins et les raies). Pourquoi ? Tout simplement parce que les seules qui aient été réalisées sont très insuffisantes et ne constituent pas une véritable étude d’impact de l’électricité. Leur but était de démonter si l’électricité avait un impact sur la capacité des requins à se nourrir grâce à leurs électro-récepteurs (qu’ils utilisent pour chasser et se repérer). Or, dans les deux cas, les cobayes n’avaient pas besoin de chasser pour se nourrir lors de l’expérience et leurs conclusions sont donc qu’il n’y a pas d’impact avéré, alors que les protocoles ne permettent pas de mesurer cet impact… Cette critique a été en partie formulée par le CIEM[26] pour la première étude.[27] Pour la deuxième étude, beaucoup plus récente, la situation était assez similaire avec des requins disposés dans de petits bacs, n’ayant pas besoin de chasser et soumis à une seule impulsion électrique.[28] Enfin, l’espèce utilisée dans les deux cas — la petite roussette — est connue pour être extrêmement résistante et donc pas forcement la plus appropriée pour mesurer une sensibilité à quoi que ce soit…

Impact sur les œufs

Idem pour les œufs : réaliser des expériences sur des œufs et larves se situant dans la colonne d’eau (comme le cabillaud, la sole, la plie ou l’églefin) alors que les chaluts électriques opèrent au fond de l’océan n’a que peu de valeur scientifique. Les conclusions montrent pourtant que l’éclosion de ces œufs est négativement impactée par l’électricité, mais il sera nécessaire de faire de vraies expériences sur les œufs benthiques, comme par exemple ceux des harengs ou des lompes. Par ailleurs, les paramètres utilisés pour cette expérience étaient ceux de la pêche électrique à la crevette (courant unipolaire), moins nocifs que ceux utilisés pour capturer des poissons plats (courants bipolaires). Enfin, comme rappelé plus haut, les chaluts électriques étant plus légers, ils sont plus à même d’être utilisés dans des zones de reproduction et de nourricerie, ce qui, instinctivement et au regard des informations déjà existantes (notamment la sélectivité en taille incertaine), ne nous semble pas du tout souhaitable. Aucune étude d’impact sur cet aspect n’a eu lieu et les chercheurs fondent leur jugement sur des extrapolations.[29]

Impact sur les invertébrés

Dans notre plaidoyer, nous disons que l’électricité peut avoir un effet sur le système immunitaire des invertébrés, car les conclusions des études ne sont pas formelles. Il y a donc « possibilité », ce qui n’a pas été infirmé. Par ailleurs, les pêcheurs de la Mer du Nord, y compris néerlandais,[30] rapportent qu’après le passage de chaluts électriques il n’y a plus ni vers ni crevettes. Cette vision de désolation est également confirmée par le chercheur Adriaan Rijnsdorp déjà cité plus haut : « si vous prenez des échantillons directement après le passage du chalut électrique, vous ne trouverez que des animaux morts. Donc on fait les mesures deux jours plus tard, quand les charognards ont fait leur boulot« .[31]

Chefs de cuisine et qualité du poisson

Christopher Coutanceau, Chef doublement étoilé à La Rochelle, a coordonné une tribune (et non une pétition) qui a été signée par plus de 250 chefs de plus de 20 pays. Effectivement, la qualité du poisson pêché par les chalutiers électriques est déplorable. Elle est peut-être moins mauvaise que celle des chalutiers à perche conventionnels (d’où leur prix supérieur ?), mais elle reste faible comparée à la qualité des poissons pêchés par les artisans. Ici encore, les vidéos postées par des Néerlandais ou autres confirment ces témoignages,[32] même s’il n’existe pas encore de quantification scientifique. Quant aux propos prêtés à notre directeur scientifique, ce n’est pas la première ni la dernière fois que ses propos seront déformés, surtout par les médias néerlandais. Il y a eu plusieurs cas spectaculaires, notamment au cours d’une « enquête » sur le financement de BLOOM. Il n’y avait rien à redire,[33] donc il fallait bien inventer des ficelles un peu grosses.[34]

Frédéric Le Manach n’a certainement pas indiqué « ne pas connaître d’éléments supportant ces affirmations« , puisqu’il leur a dit exactement ce qui est écrit quelques lignes plus haut. Mettez sur une assiette un poisson pêché au chalut et un poisson pêché par un artisan, un Chef fera la distinction visuellement.

Alternatives à la pêche électrique

Les Néerlandais ont souvent argué que lutter contre la pêche électrique revenait à favoriser le chalut à perche, qu’il n’y avait pas d’autre alternative. En réalité, les pêcheurs néerlandais ne se reconvertiront pas au chalut à perche, contrairement à ce qui est affirmé par l’auteur de l’article, car ils savent très bien que leur faillite sera alors assurée. Ils perdaient de l’argent année après année dans les années 2000 (ce qui les a poussés à se convertir à l’électricité) et ce sera encore le cas.[35]

Il existe d’autres alternatives pour pêcher les soles et les plies dans la même zone, comme le filet maillant utilisé par les Français et les Britanniques, dont l’impact physique sur les habitats, la quantité de « captures accessoires » et la consommation de carburant sont radicalement plus faibles que ceux du chalut à perche. Alors pourquoi les pêcheurs néerlandais ne se convertissent-ils pas à ces méthodes ? Il s’agit simplement d’un manque de volonté et d’une vision productiviste des écosystèmes marins. En effet, ils considèrent les pêcheurs artisans comme des paysans moyenâgeux : capturer des petits volumes sur des petits bateaux leur semble ridicule. Pour eux, une pêche innovante, c’est un gros bateau « high tech » équipé à l’électricité. Les alternatives existent, mais ils n’en veulent pas. Et que dire de l’assertion de l’auteur de l’article dans Médium : « Il n’est pas certain que ces techniques permettent d’atteindre les TAC si elles étaient amenées à être généralisées en mer du Nord. Cela serait une bonne nouvelle pour les écosystèmes, mais les consommateurs européens risquent de ne pas apprécier« . Qu’en sait-il ? Et devrions-nous accepter l’utilisation de l’électricité dans la nature pour satisfaire notre appétit ? De plus, d’où suppose-t-il que la pêche artisanale ne pourrait pas subvenir à nos besoins alimentaires ? Il y a assez de gaspillage dans la grande pêche industrielle intensive, que ce soit en termes de rejets[36] ou bien de production de farines,[37] pour laisser une chance à la pêche artisanale.

Considérations éthiques

L’auteur termine sa diatribe par une considération pour le moins particulière et hors propos : quel est le rapport entre l’utilisation ciblée d’électricité (avec ses dérives, certes) dans les abattoirs et son utilisation non-ciblée et totalement non-discriminatoire dans le milieu naturel ? Réponse : aucun. À force de vouloir chercher de la cohérence on finit visiblement par tomber soi-même dans l’absurdité, pour reprendre les propos de l’auteur.

Notes et références

[1] Par exemple les Objectifs de développement durable de l’ONU, ou même les objectifs de la Politique commune de la pêche européenne.

[2] Leur site principal est http://pulsefishing.eu, mais il en existe plusieurs autres, comme par exemple :  https://spark.adobe.com/page/sfUr2jnBXzrNU/#1, https://spark.adobe.com/page/LTf3vpqJpgwfz/, https://spark.adobe.com/page/mU2nynW7X090j/ ou encore https://spark.adobe.com/page/9JgWl4RMfvB2W/.

[3] Voir par exemple la dernière phrase de cet article : www.trouw.nl/groen/niet-alle-nederlandse-vissers-zijn-rouwig-om-het-het-eu-verbod-op-pulsvissen~ac64ed79/ ou bien la citation de Marloes Kraan page 5 de cet article scientifique : https://academic.oup.com/icesjms/article/73/4/1235/2458968

[4] Voir par exemple : www.volkskrant.nl/binnenland/ministerie-van-economische-zaken-wist-al-1-5-jaar-van-mestfraude-veehouders~a4558668/

[5] Règlement (CE) N°850/98 du Conseil.

[6] Voir notre résumé disponible à : https://www.bloomassociation.org/wp-content/uploads/2018/02/vessels-and-research.pdf

[7] « The issuing of 84 licenses to carry out further scientific data collection is not in the spirit of the previous advice and that such a level of expansion is not justified from a scientific perspective. […] This is well in excess of the 5% limit included in the current legislation. At this level this is essentially permitting a commercial fishery under the guise of scientific research« . CIEM (2015) Second interim report of the working group on electrical trawling (WGELECTRA). IJmuiden, The Netherlands, 10-12 November 2015 Copenhagen (Denmark). Disponible à : http://ices.dk/sites/pub/Publication%20Reports/Expert%20Group%20Report/SSGESST/2015/WGELECTRA%202015.pdf

[8] « Les Pays-Bas ont transgressé la loi ces dernières années en augmentant le nombre de permis temporaires. Cela semblait expérimental, mais les chercheurs n’ont jamais rédigé de proposition pour un programme de recherche nécessitant 84 navires. […] Pêcher avec des impulsions électriques est simplement plus rentable. » www.bionieuws.nl/artikelen/pulsvissen-lopend-onderzoek-genegeerd

[9] Voir par exemple l’avis du CIEM de 2009 (disponible à : http://www.ices.dk/sites/pub/Publication%20Reports/Advice/2009/Special%20Requests/Netherlands%20Pulse%20Trawl.pdf).

[10] https://bloomassociation.org/nos-actions/nos-themes/peche-electrique/impact-sur-les-pecheurs/

[11] En Italie : http://www.lastampa.it/2018/01/11/scienza/ambiente/attualita/pesca-elettrica-il-gennaio-si-vota-in-europa-QyuzyitHpLOXtnThZrR2xK/pagina.html ; en Espagne :  https://fundacionlonxanet.wordpress.com/2018/01/09/1889/.

[12] www.bloomassociation.org/peche-electrique-nouvelles-revelations-scandale-europeen/

[13] https://academic.oup.com/icesjms/article/73/6/1485/2458780.

[14] https://spark.adobe.com/page/sfUr2jnBXzrNU/#1

[15] Depestele et al. (2016) Measuring and assessing the physical impact of beam trawling. ICES Journal of Marine Science 73(suppl_1): i15-i26.

[16] Haasnoot et al. (2016) Fishing gear transitions: lessons from the Dutch flatfish pulse trawl. ICES Journal of Marine Science 73(4): 1235-1243.

[17] Voir par exemple celle-ci : www.facebook.com/frank.wezelman/videos/1435434289877260

[18] CIEM (2017) Final report of the working group on electrical trawling, January 17–19 2017, IJmuiden (the Netherlands). WGELECTRA 2016 Report — ICES SSGIEOM Committee — ICES CM 2017/SSGIEOM:20. 36 p. Disponible à : http://www.ices.dk/sites/pub/Publication%20Reports/Expert%20Group%20Report/SSGIEOM/2017/WGELECTRA/WGELECTRA%202017.pdf.

[19] van der Reijden et al. (2017) Survival of undersized plaice (Pleuronectes platessa), sole (Solea solea), and dab (Limanda limanda) in North Sea pulse-trawl fisheries. ICES Journal of Marine Science, 74(6): 1672–1680.

[20] Depestele et al. (2014) Short-term survival of discarded target fish and non-target invertebrate species in the “eurocutter” beam trawl fishery of the southern North Sea. Fisheries Research 154: 82–92.

[21] Uhlmann et al. (2016) Injury, reflex impairment, and survival of beam-trawled flatfish. ICES Journal of Marine Science 73(4): 1244-1254.

[22] CIEM (2015) Ibid.

[23] CIEM (2016) Advice 2016, Book 1. Request from France for updated advice on the ecosystem effects of pulse trawl.

[24] Addison et al. (2017) MSC sustainable fisheries certification — North Sea brown shrimp — Peer review draft report. Acoura Marine Ltd, Edinburgh (UK). 326 p.

[25] www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/le-sud-de-la-mer-du-nord-est-un-desert-aquatique-a-dunkerque-les-pecheurs-esperent-la-fin-de-la-peche-electrique_2563213.html

[26] « These dogfish offered sardine as a food under quite simple foraging conditions, where the sharks could find the food items without any electro-receptors. Ideally, special experiments are needed to show that electroperceptive system still works in elasmobranches exposed to a strong electric field« . ICES Advice 2009, Book 1, p4. Disponible à : www.ices.dk/sites/pub/Publication%20Reports/Advice/2009/Special%20Requests/Netherlands%20Pulse%20Trawl.pdf

[27] de Haan et al. (2009) The effects of pulse stimulation on biota — Research in relation to ICES advice — Effects on dogfish. Report number C105/09 Institute for Marine Resources and Ecosystem Studies (IMARES), IJmuiden (The Netherlands). 32 p. Disponible à : http://edepot.wur.nl/133168.

[28] Desender et al. (2017) Pulse trawling: evaluating its impact on prey detection by small-spotted catshark (Scyliorhinus canicula). Journal of Experimental Marine Biology and Ecology 486: 336–343.

[29] « The assessment of the ecosystem effects of pulse trawling is based on the extrapolation of the results of experimental studies which could only show adverse effects in cod. The number of species studied, however, is rather small, and none of the Natura 2000 species listed were exposed to the commercial pulse stimulus to study their response« . ICES (2015) Second interim report of the working group on electrical trawling (WGELECTRA). IJmuiden, the Netherlands, 10-12 November 2015 International Council for the Exploration of the Sea (ICES), Copenhagen (Denmark). Disponible à : www.ices.dk/sites/pub/Publication Reports/Expert Group Report/SSGESST/2015/WGELECTRA 2015.pdf.

[30] Voir par exemple : www.trouw.nl/groen/niet-alle-nederlandse-vissers-zijn-rouwig-om-het-het-eu-verbod-op-pulsvissen~ac64ed79/.

[31] www.nrc.nl/nieuws/2018/01/26/de-schrik-kramp-en-shock-van-de-gepulste-vis-a1589961.

[32] Ici encore, voir par exemple celle-ci : www.facebook.com/frank.wezelman/videos/1435434289877260.

[33] Nos financements sont disponibles à : www.bloomassociation.org/nous-connaitre/notre-financement/.

[34] Voir cette fameuse « analyse » : www.telegraaf.nl/nieuws/1589520/waarom-nederland-alleen-staat-in-visserijdebat.

[35] Voir la Figure 2.18 page 25 : Turenhout et al. (2016) Pulse fisheries in the Netherlands — Economic and spatial impact study. Report 2016-104, Wageningen University & Research, Wageningen (The Netherlands). 32 p.

[36] Zeller et al. (2017) Global marine fisheries discards: a synthesis of reconstructed data. Fish and Fisheries.

[37] Cashion et al. (2017) Most fish destined for fishmeal production are food-grade fish. Fish and Fisheries.

Vous aussi, agissez pour l'Océan !

Faire un don
Réservation en ligne
Je réserve un hôtel solidaire

Je réserve un hôtel solidaire

Achat solidaire
Je fais un achat solidaire

Je fais un achat solidaire

Mobilisation
Je défends les combats de BLOOM

Je défends les combats de BLOOM

Contre-pouvoir citoyen
J’alerte les décideurs

J’alerte les décideurs