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31 août 2018

Grands enjeux en haute mer pour la biodiversité

Après 14 ans de débats, les négociations internationales pour encadrer juridiquement l’utilisation et la conservation de la biodiversité en haute mer s’ouvrent enfin aux Nations Unies ce mardi 4 septembre !

Il s’agit d’un enjeu fondamental, la haute mer couvre près de la moitié de la planète et suscite l’appétit de plusieurs secteurs industriels : industries d’extraction, pêche, bioprospection…

Mathieu Colléter, responsable ‘Science et relations institutionnelles’ chez BLOOM, sera présent à New-York les 4 et 5 septembre pour participer à un événement axé sur les liens entre la gestion des pêches et ce nouveau traité entrant en négociation. Il avait coorganisé en mai dernier, avec le programme de recherche Nereus et l’Institut du développement durable et des relations internationales, un atelier visant à explorer ces liens afin d’identifier les opportunités d’amélioration de la gestion des pêches en termes de durabilité et de conservation de la biodiversité. Les principales conclusions de ce travail seront présentées le 4 septembre et un rapport complet sera publié début 2019 avant la prochaine séance de négociation. Il revient ici en détails sur les enjeux de ce traité.

  • Que désigne-t-on par « haute mer » et pourquoi suscite-t-elle les convoitises ?

La « haute mer » est un terme utilisé par raccourci qui désigne les zones océaniques situées au-delà des juridictions nationales. Ceci comprend deux ensembles ayant un statut juridique différent : la haute mer, c’est-à-dire la colonne d’eau située au-delà des zones économiques exclusives sous juridictions nationales (jusqu’à 200 milles nautiques des côtes), qui est régie par un principe de liberté (« freedom of the high seas », notamment pour la navigation); et la Zone, c’est-à-dire le sol et sous-sol de l’océan ainsi que ses ressources minérales, qui est légalement considérée comme patrimoine commun de l’humanité.

La haute mer couvre près de la moitié de la planète et abrite une biodiversité exceptionnelle et étonnante qui reste encore méconnue (cf. le livre ‘Abysses’ par Claire Nouvian). Ceci comprend de nombreuses espèces de poissons vivant proche de la surface comme les thons et dans les grandes profondeurs comme le grenadier. Les grands fonds abritent également des écosystèmes très particuliers (monts sous-marins, cheminées hydrothermales, coraux d’eau froide) et des espèces associées capables de vivre dans des conditions extrêmes. Ces espèces ayant réussi à s’adapter suscitent un grand intérêt pour leurs ressources génétiques. Enfin, des ressources minérales sont également très présentes dans le sol de certaines régions avec des éléments majeurs et stratégiques pour le développement technologique, par exemple le baryum, le cobalt, le manganèse, des métaux précieux, et plusieurs terres rares comme le cérium et le thulium.

  • Quelles sont les secteurs utilisant la haute mer et comment est-elle gérée ?

La haute mer est longtemps restée préservée du fait de la difficulté d’y accéder et de l’exploiter, mais le progrès technologique et/ou la valeur des ressources qu’elle comprend ont engendré le développement soutenu de plusieurs activités : la pêche, la navigation commerciale, l’exploration des ressources minérales, la bioprospection génétique, et les câbles de communication sous-marins. Ces activités et les perspectives de croissance associées font peser de grandes menaces sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. A ceci s’ajoute le changement climatique avec le réchauffement et l’acidification des océans, ainsi que la pollution qui est devenue un thème important dans le débat public à travers le problème des plastiques.

Un des textes fondateurs de la gestion de la haute mer est la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer signée en 1982 (et entrée en vigueur en 1994), qui définit les droits et les responsabilités des Etats dans l’utilisation de l’océan. L’Article 192 impose notamment aux Etats de protéger et préserver l’environnement marin. Plusieurs conventions et organismes internationaux ont été par la suite mis en place, mais ces instruments sont sectoriels et/ou régionaux. C’est par exemple le cas des organisations régionales de gestion des pêches qui définissent les règles pour la capture de certaines espèces dans des régions limitées. Ce fractionnement du cadre de gestion et l’absence de coopération entre les organismes mis en place empêchent aujourd’hui une gestion durable et la conservation de la biodiversité en haute mer.

  • Quels sont les enjeux de ce traité et quels liens avec la gestion des pêches ?

Durant cette première session de négociation du 4 au 17 septembre (deux autres sont prévues en 2019 et une en 2020), les délégations nationales vont formellement discuter des outils de gestion à mettre en place afin de mieux conserver la biodiversité et réguler son exploitation. Quatre éléments sont sur la table de négociation : les outils de gestion spatialisée dont les aires marines protégées, les évaluations d’impact environnemental, les ressources génétiques marines, et le renforcement des capacités et transfert de technologies. Aucun secteur n’est donc formellement inclus dans les négociations qui couvrent des outils et mécanismes devant s’appliquer à tous.

Cependant, la question de la pêche a été un point récurrent de tension durant les réunions préparatoires avec la possibilité, sous la pression de plusieurs pays exploitant la haute mer (Japon, Russie, et USA en tête), que ce secteur majeur ne soit pas couvert par ce traité alors qu’il est aujourd’hui un des principaux responsables des impacts sur la biodiversité marine. Comme qualifié par l’IDDRI dans un récent billet de blog, « la question de la pêche en haute mer constituera quant à elle l’éléphant dans la pièce duquel plusieurs Etats souhaiteront détourner le regard ». Il est pourtant nécessaire d’en améliorer la gestion, en lien avec les autres secteurs. Et la question des aires marines protégées ne pourrait pas être posée sans une participation du secteur de la pêche.

La question des ressources génétiques marines est également un point majeur de ces négociations. Actuellement, c’est la règle du « premier arrivé premier servi » qui prime. Une récente étude parue dans Science a d’ailleurs montré qu’une seule entreprise avait déposé près de la moitié des brevets de séquences génétiques issues d’organismes marins, dont des organismes des grandes profondeurs. Il s’agit du géant allemand BASF, leader mondial dans le domaine de la chimie. Cette situation montre bien l’écart entre pays du Nord et pays du Sud dans l’appropriation de biens communs, et de nombreux pays en voie de développement souhaitent donc intégrer d’avantage d’équité et de transparence dans l’exploitation de ces ressources génétiques de la haute mer.

BLOOM suivra donc avec attention ces négociations afin de plaider au niveau français, européen, et international pour la prise en compte des impacts sur la biodiversité de la pêche dans ce traité. L’Union européenne et la France restent pour le moment muettes sur la question et se doivent de développer une position claire et ambitieuse. Elles en ont la responsabilité car elles font partie du groupe restreint d’Etats pratiquant la pêche en haute mer. La France a également des permis d’exploration pour l’extraction minière et est prête à développer cette activité. A l’heure où les scientifiques nous alertent sur l’état de nos écosystèmes, il apparaît donc fondamental de mettre en place un cadre international unifié pour la conservation et la gestion durable de la biodiversité œuvrant à plus d’égalité dans le partage de ces richesses par définition communes.

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