22 mars 2018
Alors que le chalutier électrique néerlandais le Grietje Geertruida a été arraisonné à Dunkerque pour maillage illégal [1], se sont ouvertes, lundi 19 mars 2018, les négociations qui décideront du sort de la pêche électrique comme de l’ensemble des mesures techniques mettant en oeuvre la Politique Commune de la Pêche.
Deux mois exactement après le vote massif du Parlement européen le 16 janvier 2018 en faveur d’une interdiction totale de la pêche électrique en Europe, les négociations de « trilogue » ont démarré lundi 19 mars. Ces négociations décideront si l’Union européenne interdit, ou non, cette pratique de pêche. Le trilogue réunit un nombre très restreint de représentants de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil de l’UE et se déroule entièrement à huis clos, sans observateurs ni compte-rendu officiel des négociations. C’est dans cette opacité institutionnelle soigneusement prévue par le Traité de Lisbonne que se jouera l’avenir du Règlement « Mesures Techniques ». Le but de ce règlement est de mettre en œuvre les objectifs de la Politique commune de la pêche et l’un des articles concerne la pêche à l’aide de courant électrique.
L’ensemble du Règlement « Mesures Techniques » est dénoncé par les ONG et un grand nombre de députés estiment que le texte, tel que proposé par la Commission et voté par le Parlement, constitue une régression dangereuse vis-à-vis des enjeux de conservation de la biodiversité et de reconstitution des stocks de poissons en Europe. L’interdiction totale de la pêche électrique est une mesure exceptionnellement positive dans un Règlement qui dans l’ensemble, est moins-disant par rapport au règlement actuellement en vigueur.
BLOOM et ses partenaires ONG et pêcheurs n’ont travaillé que sur la partie concernant la pêche électrique, qui, de par son efficacité radicale sur les écosystèmes, représente une menace sans précédent pour l’environnement marin et les équilibres économiques régionaux. A partir d’octobre 2017, BLOOM a révélé la réalité scandaleuse de la pêche électrique, interdite en Europe depuis 1998 mais autorisée par voie de dérogations en raison d’une décision inique de la Commission européenne à partir de la fin 2006.
Lire ici la chronologie des scandales politiques et financiers révélés par BLOOM
La France peut triompher dans les négociations si des moyens d’actions et une volonté diplomatiques réels sont mis en œuvre. Les députés français l’ont bien compris. Après un raz-de-marée consensuel et transpartisan à l’Assemblée nationale le 6 mars dernier, les députés ont appelé le Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation à mettre en œuvre une coalition d’États-membres pour former une majorité qualifiée au Conseil. Stéphane Travert avait alors affirmé son soutien à ce projet : « il y a eu, certes, un vote massif au Parlement européen, que vous avez salué sur tous les bancs, mais la position d’un certain nombre de pays est loin d’être celle qui a été exprimée à cette occasion. Il va donc falloir aller chercher ces alliés, un par un, et profiter, pour ce faire, des Conseils Agriculture et pêche. Comme je n’en manque aucun, vous pouvez compter à la fois sur ma volonté en ce sens et sur ma pugnacité. »
BLOOM félicite le gouvernement pour son changement de position et attend désormais de la France son plan d’action. BLOOM restera vigilante lors du trilogue pour s’assurer que le combat mené jusqu’ici, aux côtés des pêcheurs artisans français et européens, soit suivi par une action politique ambitieuse afin d’assurer la survie d’une pêche durable et des écosystèmes marins.
Le gouvernement des Pays-Bas a mis des moyens de lobbying à disposition des industriels de la pêche électrique. Celui-ci a déjà nommé un ambassadeur, Cees Veerman, ancien ministre de l’agriculture et des pêches des Pays-Bas, chargé de convaincre les autres pays de l’Union et les autorités européennes. De plus, comme l’a rappelé le rapporteur LREM de la Résolution votée à l’Assemblée le 6 mars dernier, Jean-Pierre Pont : « les Néerlandais disposent d’un certain nombre de moyens de pression : quotas de pêche, construction de bateaux, capitaux hollandais dans les armements français ». En effet, plusieurs sociétés de pêche françaises majeures sont passées sous capitaux néerlandais comme Euronor à Boulogne-sur-Mer ou les armements Dhellemmes de Concarneau. Ces entreprises mettent la pression aux pêcheurs français via le système totalement opaque d’attribution des quotas par les organisations de producteurs.
Il est temps que la France déploie sa force diplomatique pour défendre ses pêcheurs artisans et ses ressources : envisager un autre scénario qu’une interdiction totale de la pêche électrique en Europe n’est pas dans le champ des possibles pour l’avenir des pêcheurs européens.
[1] Lire notre article : https://www.bloomassociation.org/arrestation-dun-navire-neerlandais-pratiquant-peche-electrique/