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15 mai 2024

La Commission européenne devant la Cour de justice de l’Union européenne pour son inaction contre la pêche électrique

Après six années de bataille acharnée contre les manœuvres dilatoires de la Commission européenne dans le dossier de la pêche électrique, l’audience devant la Cour de justice de l’Union européenne, plus spécifiquement devant le tribunal de première instance, va enfin avoir lieu mercredi 15 mai à Luxembourg. La Commission européenne est accusée par 27 pêcheurs européens et l’association LIFE (Low Impact Fishers of Europe) d’inaction et de mauvaise administration dans l’affaire des fonds publics alloués par les Pays-Bas pour développer la pêche électrique. Les avocats Taieb Otmani et François-Charles Laprévote du cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton plaideront au nom des pêcheurs plaignants.

Anatomie d’un scandale

Au même titre que la pêche au poison et à l’explosif, la pêche électrique a été officiellement interdite par l’Union européenne en 1998, non sans raisons (1). Cette méthode destructrice consiste en effet à racler les fonds marins avec un chalut doté d’électrodes qui envoient du courant électrique dans le sédiment. Tout l’écosystème est ainsi électrocuté sans distinction. Les poissons sortent du sédiment à la suite d’une contraction musculaire provoquée par le choc électrique. Des fractures et des hémorragies internes sont observées sur les grands cabillauds, une mortalité supérieure a été constatée sur les œufs et les larves. 

En 2006, dans un contexte marqué par l’augmentation des prix du gasoil, les Pays-Bas ont entrepris de recourir à cette méthode pour réduire leur consommation de carburant. Sous couvert de recherche scientifique, le gouvernement néerlandais a ainsi obtenu de la Commission européenne une dérogation pour pratiquer la pêche électrique « à des fins expérimentales ».

Alors que 15 navires étaient autorisés à s’équiper de chalut électrique, les Pays-Bas en ont déployé 84 sous leur pavillon en mer du Nord. Loin de poursuivre un quelconque objectif de recherche (2), ces flottes exerçaient en réalité une activité commerciale étant donné que les captures étaient ensuite vendues. Outre cette escroquerie, la redoutable efficacité de la pêche électrique a ravagé les écosystèmes marins et ruiné les pêcheurs artisans travaillant en mer du Nord.

Cerise sur le gâteau, les Pays-Bas n’ont eu aucun scrupule à utiliser plus de 20 millions d’euros de fonds européens pour soutenir financièrement le développement de la pêche électrique (3). Or, le soutien financier alloué aux flottes européennes est subordonné au respect des règles édictées dans le droit européen. En enfreignant le cadre réglementaire, les subventions européennes allouées à la pêche électrique étaient donc, de fait, illégales.

Avec les pêcheurs, les poissonniers, les chefs cuisiniers et le soutien indéfectible des citoyens, BLOOM s’est lancée en 2017 dans une véritable croisade pour obtenir l’interdiction de la pêche électrique. Après avoir remporté la victoire législative en février 2019, nous avons poursuivi la bataille sur le terrain judiciaire, notamment afin d’obtenir la condamnation des Pays-Bas ainsi que le remboursement des subventions indues.

Épilogue d’un bras de fer judiciaire contre la Commission européenne

Le 15 mai prochain, le juge européen devra examiner l’inaction de la Commission européenne dans le dossier des subventions allouées à la pêche électrique. En effet, contrairement à ce qu’affirme la Commission européenne, les règlements de l’UE ne la déchargent pas de ses responsabilités en matière de lutte contre les aides d’État illégales. La Commission aurait donc dû procéder à un examen sur la compatibilité de ces aides avec les règles européennes. (4)

« Avec cette audience, le Tribunal donne enfin aux plaignants la possibilité d’être réellement écoutés. La Commission européenne n’a pas pris position malgré son obligation légale et a manqué à son rôle de Gardienne des Traités« , explique Stéphane Pinto, représentant des fileyeurs du Nord, qui fera le déplacement pour assister à l’audience.

C’est peut-être l’épilogue d’un long bras de fer qui a commencé en 2018. À l’époque, BLOOM avait mis sous pression les Pays-Bas pour qu’ils publient la liste détaillée des bénéficiaires du Fonds européen pour la pêche (FEP, 2007-2014), période durant laquelle la pêche électrique avait été développée. L’analyse de ce fichier et de la liste des bénéficiaires du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMP, 2014-2020) avait alors permis d’établir avec certitude que plus de 20 millions d’euros avaient été alloués à la pêche électrique.

Après ces révélations, BLOOM et 22 organisations avaient saisi l’Office de lutte anti-fraude (OLAF) qui a classé l’affaire sans nous tenir informées : « C’est par la presse néerlandaise que BLOOM a appris l’information. Malgré des preuves évidentes de subventions illégales, nous avons cherché à comprendre les motifs de cette décision et découvert qu’il y avait un conflit d’intérêt« , explique Laetitia Bisiaux, chargée de projet chez BLOOM. En effet, la personne en charge des enquêtes sur les fonds européens à l’OLAF était Ernesto Bianchi. Or, ce dernier était également chef d’unité à la Direction générale des affaires maritimes et des pêches entre 2011 et 2015, soit précisément au moment où la Commission européenne autorisait l’expansion massive de la pêche électrique en Europe. L’adjoint d’Ernesto Bianchi était le Néerlandais Joost Paardekooper, également « Attaché pêche des Pays-Bas auprès de l’Union européenne » entre 2005 et 2009.

Après le classement sans suite de notre plainte par l’OLAF, BLOOM a réuni des pêcheurs qui ont saisi la Commission européenne en 2021, plus spécifiquement la Direction générale chargée d’examiner la légalité des aides d’État et de lutter contre la concurrence déloyale.

« En toute logique, la Commission européenne aurait dû instruire la plainte des pêcheurs et ouvrir une procédure d’infraction à l’encontre des Pays-Bas. Au lieu de cela, la Commission a adopté une stratégie d’usure pour tenter de se débarrasser de la plainte, en jouant la montre et la mauvaise foi et en comptant sur l’essoufflement de BLOOM et des pêcheurs« , explique Laetitia Bisiaux.

Face aux multiples refus de la Commission, BLOOM et les pêcheurs ont donc déposé un recours en carence devant la Cour de justice de l’Union européenne le 14 mars 2023. La Cour doit désormais examiner l’inaction et la mauvaise administration de la Commission européenne dans le dossier des subventions allouées à la pêche électrique.

Un besoin urgent de justice

Ce mercredi 15 mai 2024, la Commission européenne va enfin devoir s’expliquer devant la Cour de justice de l’Union européenne. C’est peut-être le début d’un processus de réparation pour les pêcheurs qui ont subi de plein fouet les conséquences de la pêche électrique et se sont battus avec courage et détermination à nos côtés. Ces décisions politiques irresponsables ont eu de lourdes conséquences. L’interdiction tardive de la pêche électrique a détruit le tissu social. La criée de Dunkerque a fermé et de nombreux navires ont fait faillite ou ont dû se reconvertir.

Dans le cadre de cette audience, nous demandons au Tribunal de constater la carence de la Commission européenne et de lui ordonner de prendre des mesures appropriées contre les Pays-Bas. Nous espérons que le Tribunal de l’Union européenne rendra justice aux pêcheurs, aux écosystèmes marins et à BLOOM qui s’est battue contre vents et marées. Le jugement sera rendu plusieurs semaines, voire plusieurs mois après l’audience. Les attentes sont très fortes, notamment en cette période de défiance grandissante vis-à-vis des institutions qui fait le lit des extrêmes.

NOTES

(1) BLOOM, Pêche électrique  : pourquoi il faut l’interdire, janvier 2018. Disponible ici.

(2) Les études scientifiques sont pratiquement inexistantes. Le manque de recherche avait également été dénoncé par un journaliste d’investigation néerlandais. La Ministre néerlandaise en charge de la pêche, Carola Schouten, avait dû reconnaître publiquement que la recherche promise n’avait pas eu lieu. Disponible ici.

(3) Le Manach Frédéric et al. (2019) Public subsidies have supported the development of electric trawling in Europe. Disponible ici.

(4) À partir du moment où les subventions FEP et FEAMP sont considérées illégales, elles deviennent ce que le droit européen appelle « des aides d’État ». Ces dernières sont définies par quatre critères : 1) il s’agit d’une aide accordée à une entreprise, 2) par un État ou avec les ressources d’un État, 3) qui procure à cette entreprise un avantage (dit « sélectif ») et 4) qui affecte ou peut affecter les échanges entre États ou la concurrence. Par principe, ces aides sont interdites par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Seules certaines d’entre elles sont autorisées dans le cadre d’un régime dérogatoire. Dans le cas des aides d’État pour la pêche électrique, celles-ci sont également illégales. En ne respectant pas le cadre imposé par la PCP, ces aides vont de fait à l’encontre du droit européen et sont donc incompatibles avec le marché intérieur.

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