09 octobre 2024
A l’occasion de la journée mondiale des poulpes (aussi appelés pieuvres), BLOOM s’est joint au CIWF France (Compassion in World Farming) et à plus de 90 autres ONG et experts pour demander, dans une lettre conjointe, au Gouvernement espagnol d’arrêter le financement et le développement des fermes d’élevage de ces animaux hautement sensibles et intelligents.
Cette lettre fait suite à la publication par CIWF d’une enquête mondiale qui a permis de déterminer les investissements financiers consentis par différents pays pour stimuler le développement des fermes d’élevage de pieuvres. Les résultats sont sans appel : l’Espagne est le pays qui a le plus investi dans les élevages de ces animaux très intelligents, en injectant un minimum de 9,7 millions d’euros d’argent public dans cette pratique cruelle et non durable. En outre, l’Espagne est sur le point de devenir le premier pays au monde à ouvrir une ferme commerciale d’élevage de pieuvres dans les îles Canaries1https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/05/30/en-espagne-le-premier-projet-au-monde-d-elevage-de-poulpes-inquiete-les-defenseurs-de-l-environnement-et-des-animaux_6128124_3244.html2https://www.bbc.com/afrique/articles/cd16ynyr2m8o.
BLOOM s’est associée à cet appel de CIWF pour des raisons environnementales mais aussi éthiques : il convient en effet de remettre radicalement en question la moralité de l’élevage de ces animaux, compte tenu de leur complexité, de leur intelligence et de leur individualité. Les pieuvres sont des créatures solitaires3Mather JA, Scheel D. Behaviour. In: Iglesias J, Fuentes L, Villanueva R, editors. Cephalopod Culture. Dordrecht: Springer Netherlands; 2014 ; p. 17–39., qui s’épanouissent souvent dans des environnements dynamiques et interactifs. Les conditions stériles et confinées des fermes industrielles contrasteraient de manière beaucoup trop violente avec leurs habitats naturels et entraîneraient une sérieuse réduction de leur qualité de vie, comme les autres élevages industriels.
Bien que les progrès de l’aquaculture aient rendu l’élevage de pieuvres techniquement possible, cela ne justifie en rien d’élever des animaux aussi complexes, fragiles, intelligents et sensibles. Le débat ne porte pas seulement sur les aspects pratiques de l’élevage, mais aussi sur la responsabilité morale de l’humanité au XXIe siècle à l’égard des autres formes de vie.
D’autre part, les poulpes sont un produit de luxe, recherché sur les marchés du monde entier, en particulier en Espagne, au Japon et dans d’autres pays où la demande en produits de la mer est forte. La motivation à élever des poulpes est essentiellement économique, grâce à une rentabilité potentielle importante causée par une espèce de grande valeur pouvant atteindre une taille commerciale relativement rapidement.
Ces dernières années, le développement de l’élevage de poulpes a suscité une opposition croissante de la part des scientifiques, des organisations de protection des animaux et de l’environnement, ainsi que du grand public. Plusieurs députés européens ont exprimé leur opposition à l’élevage du poulpe1https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/05/les-institutions-europeennes-doivent-interdire-le-premier-projet-d-elevage-de-pieuvres-au-monde_6116256_3232.html2https://agenceurope.eu/fr/bulletin/article/13176/34, en saisissant le Parlement européen et la Commission européenne.
C’est en mars 2024 que Washington est devenu le premier État à interdire légalement l’élevage de pieuvres, faisant des États-Unis un pionnier en la matière. La Californie lui a emboîté le pas3https://www.ciwf.fr/actualites/2024/09/la-californie-devient-le-deuxieme-etat-americain-a-interdire-lelevage-de-pieuvres#:~:text=Le%20gouverneur%20Gavin%20Newsom%20a,apr%C3%A8s%20l’%C3%89tat%20de%20Washington. et a également inscrit dans la loi l’interdiction d’importer des pieuvres d’élevage.
Il existe des preuves scientifiques solides confortant les préoccupations quant à l’introduction de ces animaux dans des systèmes de production intensive en raison de leur impact sur l’environnement. CIWF a ainsi publié en 2021 en Espagne un rapport intitulé « Cría intensiva de pulpos: Una receta para el desastre », dans lequel sont présentés un grand nombre de données scientifiques montrant tous les aspects néfastes de l’élevage de pieuvres.
L’élevage de pieuvres n’est pas non plus durable. Les pieuvres étant des animaux carnivores, leur élevage nécessite de les nourrir avec des protéines animales4Jacquet J, Franks B, Godfrey-Smith P, Sánchez-Suárez W. The Case Against Octopus Farming. Issues Sci Technol. 2019;37–44.. Ainsi, l’élevage de pieuvres nécessiterait la capture de grandes quantités de poissons ou d’autres organismes marins, ce qui aggraverait la surpêche5Alder J, Campbell B, Karpouzi V, Kaschner K, Pauly D. Forage fish: From ecosystems to markets. Annu Rev Environ Resour [Internet]. 2008 [cited 2019 Feb 15];33:153–66.6Naylor RL, Goldburg RJ, Primavera JH, Kautsky N, Beveridge MCM, Clay J, et al. Effect of aquaculture on world fish supplies. Vol. 405, Nature. Nature Publishing Group; 2000 [cited 2019 Feb 6]. p.1017–24..
En outre, d’autres risques et impacts environnementaux existent, tels qu’ils ont été décrits dans le cas d’une ferme d’élevage de poulpes prévue à Las Palmas de Gran Canaria7Eurogroup for Animals C in WF. Exposing the environmental risks of octopus farming. 2024..
En conclusion, en plus des sérieuses questions éthiques que soulève le développement de projets d’élevage de pieuvres, la pollution marine, la perte de biodiversité et les risques pour la santé publique sont également quelques-uns des points les plus préoccupants.
Une enquête menée cette année par CIWF et Eurogroup for Animals a montré que près de 8 personnes sur 10 interrogées dans neuf pays de l’UE pensent que lorsque des fonds publics sont utilisés pour financer l’élevage d’animaux aquatiques, cet argent ne devrait soutenir que les élevages durables. En Espagne, 83 % de la population est d’accord avec cette affirmation8 Compassion in World Farming. (2024, September). 9 out of 10 people across Europe want better protection for farmed fish..
Compte tenu de la forte opposition internationale du public, des scientifiques et des politiques à l’élevage industriel du poulpe, cette lettre cosignée par BLOOM demande au Gouvernement espagnol de stopper son soutien à cette pratique et lui demande de s’engager à ne plus financer son développement.