04 juin 2018
La science a décidément joué un rôle central dans le dossier européen de la pêche électrique.
Depuis un mois, la science est utilisée par les politiciens et l’industrie de la pêche néerlandais pour tenter de légitimer la pêche électrique. Loin d’apporter de nouveaux éléments au débat, cette offensive scientifique vise à présenter la pêche électrique comme une technique de pêche durable, en la comparant notamment à l’une des méthodes de pêche les plus destructrices : le chalut à perche. Bien que les publications scientifiques aient démontré de nombreux problèmes causés par la pêche électrique, les ardents défenseurs de cette technique rejettent systématiquement ou ignorent les données qui incriminent l’utilisation du courant électrique.
Les décideurs politiques corrompus ont fait appel à la science pour légitimer l’octroi de dérogations à une technique de pêche destructrice et interdite à ce titre. Mais notre enquête a montré que l’avis scientifique que la Commission européenne utilisait pour justifier sa décision biaisée de 2006 préconisaient exactement le contraire : de ne pas accorder de dérogation pour capturer du poisson avec de l’électricité.
Mais les dés étaient jetés : les politiciens et l’industrie de la pêche, agissant main dans la main, comme c’est hélas trop souvent le cas, avaient décidé que quoi qu’il en fût, la pêche électrique se poursuivrait à une échelle commerciale aux Pays-Bas.
Ils ont ainsi de nouveau utilisé le prétexte scientifique pour justifier l’octroi de dérogations bien au-delà du seuil qu’ils avaient inscrit dans la loi via la décision initiale scandaleuse de 2006.
L’enquête d’un journaliste d’investigation néerlandais a montré que la science n’était qu’un prétexte pour mener des activités commerciales et que la grande majorité des chalutiers électriques néerlandais n’avait jamais participé au moindre programme de recherche scientifique.
Une interdiction définitive de la pêche électrique, telle que votée par le Parlement européen le 16 janvier 2018, devrait être adoptée à plusieurs titre : d’abord parce que l’interdiction de cette méthode de pêche destructive n’aurait jamais dû être levée, ensuite parce que l’utilisation d’électricité a des conséquences néfastes sur le plan écologique et social, et enfin parce que le dossier de la pêche électrique révèle combien les décisions publiques concernant la pêche sont biaisées en faveur des industriels et corrompues tant au niveau européen que national.
Pour rappel, le Parlement européen a massivement voté en faveur d’une interdiction définitive de la pêche électrique et plusieurs États membres défendent une telle position. De plus, BLOOM a déposé deux plaintes contre les Pays-Bas : l’une sur l’illégalité de la majorité des licences de pêche électrique accordées aux navires néerlandais et l’autre sur le non-respect des obligations de transparence financière de l’UE concernant les subventions publiques allouées au secteur de la pêche néerlandaise entre 2007 et 2014.
Face à cette situation, les défenseurs de la pêche électrique ont mobilisé la science pour une mission politique spéciale : sauver la pêche électrique d’une interdiction à l’échelle européenne. Les autorités publiques (Commission européenne, gouvernement néerlandais) et l’industrie de la pêche (VisNed, Vissersbond, EMK) sont si profondément impliquées dans ce scandale européen que leurs destins sont désormais liés : elles sont prêtes à tout pour éviter de prendre la responsabilité de ce dossier honteux.
Les pions scientifiques ont été alignés de façon à produire les arguments nécessaires à un coup politique : conclure les négociations de l’UE sur la pêche électrique (dans le cadre des négociations du « Trilogue » sur le règlement « Mesures techniques ») sans interdire cette méthode de pêche destructrice. Les défenseurs de la pêche électrique avaient besoin d’un subterfuge suffisamment puissant pour enterrer le scandale multi-facettes de la pêche électrique. Et ils l’ont fait.
Pour commencer, l’Institut belge de recherche agricole et halieutique (ILVO) a publié des données extravagantes affirmant que l’électricité augmentait la survie des embryons (!), puis le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) a publié sa réponse à une demande du gouvernement néerlandais sur la pêche électrique : rien de nouveau dans les données qu’ils présentent mais le ton a changé, permettant aux défenseurs de la pêche électrique de la qualifier de « durable ».
Selon BLOOM, l’opinion scientifique du CIEM est particulièrement choquante parce que la science sert si ostensiblement des objectifs politiques qu’elle contredit la mission même de cet organisme scientifique international. BLOOM a donc demandé au CIEM d’être totalement transparent sur le processus de rédaction qui a conduit à la production d’une réponse scientifique aussi scientifiquement faible que politiquement orientée.
Simultanément, BLOOM a demandé à l’Institut de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, de divulguer les données qu’ils détiennent sur la mortalité juvénile due au courant électrique. IFREMER a été sollicité par une écloserie de bar (Aquastream) située en Bretagne pour comprendre les raisons des taux extrêmement élevés de mortalité juvénile dont ils souffraient. L’un des facteurs pouvant expliquer ces mortalités élevées semble avoir été la présence de faibles courants électriques dans les bassins d’élevage. Cet élément essentiel de nature à influencer de façon décisive les négociations européennes devrait être disponible publiquement, mais il ne l’est pas. Au contraire, l’IFREMER a supprimé toutes les mentions de son existence sur son site internet.
Des organisations de pêcheurs et des ONG ont uni leurs forces pour faire campagne en faveur d’une interdiction totale de la pêche électrique. Aujourd’hui, cette coalition d’acteurs de la société civile et de professionnels de la pêche publie une position commune, envoyée à tous les décideurs de l’UE. Ces 25 organisations attendent des scientifiques, des États membres et de la Commission européenne qu’ils soient guidés par l’intégrité et l’impartialité lorsqu’ils prennent des décisions publiques, afin de défendre l’intérêt général contre les intérêts privés et de respecter les engagements européens pris en faveur de la restauration des écosystèmes marins, de la biodiversité, et du maintien de la pêche artisanale.
La prochaine négociation de Trilogue entre la Commission européenne, le Parlement et le Conseil devrait avoir lieu dans les prochains jours. Elle sera un véritable test de confiance dans les prises de décisions publiques. Le Parlement, les citoyens et les artisans-pêcheurs n’accepteront rien d’autre qu’une interdiction totale et définitive de la pêche électrique.
Lire le communiqué en espagnol