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13 mai 2016

Par-delà les chimères : le vrai-faux de la surpêche

La tournée de conférences du chercheur américain Ray Hilborn en Europe du 27 avril au 4 mai a donné une tribune à un ardent défenseur de la pêche industrielle, dont le conflit d’intérêt a éclaté par la suite.

Lire ici : « Débusqué ! Le principal alibi scientifique de la pêche industrielle tombe »

BLOOM revient sur les contradictions, incohérences et omissions de Ray Hilborn et sur ce qu’elles impliquent pour la gouvernance de nos océans

Les prises de position publiques de Ray Hilborn 

Selon ses propres termes, Ray Hilborn est un scientifique des pêches, en contraste avec les « écologistes des pêches » qui voient les choses au travers du prisme de la conservation des habitats. Pour lui, un poisson est une commodité : il faut en maximiser les captures, peu importent les conséquences environnementales et sociales.

Deux citations illustrent ce parti pris :

  • A Bruxelles : « un poisson mort est un poisson mort. Peu importe s’il est pêché par un super-chalutier de 130m ou 1 000 pêcheurs artisans ».
  • A Paris : « Qu’est-ce que cet effondrement a fait [en parlant du stock de cabillaud au large de Terre-Neuve en 1992]? L’écosystème en lui-même a changé de manière dramatique. Il a changé d’une domination principalement des cabillauds à un écosystème complètement transformé, majoritairement formé de crustacés et coquillages. L’abondance des homards, crabes et coquilles Saint-Jacques a augmenté. Des milliers de personnes ont perdu leur emploi, mais de manière intéressante et peu publicisée, la valeur des captures à Terre-Neuve a augmenté. Donc si vous pensez à la pêche comme à un système qui amène de l’argent et soutient les communautés, la somme d’argent a augmenté ».

Pour Ray Hilborn, cela a du sens de chaluter le fond de l’océan intensément afin d’augmenter la quantité disponible d’une ou deux espèces de poissons. Après tout, c’est ce que l’on a fait en agriculture, nous signale Ray Hilborn. Voilà de quoi réjouir Olivier Le Nezet, Président du Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Bretagne et Président de BlueFish (le lobby de la pêche industrielle française qui se cache derrière une association Loi 1901), pour qui « les pêcheurs sont les agriculteurs de la mer » (Paris, Maison de la chimie, 4 mai 2016).

Ce parallèle entre pêche et agriculture revient souvent dans les propos de Ray Hilborn, mais il nous semble bon de rappeler que :

  • En agriculture, nous avons sélectionné depuis des milliers d’années les plantes selon les caractéristiques qui nous intéressent. Il n’en est rien pour la pêche ;
  • En agriculture, nous ensemençons et fertilisons les terres. Il n’en est rien pour la pêche ;
  • La monoculture intensive n’est plus considérée comme le modèle du futur. Désertification, appauvrissement et érosion des sols, agriculteurs victimes des phytosanitaires, perte de biodiversité… Les dégâts causés par ce modèle agricole sont lourds et nombreux. Il existe des alternatives viables, comme la permaculture et son équivalent dans la pêche n’est certainement pas de gros chalutiers !

Il est clair que Ray Hilborn ne voit pas les choses au travers d’un prisme social et encore moins environnemental. Mais son discours pro-industriel n’en est pas moins clairsemé d’incohérences pour autant. Florilège.

« La surpêche est un mythe qui s’effondre »

Pour Ray Hilborn, la surexploitation globale des ressources marines est un « mythe », au sens grec du terme, pour la simple raison qu’il y a des endroits où la situation s’améliore, voire est bonne. Il a par exemple été l’un des plus virulents détracteurs d’un papier de Worm et al., paru en 2006 dont une extrapolation a été largement reprise dans les médias et qui montrait que si rien n’était fait, les pêcheries commerciales mondiales auraient disparu d’ici 2048.

L’argument « fonds de commerce » de Ray Hilborn pose cependant un problème majeur : personne n’a jamais affirmé que la situation était mauvaise partout, mais les données mondiales montrent que la tendance globale est bien à la surexploitation ! Qualifier de « mythe » cette tendance sous prétexte que la situation est nettement meilleure aux Etats-Unis est parfaitement malhonnête.

Le plus étonnant est que Ray Hilborn co-signe des publications scientifiques qui confirment bel et bien cette tendance agrégée. Par exemple, dans un papier paru en mars 2016, la figure 4 montre bien que si rien n’est fait (courbe rouge), le pourcentage de stocks de poisson avec une taille optimale (d’un point de vue exploitation vs production) continuera de diminuer, tout comme les captures mondiales et leur valeur associée.

D’autre part, suite à un travail collectif paru en 2006 prédisant la fin des pêches en 2048, Ray Hilborn avait organisé un groupe de travail pour remettre en cause le pessimisme de l’analyse de Worm et al. La publication qu’il co-signe en 2009 n’aboutit pourtant pas à des conclusions réjouissantes : 63% des stocks évalués ne sont toujours pas reconstitués, et les améliorations ne concernent (à quelques exceptions près) que l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Australie/Nouvelle-Zélande. Exit l’Amérique du Sud, la Russie, l’Asie de l’Est et du Sud, ainsi que l’Afrique (zone claire sur la carte ci-dessous). C’est pourtant dans les eaux de cette dernière que les grandes puissances de pêche – Chine et Europe en tête – envoient leurs gros bateaux pour subvenir à leurs besoins tout en réduisant l’effort de pêche dans leurs propres eaux. A Bruxelles, Ray Hilborn a botté en touche sur ce défaut crucial de ses prises de position : selon lui, étant donné qu’il n’existe pas d’évaluation scientifique, on ne peut pas en dire grand chose. Mais il reconnaît en même temps que « la situation y est certainement mauvaise ». Si la moitié du monde est omise dans les études de Ray Hilborn, celles-ci ne sont donc pas « globales » !

Chaque rond, triangle ou carré représente une évaluation scientifique utilisée par le groupe assemblé par Ray Hilborn pour la production de l’analyse de 2009. On voit clairement qu’une immense partie des eaux mondiales est exclue de l’étude. 

Les auteurs montrent également que si l’on veut maximiser les captures de poissons, cela signifie que 40% des espèces auront périclité. Est-ce un modèle désirable ? Une diversité réduite à peau de chagrin pour produire du poisson de mauvaise qualité ? Pour nous, la réponse est clairement : « NON ! ». Revoyons plutôt notre mode de production et de consommation.

Les acteurs français dépeignent eux aussi une situation européenne supposée être formidable. Certes, il y a une amélioration de l’état des stocks depuis quelques années, mais la situation partait de très bas et reste préoccupante. Un état des lieux référencé par le plus grand groupement scientifique d’halieutes en France propose un bilan pour le moins mitigé : moins de 10% des stocks évalués par le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) remplissent les critères de durabilité de l’Union européenne, soit 38% des stocks dont l’état est connu.[1] Seules quelques espèces représentent la quasi-intégralité de ces stocks : on est donc loin d’un monde où « les espèces sont reconstituées », dixit France 2. L’Association française d’halieutique confirme aussi que la tendance positive de diminution de l’effort de pêche n’est plus d’actualité, puisque celui-ci s’est stabilisé depuis 2011 et  repart même à la hausse. Pas de quoi se réjouir, donc !

« Le chalut n’a pas d’impact »

Dans les endroits déjà détruits, cette assertion est certainement vraie !

Plus c’est gros, plus ça passe ?

Ray Hilborn a, au cours de sa tournée, montré plusieurs fois des cartes de la Mer du Nord et de la Mer de Bering, où l’on voit que seules quelques zones sont chalutées 4, 5 et jusqu’à 20 fois par an. « Le chalutage de fond a donc un impact marginal sur l’environnement ». Et deux minutes plus tard, Ray Hilborn avoue que les pêcheurs savent où se situent les poissons et qu’ils chalutent ainsi les zones où l’océan est le plus productif. Selon Patrick Soisson, de la Compagnie des pêches de Saint-Malo et membre du conseil d’administration de France Filière Pêche,[2] « c’est justement parce qu’on chalute ces zones intensivement qu’elles sont les plus productives ». Ha ha ha !

Grand écart

Ray Hilborn et ses collègues reconnaissent pourtant dès la page d’accueil de leur site Trawling practices que « les chaluts de fond peuvent transformer radicalement les écosystèmes sensibles, éliminant une grande partie de la faune et de la flore de surface, en particulier sur les fonds durs ».

Néocolonialiste

A sa décharge, Ray Hilborn n’était pas le seul à raconter des aberrations lors de cette tournée de conférences. Serge Michel Garcia, ancien directeur des pêches de la FAO et maintenant à la tête du groupe « pêche » de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) nous disait cyniquement à Paris qu’ « il n’y a plus de mérou dans le riz du Sénégal parce que tout le mérou est mangé en Europe. Si vous arrêtez de manger du mérou, les Sénégalais seront ravis parce qu’ils pourront enfin manger du mérou mais pour le mérou je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne solution. » Où est donc passée l’empathie, la notion de sécurité alimentaire ou bien de souveraineté alimentaire ?

Conflit d’intérêts

Le 12 mai, le Seattle Times révélait une lettre de plainte de Greenpeace adressée à l’Université de Washington à propos de Ray Hilborn. Le 13 mai, c’était au tour du journal Le Monde. Pour cause, Ray Hilborn a reçu des millions d’euros des industriels de la pêche sans mentionner ses conflits d’intérêts dans ses publications scientifiques (ce qui est pourtant requis) : il indique un financement de l’industrie dans moins de 15% de ses papiers ! Ces révélations embarrassantes ne prennent pourtant pas en compte tous les contrats de consultant dont Greenpeace n’a pas pu obtenir les montants (mais la liste semble longue).

L’œuf ou la poule ?

Le seul mystère qui demeure à propos du marchand de doutes jusqu’ici le plus influent des industriels de la pêche est :  est-ce parce que les positions de Ray Hilborn sont tendancieuses qu’il est financé par l’industrie ? Ou est-ce par qu’il est financé par l’industrie que ses positions sont tendancieuses ?

Si l’industrie souhaite financer des travaux de recherche, c’est son droit, mais son devoir, comme celui des chercheurs, est de le déclarer publiquement et sans faille.

En conclusion

Ray Hilborn concluait sa présentation à Bruxelles en disant que « le secteur des pêches était historiquement refermé sur lui-même, opaque, et qu’il allait devoir s’ouvrir aux scientifiques et aux ONG pour progresser ». C’est bien l’un des rares points sur lequel nous sommes d’accord avec lui.

 

Notes :

[1] Ces chiffres sont similaires à ceux présentés par BLOOM en mars 2016 dans une analyse similaire. Nous sommes bien loin des chiffres des hérauts du secteur, dont le secrétaire d’Etat à la pêche lui-même qui annonçait le chiffre formidablement optimiste de « 70% d’espèces qui sont au rendement maximum durable ».

[2] Suite à la crise du prix du fioul de 2007, la réponse du gouvernement s’est matérialisée par un plan de 310 millions d’euros financé à l’aide de la « taxe poisson », décrétée autoritairement par le ministre de l’Agriculture et de la Pêche de l’époque, Michel Barnier. Elle a depuis été remplacée par le fonds France Filière Pêche, créé en mars 2010 en concertation avec la grande distribution française, par le truchement de la Fédération du commerce et de la distribution (regroupant notamment Carrefour, Casino, Auchan, Système U et Metro), d’Intermarché et de Leclerc. C’est France Filière Pêche qui organisait la tournée de conférences de Ray Hilborn.

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