08 décembre 2021
BLOOM a adressé un courrier au Commissaire européen en charge de la pêche afin qu’il prenne des mesures urgentes contre le déploiement de la senne démersale : un moratoire général dans les eaux européennes. Cette technique de pêche est dénoncée par les pêcheurs pour son impact écologique et social en raison de son efficacité redoutable.
A l’attention de M. Virginijus Sinkevičius
Commissaire européen à l’Environnement, aux océans et à la pêche
Commission européenne
B-1049 Bruxelles, Belgique
A Paris, le 8 décembre 2021
Monsieur le Commissaire,
Nous nous adressons à vous pour vous alerter sur un problème urgent pour lequel nous demandons un traitement politique prioritaire. Les pêcheurs des Hauts-de-France et de Normandie vivent des difficultés majeures en raison du développement depuis une dizaine d’année de la senne démersale dans leur zone de pêche, notamment en Manche. Ils se tournent vers BLOOM car leur situation est désespérée et les autorités se sont montrées jusqu’à présent sourdes à leurs demandes.
Les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer et d’Etaples pratiquaient le chalut conventionnel jusque vers 2016/2017.1 Par exemple, voir cet article publié dans la Voix du Nord intitulé « Les pêcheurs étaplois adoptent la senne, après l’avoir bien critiquée », disponible à : https://www.lavoixdunord.fr/art/region/les-pecheurs-etaplois-adoptent-la-senne-apres-l-avoir-ia31b49030n3421821 Ils ont abandonné leurs méthodes de pêche dans un lapse de temps de cinq ans au profit de la senne démersale, qu’ils dénonçaient pourtant en raison de sa trop grande efficacité, mais qui était présentée par les industriels comme une technique permettant d’économiser du carburant et de débarquer des poissons de meilleure qualité. Encouragés financièrement par les pouvoirs publics,2
A propos de l’inauguration d’un senneur de la Scopale : « L’ancien ministre de la Mer Frédéric Cuvillier a rappelé que le financement du navire a bénéficié du mécanisme d’exonération des plus-values de cession d’une entreprise de pêche en cas de réinvestissement dans un outil neuf qui avait été décidé lors du Comité interministériel de la mer de Boulogne le 22 octobre 2015. Le président de la Région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a tenu à assurer les pêcheurs de la Côte d’Opale qu’il «était à leurs côtés».
https://www.gazettenpdc.fr/article/bientot-cinq-chalutiers-pour-scopale ils ont succombé au chant des sirènes du « progrès » et se sont convertis à leur tour à la senne démersale.
Toutefois, après une hausse temporaire des captures, les poissons ont commencé à manquer. Aujourd’hui, les témoignages des pêcheurs sont sans équivoque : leurs captures chutent et la taille des poissons diminue.3
« Quand j’ai commencé à cibler le rouget-barbet, on en pêchait dix fois plus que d’ordinaire. Et plus facilement, plus vite, en économisant le carburant. J’ai eu peur, je me suis dit que la ressource ne pourrait pas supporter ça » (président de l’OPN Bruno Thomines-Mora)
Source : https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/peche/41263-lorganisation-des-pecheurs-normands-demande-un-moratoire-sur-la-senne Les difficultés des senneurs français sont telles que certains d’entre eux se sont déjà tournés vers d’autres métiers et qu’ils demandent eux-mêmes l’interdiction de la méthode de pêche qu’ils pratiquent.
Environ 75 navires européens bénéficient d’une licence pour la senne démersale. Cette technique de pêche génère un impact environnemental inacceptable : l’empreinte spatiale de la senne est de 1,6 km2 par heure ! Les pêcheurs vivent une situation en tous points analogue à ce qu’il s’est produit avec la pêche électrique : l’efficacité des nouvelles méthodes promues par les industriels masque temporairement la dégradation profonde de l’état écologique des mers européennes, tandis que leur pression accrue porte un coup fatal à un milieu marin et des populations de poissons déjà exsangues. Le temps est venu d’ouvrir les yeux sur la réalité : l’accroissement de l’efficacité technologique est incompatible avec les impératifs de restauration écologique et de sauvegarde des emplois dans le secteur de la pêche. Les méthodes de pêche à faible impact écologique qui sont simultanément les plus créatrices d’emplois sont connues des chercheurs et plébiscitées par les consommateurs mais ce ne sont pas celles qui sont encouragées et soutenues par la puissance publique.
Aujourd’hui, les pêcheurs pratiquant eux-mêmes la senne demandent un moratoire4Voir l’article dans le Marin : https://lemarin.ouest-france.fr/secteurs-activites/peche/41039-les-pecheurs-boulonnais-demandent-un-moratoire-sur-la-senne-danoise européen sur cette technique de pêche. Ils dénoncent avec fermeté la folie de la course effrénée à l’armement à laquelle encouragent les institutions nationales et européennes, en utilisant souvent de façon fallacieuse la lutte contre le réchauffement climatique comme prétexte à des transitions qui, loin d’améliorer l’état écologique du milieu marin, le fragilisent plus avant. Les pêcheurs dénoncent également l’absence de volonté des pouvoirs publics, nationaux et communautaires, de freiner l’emprise des industriels, notamment néerlandais, sur les pêches européennes. Les pêcheurs artisans sont victimes d’une concurrence déloyale inacceptable avec des industriels puissants, qui règnent sur l’ensemble des processus de décision dans le secteur de la pêche et sont devenus les interlocuteurs privilégiés, voire uniques, des institutions. Cette situation génère un ressentiment profond parmi les pêcheurs artisans, encore majoritaires, rappelons-le, en matière d’emplois.
Les pêcheurs européens de la mer du Nord ont vécu des épisodes similaires récemment avec le cas de la pêche électrique. Même si l’Union a interdit la pêche électrique grâce à la mobilisation conjointe de BLOOM et des pêcheurs artisans européens, cette interdiction est intervenue trop tard pour les mettre à l’abri des conséquences désastreuses de ces politiques publiques. En moins de 10 ans, la moitié des fileyeurs du Nord de la France ont fait faillite, ont dû cesser leurs activités ou vendre leur bateau. Comble de l’ironie, la criée et la coopérative de Dunkerque ont fermé en novembre 2020 et les industriels néerlandais responsables de cette faillite veulent la racheter pour débarquer les captures de leurs senneurs. L’amertume est grande sur nos territoires.
Les difficultés qui s’abattent sur les pêcheurs côtiers ne sont pas le fruit du destin mais de politiques publiques inconséquentes qui encouragent, par le biais de l’efficacité technologique et du blanc-seing donné aux industriels, la surexploitation séquentielle des populations de poissons, la destruction de l’environnement et la faillite des pêcheurs artisans et de leur savoir-faire traditionnel. Les résultats du laissez-faire national et européen se traduit à l’échelle des territoires en une réalité environnementale et socio-économique qui s’inscrit à l’opposé strict des objectifs affichés de l’UE en matière de gestion du secteur de la pêche.
Nous vous alertons sur le besoin impérieux de mettre fin à ces scénarios catastrophes qui minent la crédibilité des pouvoirs publics et des institutions européennes et génèrent destruction environnementale et désolation socio-économique sur les territoires. Nous vous demandons d’agir par tous les moyens exécutifs et législatifs qui sont à votre disposition pour mettre fin au plus vite au désastre en cours. Etant donné la fragilité économique des acteurs côtiers, nous ne disposons pas de plusieurs années devant nous pour absorber la lenteur des processus législatifs. Nous demandons un acte politique prompt, volontaire et clair pour réparer les erreurs fatales générées par la puissance publique : nous demandons un moratoire européen immédiat sur la senne démersale.
Après la pêche électrique, il n’est plus acceptable que l’environnement et les pêcheurs paient de nouveau le prix de politiques publiques n’ayant pas, au préalable, appliqué le principe de précaution, comme elles auraient dû le faire. La foi aveugle des autorités dans l’innovation technologique a mené à des drames familiaux et à la précarité économique des petits pêcheurs côtiers. Nous attendons de vous les actes urgents aptes à réparer ces injustices.
Très cordialement,
Frédéric Le Manach
Directeur scientifique de BLOOM